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HAD en psychiatrie : une alternative à l’hospitalisation en quête de reconnaissance

L’hospitalisation à domicile (HAD) en psychiatrie se fait encore rare sur le territoire. Vingt-et-une structures sont recensées pour dispenser des soins en parallèle des centres médico-psychologiques (CMP), des hospitalisations de jour ou encore de l’intervention d’équipes de soins mobiles. Mais des questions se posent quant à son déploiement. Pourtant, l’efficacité de ce type de prise en charge n’est en aucun cas remise en question, comme l’ont démontré les professionnels du secteur lors de la conférence HAD et psychiatrie du 30 janvier 2019 organisée par l’Association de psychiatrie de la région Pays-de-Loire et la Conférence nationale des présidents de Commission médicale d’établissement de Centre hospitaliers spécialisés (CHS).

Par Laure Martin

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Lors du 17e Congrès de l’Encéphale le 25 janvier, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn a pris des engagements pour renforcer le secteur psychiatrique, en lui allouant également 40 millions d’euros supplémentaires pour 2019. Elle a aussi rappelé les objectifs du ministère autour du parcours de soins en ambulatoire et au domicile ainsi que les enjeux d’innovation en psychiatrie. Dans le domaine de la psychiatrie, « des objectifs sont intégrés dans le plan gouvernemental Ma Santé 2022, avec un enjeu de renforcer la collaboration ville-hôpital, a rappelé Raphaël Yven, directeur de cabinet à la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Les alternatives à l’hospitalisation complète sont appelées à jouer un rôle primordiale. » En France, une personne sur cinq peut être amenée à développer des troubles psychiatriques. Actuellement, vingt-et-une HAD dédiée à la psychiatrie œuvrent dans toute la France, pour prendre en charge, à leur domicile, les patients atteints de ces troubles. « Les soins à domicile permettent de réduire l'hospitalisation à temps complet voire même de l’éviter », a soutenu Raphaël Yven. Ils permettent aussi des dispositifs de réinsertion sociale. Mais des freins persistent et des problématiques sont à interroger pour aller plus loin : comment assurer continuité des soins à domicile ? Comment réfléchir à une logique de filière ? Comment organiser au niveau territorial ces activités et les financer ?

Absence de reconnaissance dans les textes

Autant de questions qui se posent pour le déploiement des HAD psychiatriques. Actuellement, elles ne sont pas clairement reconnues dans les textes. Une circulaire de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) de 2004 relative à l’HAD évoque l’HAD générale et en psychiatrie. Mais depuis, plus aucun texte n’évoque la possibilité de créer des HAD dans cette spécialité. La circulaire de 2013 fait uniquement référence aux HAD générales. Les quelques HAD psychiatriques présentes sur le territoire sont donc nées dans le cadre d’expérimentations en lien avec les Agences régionales de santé, financées dans le cadre du Fonds d’intervention régional (FIR) ou de conventions. Cette absence de reconnaissance dans les textes de loi a un impact direct sur l’appellation et le financement.

L’Agence nationale d’appui à la performance (ANAP), qui participe à la réflexion sur l’organisation des ressources sur le territoire, « a voulu faire en sorte que ces ressources sortent des murs de l’hôpital et aillent au domicile, a fait savoir Corinne Martinez, manager ANAP, qui anime la réflexion sur la psychiatrie. Nous voulons promouvoir une forme d’intervention à domicile mais selon quelles modalités ? Car il y a l’HAD mais aussi beaucoup d’autres types de structures et c’est là que la question se cristallise. » Elle a rappelé qu’au regard des textes de loi, des circulaires et des référentiels, la psychiatrie n’est évoqué en HAD qu’en 2004. « Au lieu de l’HAD, est-ce que nous ne parlerions pas plutôt d’intervention à domicile ? », a-t-elle demandé avant d’ajouter : « Certes l’HAD est intéressante et il faut y aller. Mais d’autres modèles pourraient permettre la prise en charge au même titre que l’HAD. Tout est légitime, c’est une question de sémantique. Personne ne remet en question l’intervention au domicile. Il faut peut être faire évoluer la réglementation pour que ce soit bénéfique dans tous les territoires. »

Des structures indispensables

L’enjeu est effectivement important. « Les HAD en psychiatrie font partie de pratiques innovantes qui reposent sur des innovations locales », a rappelé le Dr Rachel Bocher, psychiatre au CHU de Nantes et présidente de l’Inter syndicat national des praticiens hospitaliers (INPH). Elles offrent cette particularité d’intervenir au domicile des personnes, une alternative à l’hospitalisation. « Ces pratiques existent pour permettre de faire fonctionner nos dispositifs de soins malgré les files actives en psychiatrie qui explosent et la stigmatisation des malades qui est toujours tenace, a-t-elle ajouté. Il s’agit d’aller au-devant de la population, et non d’attendre les patients dans les CMP ou aux urgences. » Selon le Dr Bocher, les projets territoriaux de santé mentale [créés par la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, NDLR] sont un échelon important à l’échelle desquels doivent être pensés les dispositifs. L’HAD requiert néanmoins un travail avec les patients car ce type de prise en charge peut ne pas convenir à tout le monde. D’où l’importance d’une évaluation du patient et de la capacité de l’entourage à pouvoir vivre cette prise en charge. « Pour réussir une authentique alternative à l’hospitalisation, il faut travailler sur une forte alliance thérapeutique avec les patients et les familles, et conforter le parcours de santé du patient », soutient le Dr Bocher.

