Psychiatrie : comment sortir de l’état d’urgence ?

L’Assemblée nationale a accueilli le 4 octobre une conférence sur la psychiatrie, sortir de l’état d’urgence. L’occasion de faire le point sur le manque de moyens dédiés à la psychiatrie en France, qui a pour conséquence de retarder le diagnostic et de rendre difficile l’accès aux soins.

LaureMartin

Par Laure Martin

« Deux Français sur cinq associent la maladie mentale à la folie, a rappelé Marie-Jeanne Richard, pharmacien biologiste, ancienne experte auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et bénévole depuis vingt ans à l’Union nationale de familles et d’amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam). Cette maladie fait peur à tout le monde. » Mère de deux fils souffrants de troubles psychiques, elle estime que personne n’est apte à se projeter dans une maladie psychique sans l'avoir vécue.
Autre chiffre alarmant : selon le grand baromètre de la schizophrénie(1), la maladie mentale (schizophrénie, troubles bipolaires, troubles obessionnels compulsifs etc.) est perçue comme dangereuse par 83 % des Français, 90 % des pharmaciens et 77 % des médecins généralistes. Seulement 20 % des patients, 11 % des aidants et 10 % des psychiatres partagent ce constat.

Défaut dans le repérage précoce

« La peur est liée à notre méconnaissance et à nos préjugés, regrette Marie-Jeanne Richard. Cela entraîne une stigmatisation vis-à-vis des personnes qui vivent avec cette maladie et leurs familles. » Les conséquences de cette stigmatisation peuvent être très lourdes et avoir un impact sur le financement de la prise en charge des maladies mentales car « pourquoi financer des maladies pour lesquelles ont a peur », s’alarme-t-elle. Et d’ajouter : « Cette vision a aussi des conséquences pour le jeune atteint d’une maladie mentale, qui va se terrer chez lui lors des premiers symptômes, se cacher du regard de l’autre. »

« Les deux à dix années de perdue dans le repérage précoce entraînent dix à quinze années de vie en moins faute d’une prise en charge adaptée et globale. »

Du côté des familles, cette situation peut se traduire par du déni, certaines se réfugiant dans l'idée qu’il s’agit d’une crise d’adolescence plus difficile qu’une autre. « Le rejet des amis renforce l’isolement et la culpabilité de la famille avec un refus du patient de consulter, estimant qu’il n’est pas fou, alerte Marie-Jeanne Richard. Les années de perdues, de souffrance, conduisent parfois à l’arrêt des études, à la perte d’un logement, du travail, du lien social et pire au suicide. » Elle regrette que la stigmatisation ruisselle dans les lois car, par défaut de connaissance sur la variabilité de la maladie, « les textes n’ont pas intégré les besoins d’accompagnement spécifique des personnes touchées par une maladie mentale, ni dans le travail, ni dans la vie quotidienne. Les deux à dix années de perdue dans le repérage précoce entraînent dix à quinze années de vie en moins faute d’une prise en charge adaptée et globale. »

Se rattacher aux nouveaux modèles colelctifs d'organisation des soins

Rapprocher la psychiatrie des Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) est l’une des réponses pour adapter la prise en charge. « Souvent, le médecin généraliste va être la porte d’entrée, rappelle Marie-Jeanne Richard. Il connaît le patient, sa famille. » Si en plus, au sein de la MSP, un psychiatre intervient, la structure peut permettre la déstigmatisation de l’approche en tant que maladie. La formation du médecin généraliste sur cette question est importante car il doit pouvoir s’adresser à un spécialiste en cas de besoin. « Il faut se saisir des nouveaux modèles d’organisation comme les MSP ou les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) car cela va permettre de créer du réseau entre les acteurs du soin, du médico-social, des centres médico-psychologiques (CMP), rapporte le Dr Marie-Hélène Certain, médecin généraliste aux Mureaux (Yvelines) et secrétaire générale du Collège de la médecine générale. Il faudrait aussi lier l’éducation nationale mais cela paraît encore difficile même si c’est indispensable. » Et d’ajouter : « En tant que médecins généralistes, acteurs des soins primaires, nous sommes très concernés par la question car nous sommes proches des familles et des patients, nous les suivons dans la durée. »

"Il faut se saisir des nouveaux modèles d’organisation comme les MSP ou les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) car cela va permettre de créer du réseau entre les acteurs du soin, du médico-social, des centres médico-psychologiques (CMP)"

Néanmoins, lorsqu’on parle d’accès aux soins, il faut, selon le Dr Marie-Hélène Certain, être précis dans les termes car entre la psychiatrie, les maladies caractérisées, il y a, dans le domaine de la santé mentale, une palette de situations. « L’enjeu est de pouvoir repérer ce qui va devenir grave », estime la spécialiste. Cette question est au cœur des inégalités territoriales et sociales de santé. « Tout seul, il est difficile d’agir, rappelle le médecin. L’exercice individuel d’une part, le cloisonnement entre la ville-hôpital, entre la médecine somatique et psychiatrique, entre le social et le médico-social d’autre part, auxquels s’ajoutent les problèmes de démographie, compliquent la prise en charge. » Il est indispensable selon elle de prévoir un médecin généraliste traitant pour tous les patients, y compris pour ceux qui ont une maladie psychiatrique caractérisée et qui sont déjà suivi par un psychiatre ou une équipe. Car souvent, il peut y avoir des comorbidités, des retards de diagnostics, et des surmortalités chez les patients atteints de maladies psychiatriques. Or, ils ont droit aux mêmes conseils de prévention au niveau somatique et doivent donc disposer de leur médecin traitant comme n'importe qui d'autre. « Le co-suivi entre le médecin psychiatre et le médecin traitant est d’autant plus nécessaire que les traitements peuvent générer des effets secondaires. »

 

milon alain

PSYCHIATRIE : LE PARENT PAUVRE DU BUDGET DE LA SANTÉ

« Je suis très critique vis-à-vis du Plan Santé 2022 du président de la République car je n’ai pas vu de grands progrès dans les propositions faites en psychiatrie. » Sénateur Alain Milon

Auteur en 2009 du rapport  « La psychiatrie en France, de la stigmatisation à la médecine de pointe », le sénateur Alain Milon n’a « pas le sentiment que depuis 2010, les esprits publics, les décideurs, aient évolué sur la nécessité de prendre en charge intégralement et financièrement la psychiatrie pour en faire une spécialité médicale ».  Et d’ajouter : « Quant aux financements, depuis 2008, l’Objectif national des dépenses de l’assurance maladie (Ondam) oscille entre 1.7 et 2.5 mais pour être efficace, pour permettre des soins logiques, il devrait être à 4. On fait donc des malheureux, les soignants, et le parent pauvre, c’est la psychiatrie. Les parlementaires n’ont pas tous les pouvoirs. Ils peuvent agir sur le système des dépenses mais pas sur les montants. Aujourd’hui, les problèmes financiers, c’est le nerf de la guerre. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Réalisé par l'institut OpinionWay pour le laboratoire Janssen, les associations d'usagers Unafam et PromesseS, et la FondationDeniker. Ce baromètre de la schizophrénie a interrogé entre le 4 décembre 2017 et le 19 janvier 2018 plus de 4 400 personnes : 113 patients, 2 800 aidants, 100 médecins généralistes, 100 pharmaciens, 100 infirmiers (n’exerçant pas forcément en psychiatrie), 100 psychiatres, 51 conseillers départementaux et 1 102 Français issus du grand public.

 

par Laure Martin