#16 La peur et ses remèdes

Les jours qui suivirent l’obtention de la bourse Défi Jeunes, je flottais sur un petit nuage de contentement. Hors des murs de l’hôpital et de sa réalité implacable, tout me semblait possible.

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Cette bourse m’avait aidée à braver la peur d’un nouveau départ, en m’engageant auprès de partenaires. Il ne s’agissait plus seulement de moi et de mon courage à aller jusqu’au bout de l’entreprise. Désormais, j’avais des comptes à rendre. Dans quelques mois, il me faudrait coûte que coûte partir en Argentine et revenir avec une BD finalisée.

Pour me préparer à réaliser mon projet, je cherchai des soutiens, des conseils de toutes parts. Je fus rapidement mise en contact avec un certain Bruno, qui dirigeait une revue culturelle locale. Charismatique, il était ceinture noir de karaté et de philosophie. Je le retrouvais souvent au Moustigre. Il aimait parler de la peur en s’enfilant des shooters de cucaracha à la paille. La peur de l’inconnu, la peur du changement, la peur de l’étranger, la peur de la mort… Toutes y passaient au rythme de nos goulots. Car selon lui, elles paralysaient l’humanité et expliquaient bien des maladies. Ses yeux brillaient comme les flammes à la surface des shooters.

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Il me demanda de lui prêter de l’argent, en échange de quoi il s’engageait à être parrain de mon projet. J’acceptai, hypnotisée.

Un jour, il vint au Moustigre accompagné d’Oliv’, un de ses amis dessinateurs formé à Angoulême. Il me donna des conseils BD et m’emmena faire des ballades à moto.

Et puis quand l’échéance du remboursement approcha, Bruno ne répondit plus à mes messages. Je l’aperçus une dernière fois à travers la vitrine d’un restaurant japonais avec sa copine, dégustant l’argent des autres. Après quoi disparut de la circulation, laissant derrière lui quelques naïfs plumés.

Une semaine avant mon départ, au retour d’une virée à moto avec Oliv’, une voiture nous percuta. Mon looping avant me conduisit aux urgences sans passer par la case départ. Je tombai de surcroît sur le médecin réputé pour manquer tous les diagnostics. Si bien que je sortis du service avec une patte folle. À ce jeu de Monopoly, j’obtins finalement quelques dommages et intérêts du même montant que celui de l’argent subtilisé par Bruno. La partie était nulle et l’opération, blanche.

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À l’aube de mon départ, je retombai sur mes pattes financièrement et psychologiquement. Je reprenais confiance.

Je terminai les derniers préparatifs de mon voyage, me délestant de ma blouse blanche et de mon stéthoscope pour quelques mois. L’esprit cicatrisé, l’estomac dénoué, je montais en boitillant dans l’avion qui m’emportait vers une nouvelle aventure que j’espérais hospitalière.

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Sommaire

Billet #00 – La genèse

Billet #01 - Les quatre naissances d’Honorine Cosa

Billet #02 - La 1ère année de médecine : l’anatomie

Billet #03 - La 1ère année de médecine : dans l’amphithéâtre

Billet #04 - Les mentors                    

Billet #05 - Mon premier patient

Billet #06 - La déformation professionnelle

Billet #07 - L’externat ou mon premier stage hospitalier

Billet #08 - Séjour prématuré en maison de retraite

Billet #09 - L’externat ou la vie nocturne

Billet #10 - La Suède ou une société idéale

Billet #11 - Convalescence sur les flots

Billet #12 - Prendre soin

Billet #13 - Étudier la médecine en Suède

Billet #14 - À la recherche du système d’enseignement idéal

Billet #15 - La pharmacienne et les mots magiques

Billet #16 - La peur et ses remèdes

Billet #17 - Vrai faux départ pour l’Argentine

Billet #18 - L’Argentine ou la rencontre entre l’art et la médecine

Billet #19 - Mon quotidien à Buenos Aires

Billet #20 - Un peu de recul

Billet #21 - La bascule

Billet #22 - Crise nationale, fin de la parenthèse

 

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par Honorine Cosa