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Ehpad : "la crise a révélé la pauvreté des moyens et la disparité des situations" - interview du Pr Claude Jeandel

Plus d’un tiers* des 30 000 victimes françaises du Covid-19 résidaient dans un des 7 000 Ehpad de l’Hexagone. Qu’il s’agisse du manque de personnel, de la difficulté des soins, des moyens technologiques et psychologiques, de l’aide défaillante de l’État  des problématiques du confinement ou des relations empêchées avec les familles, cette crise a mis en lumière les limites et les faiblesses du modèle français proposé aux seniors. Responsable du pôle de Gériatrie du CHU de Montpellier et président du Conseil national professionnel de gériatrie, le Pr Claude Jeandel fait le point sur la situation des Ehpad et les évolutions indispensables

Propos recueillis par Laurent Joyeux.

LaurentJoyeux

claude jeandel photo INTLaurent Joyeux : Les instances gériatriques réunies – le CNP de Gériatrie (CNPG), la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG) et le Collège national des enseignants de gériatrie (CNEG) ont lancé l’alerte sur la gravité de la situation en Ehpad. Dans quel contexte la crise du Covid-19 est-elle survenue ?

Pr Claude Jeandel : Le modèle actuel des Ehpad est né en 2000. En deux décennies, la population a beaucoup changé, elle est devenue inhomogène. Les premières années, les résidents quittaient leur domicile pour s’installer en Ehpad. Aujourd’hui, ils arrivent après un séjour à l’hôpital et, avec un âge moyen de 83 ans, ils sont beaucoup plus âgés. Ils sont aussi plus dépendants avec un GIR (groupe iso-ressources) de 3 voire de 2. Il était de 5 en moyenne il y a 20 ans. Cela rend difficile la gestion de situations très disparates. D’autant que les Ehpad accueillent aussi des personnes en situation de handicap de 65 ans et plus, ainsi qu’une population de personnes qui présentent des troubles du comportement du type Alzheimer.

Les ressources humaines n’ont pas suivi cette charge en soins de patients plus dépendants et pluripathologiques. Pour des raisons éthiques, il nous est difficile de ne pas attirer l’attention sur les fragilités et l’inefficience d’un modèle qui n’est plus adapté pour répondre aux enjeux de la transition démographique et épidémiologique.

LJ : Les gériatres ont-ils été surpris par l’ampleur de la crise et le manque de ressources ?

Pr CJ : La surmortalité dans une population qui s’apparente souvent à celle des patients des unités hospitalières de soins de longue durée n’a été une surprise pour personne. En raison de la réduction de leurs capacités fonctionnelles et de leur très forte comorbidité, nos aînés ont été, sont et seront donc effectivement les plus à risque de contracter l’infection Covid-19 et plus encore de déclarer les formes de la maladie les plus graves.

Il est indispensable de séparer les établissements de type « hospitalier », proches des unités de soins longue durée, des Ehpad dédiés aux troubles du comportements, du type Alzheimer, pour des patients sans comorbidités.


La crise a révélé la pauvreté des moyens pour la prise en charge des résidents-patients. Tous les signaux faibles que nous pointions ont été rendus publics par la crise, en particulier le manque d’infirmières de nuit pour des patients en détresse respiratoire. Heureusement, les Ehpad ont pu s’appuyer sur la réserve sanitaire et leurs médecins ont eu une dérogation pour traiter les détresses respiratoires avec des molécules hospitalières comme le paracétamol et le rivotril injectables. Une situation malheureusement identique dans les différents types d’établissements : privés-lucratifs, associatifs, autonomes ou hospitaliers même si ces derniers, étant souvent d’anciens services de soins de longue durée, proches de l’hôpital ont pu mutualiser certains moyens.

LJ : Quelles sont les pistes pour faire évoluer les Ehpad de demain ?

Pr CJ : Plusieurs axes d’évolution seront à étudier comme le maintien à domicile en proposant différentes formes d’aide, la généralisation de la télémédecine, et la différenciation des établissements. Un outil de tarification comme PATHOS permettrait, par exemple, de définir les profils de soin requis pour différencier les Ehpad. Il est indispensable de séparer les établissements de type « hospitalier », proches des unités de soins longue durée, des Ehpad dédiés aux troubles du comportements, du type Alzheimer, pour des patients sans comorbidités.

Sur un plan technique, la crise du Covid-19, a montré tous les avantages de la télémédecine, de plus en plus pratiquée, tant pour les patients que pour les professionnels de santé. Après une première consultation en présentiel, le résident, assisté d’un professionnel, est suivi en téléconsultation. Les professionnels, de santé pour leur part, peuvent bénéficier de la télé-expertise et d’une hot-line avec des gériatres.

Au regard de cette évolution et des prévisions de la démographie, il est indispensable de redéfinir les missions de l’Ehpad de demain. Une réflexion d’autant plus nécessaire que de nombreuses familles qui ont perdu des proches envisagent des recours en justice et que, dans les semaines qui viennent, il va falloir appliquer les mesures contre la canicule estivale qui vont encore compliquer la tâche des personnels soignants.

*11 662 décès recensés au 28 avril dernier dont 2 899 survenus à l’hôpital. Chiffres Santé publique France

par Laurent Joyeux