Après une mastectomie, restaurer par tatouage la féminité

En 2017, près de 60 000 nouveaux cas de cancers du sein ont été diagnostiqués en France (1). Pour beaucoup de femmes, après le temps de la chimiothérapie, des rayons et de l’ablation, viendra celui de la réparation. Installée dans un petit village des Pyrénées Orientales, Magali Mesas les aide à restaurer leur féminité par le tatouage "3D" ou la fabrication de prothèse de l’aréole et du mamelon.

propos recueillis par Laurent Joyeux.

Comment êtes-vous devenue tatoueuse ?

Mon parcours est atypique. Je travaillais dans le bâtiment et, à la suite d’un accident, je n’ai pas pu continuer dans ce secteur. Il a fallu envisager une reconversion. Je cherchais une activité qui soit compatible avec ma passion du dessin et qui ait du sens pour moi. Des reportages sur des tatoueurs américains m’ont fait découvrir le tatouage 3D – lisse mais donnant l’impression du relief comme en trompe l’œil – et la reconstruction mammaire. Un stage à l’hôpital m’a permis d’acquérir des connaissances sur l’agencement d’une salle de tatouage, l’installation du plan de travail, les règles d’hygiène (entre autres la désinfection par autoclave). Parallèlement, je me suis formée aux techniques de dessin auprès d’un tatoueur en faisant mes premiers essais sur des peaux synthétiques puis sur des personnes « volontaires ». Pour me former à la réalisation de prothèses en silicone, j’ai repris les techniques utilisées dans le cinéma. Mon fournisseur de silicone m’a conseillé des tutoriels dans ce domaine des effets spéciaux. Il y a eu beaucoup d’essais et beaucoup d’échecs pendant deux ans !

Qui sont vos clientes ?

Des femmes de tous âges, dont une majorité entre 40 et 50 ans, et de toutes conditions sociales. Elles ne sont plus sous traitement et ont passé le temps indispensable de la cicatrisation. En France, on ne tatoue pas en dessous de 16 ans. Après une ablation, on propose à la patiente la reconstruction de son sein mais il faut conjointement refaire le mamelon. Elles sont encore traumatisées par la maladie et la reconstruction et elles sont souvent mécontentes de leur nouveau corps. Elles veulent retrouver un sein avec son aréole et son mamelon. Toutes ont l’espoir de se sentir mieux !

Il faut attendre un an pour pouvoir pratiquer un tatouage en trompe l’œil et recouvrir une cicatrice. Certaines clientes savent déjà ce qu’elles veulent. D’autres sont indécises, elles ont peur des tatouages et des aiguilles, elles préfèreront une prothèse. Moulée en silicone sur le mamelon restant, la prothèse est réalisée dans un second moulage avec du silicone spécial pour la peau qui tient une semaine sur le sein au moyen d’une colle adaptée. D’autres femmes n’envisagent pas de reconstruction et envisagent un tatouage artistique pour recouvrir leur cicatrice. Dans ce cas, deux ans de cicatrisation seront nécessaires après l’opération.

Comment s’établit la relation avec les femmes ?

Certaines me connaissent par l’intermédiaire de leur gynécologue ou de l’association SOA (soin d’onco-accompagnement) qui soutient les femmes tout au long de leur parcours de soin (voir l'encadré ci-dessous). Un oncologue qui a vu mon travail voudrait travailler avec moi pour aider ses patientes en soins de suite. Dans tous les cas, avant de me rencontrer, elles ont eu un rendez-vous préalable avec leur médecin qui a donné son feu vert et elles remplissent un formulaire confidentiel qui indique la date de l’opération et les spécificités médicales. Avant toute intervention, il faut s’assurer que la cliente a bien pris conscience du caractère permanent du tatouage, qu’il y a des risques d’infection et qu’elle aura des précautions scrupuleuses d’hygiène à respecter. Il faut prendre le temps de discuter, d’établir un échange. Autour d’un café, nous parlons de ce qu’elles ont vécu. Jusqu’à ce qu’elles soient allongées dans le fauteuil, elles ont peur. La séance dure entre 30 et 45 minutes mais nous prenons deux heures pour discuter et mettre la cliente à l’aise.

Et la séance proprement dite ?

Je n’utilise aucun produit chimique qui pourrait constituer une contre-indication mais uniquement des pigments minéraux et des encres véganes. Un nuancier conçu spécialement pour la reconstruction mammaire me permet de trouver la couleur juste de la peau. J’ai reçu des femmes qui avaient déjà été tatouées par leur chirurgien à l’hôpital mais avec des encres qui ne tiennent pas. Le geste sur la peau de la cliente, souvent malmenée par les traitements et l’opération, doit être extrêmement doux. Quand on pique, on jauge la peau. Le travail est très délicat et il faut rester hyper-concentrée. Selon le type de peau et de reconstruction – lambeau de peau et injection de graisse ou prothèse – les cicatrices sont différentes et il peut être difficile, voire parfois impossible, de tatouer. Dans tous les cas, le tatouage se fera en deux temps avec un délai de cicatrisation de deux à trois mois. La première passe donne le volume et la couleur, la seconde les détails et la finition.

Comment réagissent-elles ?

Je n’ai jamais eu de mauvaise réaction ou de femme qui regrette sa décision, plutôt des femmes qui retrouvent l’estime de soi et des larmes de joie ! Certains proches réagissent aussi, comme cette fille de cliente très contente du travail sur sa mère. C’est très émouvant de revoir une femme avec le sourire ! Ça me donne envie de m’impliquer encore davantage auprès des personnes souffrant d’un cancer.

Note

1. Source : ameli.fr