"Les HAD en psychiatrie existent pour permettre de faire fonctionner les dispositifs de soins malgré les files actives en psychiatrie qui explosent et la stigmatisation des malades qui est toujours tenace"

« La question du domicile pose celle de l’engagement de l’usager, a rapporté Anne-Marie Armanteras de Saxcé, présidente de commission à la Haute autorité de santé (HAS). Il s’agit de le rendre plus acteur, plus autonome de son projet personnalisé, de le rendre capable de gérer en toute autonomie son état de santé, sa maladie, son projet de vie. » Comme l’a souligné Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des patients en psychiatrie (Fnapsy) l’hôpital doit rester un lieu de soin et non un lieu de vie. « Mais avec l’HAD, le vrai frein, c’est le déni de la maladie. Dans le cas de soins aigus je vois mal une personne bipolaire estimant qu’elle n’est pas malade, accepter l’HAD. »

Vers un modèle standardisé ?

« La question du domicile est un vrai enjeu de parcours et de territoire », a poursuivi Anne-Marie Armanteras de Saxcé. Elle comprend les interrogations des professionnels du secteur, qui après les expérimentations et les dérogations, appellent à la création d’une nomenclature dédiée à l’HAD en psychiatrie. Pour ce faire, « il faut identifier ce qui relève de l’alternative à l’hospitalisation, de ce qui relève des activités réelles de l’équipe afin d’aboutir à une nomenclature », a-t-elle conseillé.

Le Dr Olivier Drevon, président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) psychiatrie, s’est d’ailleurs dit surpris de l’absence de process communs entre les HAD psychiatriques. « Ce ne serait pas compliqué à mettre en œuvre et cela pourrait aider la profession à construire un cheminement car bien qu’il y aient des variantes entre les structures, le fonctionnement est identique. » « Les conditions de réussite reposent sur un référentiel national adapté à la psychiatrie », a ajouté Philippe Leprelle, directeur de l’Offre appui performance, à la Fondation du Bon Sauveur de la Manche, pour qui il est également impératif de revoir la tarification dédiée à la psychiatrie. Une manière également de garantir une équité d’accès des patients sur l’ensemble du territoire. Dans le cadre du Plan Ma Santé 2022, le groupe de travail sur la réforme du régime des autorisations de soins devrait permettre une réflexion sur la question.

Un exemple d’HAD psychiatrique

Il y a une dizaine d’années, le centre hospitalier de Montauban a répondu à un appel d’offre permettant la mise en place d’une HAD psychiatrique. « Pour l’instaurer, je me suis appuyé sur la circulaire de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) de 2004 qui définit les rôles et les objectifs de l’HAD », a expliqué le Dr François Olivier, médecin coordinateur de l’HAD, qui a fait le choix d’appuyer la structure sur l’établissement hospitalier. L’HAD psychiatrique du CH de Montauban intervient sur prescription dans le cadre d’une prise en charge limitée dans le temps mais renouvelable. Dix places sont accessibles pour des soins programmées et non pour des urgences. « Nous nous adressons à des personnes connues de la psychiatrie mais aussi à des personnes qui n’ont jamais été hospitalisées, a ajouté le médecin. Pour 24.3 % des patients que nous prenons en charge, leur première rencontre avec la psychiatrie est l’HAD. » C’est après une rencontre avec le patient, l’évaluation des risques et l’élaboration du projet personnalisé de soins, que les visites de l’HAD sont mises en place. La prise en charge s’ajuste en fonction des patients car pour certains, un passage de l’HAD sept jours sur sept est trop lourd. « Nous veillons à ce que les traitements soient bien pris et nous préparons aussi la suite de la prise en charge pour la qualité et le confort du patient », a indiqué le médecin.

Les soins sont assurés de 7h30 à 22h, avec une astreinte infirmière toutes les nuits. Le refus des patients reste faible, il est de quatre à cinq par an. Seul bémol : le délai d’intervention. « Nous prenons environ 6.5 jours avant de voir un patient pour son intégration et nous ne parvenons pas à réduire ce délai », a reconnu le médecin. Dans le cadre du développement de l’HAD, plusieurs interrogations se sont posées. « Généralement, dans le cadre d’une prise en charge en HAD, le médecin traitant est le prescripteur, a rappelé le Dr Olivier. Mais est-ce que cela doit toujours être le cas en psychiatrie ou faut-il que ce soit le psychiatre traitant ? » Dans ce cadre précis, une décision a été prise : le médecin traitant est toujours impliqué mais il revient au psychiatre traitant libéral ou hospitalier de prendre les décisions concernant le patient. De fait, « si la demande de prise en charge émane du médecin traitant, il doit appeler le psychiatre du secteur de proximité qui lui, va activer notre intervention avec l’accord du patient et de son entourage, et celui médecin coordinateur qui prend la décision finale », a conclu le Dr Olivier.

 

par Laure Martin