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POINT

Inquiétude pour la santé mentale des étudiants

Si la santé psychique des soignants commence à être mieux prise en compte, celle des internes et des étudiants est toujours mal connue.

Tous les soignants peuvent être touchés par des troubles psychiques. Le suicide du Pr Meignen en décembre 2015 ainsi que la longue série de suicides d’infirmiers sont venus le rappeler. Suite à ces événements tragiques le ministère de la santé avait lancé fin 2016 une stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail intitulée « prendre soin de ceux qui nous soignent ». En revanche, les futurs soignants ne font pas encore l’objet de la même attention, les études épidémiologiques sur la santé mentale des étudiants en médecine et des internes sont d’ailleurs trop rares. C’est pour cette raison qu’à l’initiative de l’ISNI, le syndicat des internes de médecine en collaboration avec les autres structures jeunes (les étudiants de ANEMF, les internes de médecine générale de ISNAR-IMG et les chefs de clinique de l’ISNCCA) a été réalisée une grande enquête nationale auprès des externes, des internes, des chefs de clinique, des assistants hospitalo-universitaires et des assistants spécialistes afin dans un premier temps d’établir un « état des lieux incontestable de la santé mentale » des jeunes et futurs médecins. En février 2016, un interne marseillais de 27 ans se suicidait. « Cet interne n’avait pas de difficultés personnelles connues, raconte Guillaume Ah Ting, chargé de mission par l’INSI pour cette enquête. Nous pensons que ce sont les conditions de travail des internes qui peuvent parfois conduire à des drames ».

Enquêtes

À la même époque, le Conseil de l’Ordre des médecins commence aussi à s’intéresser au sujet et lance une enquête dont il ressort qu’un quart des jeunes médecins se déclarent en état de santé moyen ou mauvais. Et par ailleurs, 14% des 8000 étudiants et internes interrogés par questionnaire déclarent, à ce moment, avoir eu des idées suicidaires, soit près de quatre fois plus que la population générale. Une revue systématique de la littérature scientifique parue également l’année dernière dans le JAMA retrouve un risque suicidaire de 11,1% chez les étudiants en médecine et de 27,2% de dépression. « Cette méta-analyse a porté sur 183 articles mais aucun article français » regrette Guillaume Ah Ting.

C’est pourquoi l’enquête lancée par l’ISNI, dont les résultats ont été dévoilés au début de l’été, s’est voulue la plus large possible. Entre le 31 janvier et 1er avril 2017, les étudiants et les internes ont été invités par le biais des associations, syndicats et réseaux sociaux à répondre à un questionnaire en ligne, élaboré avec l’aide de deux PU-PH de psychiatrie.

Un questionnaire rempli par 21 768 personnes dont 4200 étudiants en premier cycle, 8700 en deuxième cycle, 7600 en troisième cycle et un millier de jeunes médecins. Parmi eux, 66,2% sont touchés par l’anxiété, 27,7% par des symptômes de dépressions et 23,7% auraient eu des idées suicidaires. « Parmi les facteurs de risques, on note la fatigue, l’insuffisance d’encadrement et le manque de soutien des supérieurs hiérarchiques, commente Guillaume Ah Ting. A l’inverse, les facteurs protecteurs sont les ressources matérielles suffisantes, le soutien des pairs, des temps d’échange dédiés et une visite chez le médecin du travail au moins une fois par an ».

Prévention et prise en charge

Face à ce constat alarmant, les organisations d’internes ont fait une série de propositions portant notamment sur la formation médicale, la prévention et la prise en charge de ces troubles psychiques graves. « Les risques psycho-sociaux ne peuvent être dissociés de la question de la gestion des équipes, rappelle Leslie Grichy, vice-présidente de l’ISNI en charge des questions sociales. C’est pourquoi nous soutenons en particulier la formation au management dans la formation initiale et continue des médecins ». Cela avait été également souligné dans la méta-analyse publiée dans le JAMA, des temps d’échanges réguliers dans les services permettent de limiter les risques psycho-sociaux. Les internes militent également pour la mise en place d’un portfolio national, déjà discuté pour le 3e cycle, qui serait un outil personnalisé d’accompagnement de l’étudiant tout au long de son cursus permettant à l’encadrant « de programmer précisément l’acquisition attendue des compétences du jeune médecin, progressivement, et en accord avec les capacités ». La prévention de ces risques passe également par un respect de la législation en particulier sur le temps de travail et le repos de sécurité. « Il faudrait sanctionner les services hospitaliers qui ne respectent pas la loi » souhaite Clément Le Roux, vice-président de l’ANEMF chargé de la santé globale. Enfin cette enquête a mis en lumière la prise en charge beaucoup trop tardive des troubles psychiques chez les futurs médecins. « Souvent les étudiants pratiques l’automédication et sous-évaluent la gravité de leurs troubles, rappelle Maxence Pithon, vice-président de l’ISNAR-IMG. C’est pourquoi il est indispensable que les internes puissent être dépistés en lien avec les services de santé au travail ». Depuis le début de l’année, cinq internes de médecine se sont donnés la mort en France. Dans le même temps des solutions commencent à émerger. Ainsi à l’université Paris VI, un « bureau d’interface entre étudiants et professeurs » (BIPE) a été créé pour tenir un « rôle d’accompagnement moral et psychologique, d’accompagnement à l’orientation et de soutien pédagogiques ». Un modèle à suivre, d’après les organisations d’internes.

par Véronique Hunsinger