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Point

Innovation en santé publique : la France peut mieux faire

L’Institut Pasteur de Lille a organisé le 7 novembre sa deuxième journée sur l’innovation en santé publique. Prévention, inégalités sociales de santé, changement des comportements, l’analyse du système de santé français a été approfondie.


Les points essentiels :

  • 16 % des assurés en affection longue durée concentrent 60 % des dépenses de l’Assurance maladie. La prévention peut être une solution.
  • Nous avons construit en France un système de soins plutôt qu'un système de santé.
  • 15 % des Français ontdéjà renoncer à se faire soigner : les inégalités sociales et territoriales de santé constituent un défi toujours d'actualité.
  • Ce qui est le plus difficile c’est de faire changer les comportements
  • La prévention s'organise au niveau local

« En France, nos innovations se diffusent peu et la prévention a des difficultés à intégrer les autres parties de notre système d’assurance maladie, contrairement à l’étranger où elles sont davantage incluses », rapporte le Pr Pierre-Henri Bréchat, membre de la Chaire santé de Sciences Po. De nombreuses innovations en santé publique existent dans l’Hexagone, à titre d’exemple, des programmes nationaux sur la consultation de l’aptitude physique du senior ou encore le programme sur la promotion de la santé par les activités physiques et sportives, et la prévention des conduites dopantes. « Ce sont de belles innovations mais elles ne sont pas mises en œuvre, indique-t-il. Nous avons une bonne dynamique mais on ne la diffuse pas. Nous sommes à un moment de notre histoire où nous avons un impératif de développement. » La diffusion d’une innovation jusqu’à son adoption par les professionnels de santé prend en moyenne 17 ans au niveau mondial, en France, il faut 30 ans. Selon le Pr Bréchat, tout le monde doit se former à devenir innovant pour améliorer la pratique.

Pourquoi la France est-elle si « en retard » sur l’innovation en santé publique ? « Dans les pays les plus riches, il y a eu une approche de la santé qui s’est médicalisée, rappelle Marie-Paule Kieny, ancienne sous-directeur général de l'Organisation mondiale de la santé, systèmes de santé et innovation. Nous avons favorisé les soins tertiaires, la spécialisation et nous avons enseigné cette approche aux étudiants. C’est une situation très différente dans les pays en voie de développement. Puisqu’ils ont moins de moyens, ils favorisent la prévention moins coûteuse. Si nous sommes peu performants, c’est parce que nous avons la culture du médecin, du médecin spécialiste et nous n’avons pas pris la problématique à bras-le-corps suffisamment tôt. »

Retard dans la prévention

L’innovation en santé publique, c’est également un défi en raison des maladies chroniques. En 2012, il y a eu 38 millions de décès en lien avec les maladies chroniques dans le monde. En France, 20 millions de personnes sont concernées et 10 millions sont pris en charge à 100 % par l’assurance maladie via le système des Affections de longue durée (ALD). Aussi, 16 % des assurés en ALD concentrent 60 % des dépenses de l’Assurance maladie. « La prévention peut être une solution, soutient André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie au CHU de la Pitié-Salpêtrière. Mais la France est très mal placée au sein de l’Union européenne. On se situe juste derrière les pays de l’Est car nous avons construit un système de soins et non un système de santé. »

« Il existe plusieurs médecines, soutient-il. Et à côté de la première médecine – les maladies aigües avec une gestion technique simple, et de la deuxième médecine – les maladies aigües graves avec une gestion technique complexe, on souhaite faire entrer la troisième médecine, qui consiste en la nécessité pour le patient d’adopter de nouveaux comportements, dans le même modèle. Or, avec cette troisième médecine, l’observance est problème majeur. » Les obstacles à l’observance sont nombreux. Ils peuvent être sociaux (financiers, territoriaux, culturels), relationnels (la décision médicale doit être partagée en confiance) et psychologiques (l’auto-inobservance devient un défi à la raison).

Des inégalités sociales prégnantes

Parmi les autres défis à relever selon le Pr Grimaldi : les inégalités sociales et territoriales de santé puisque le renoncement aux soins est d’environ 15 %. La France n’est en effet pas très bien positionnée. « Nous faisons partie des pays qui ont l’un des plus hauts niveaux d’inégalités sociales de santé. », souligne Florence Jusot, professeur de sciences économiques à l’Université Paris Dauphine. Les causes sont multiples : les conditions matérielles de vie, les déterminants psycho-sociaux, les effets des problèmes de santé sur la situation sociale, les comportements à risque, les différences de recours aux soins et à la prévention, les inégalités face à la complémentaire santé ou encore les difficultés d’accès aux droits. « Les inégalités sociales de santé sont perçues comme injustes, rappelle le Pr Jusot. Elles sont socialement construites et non choisies et donc en partie évitables. » Comment ? En réduisant les inégalités de revenus, en mettant en place des politiques éducatives ou en prenant en charge les conséquences sociales des maladies.

 Faire changer les comportements

« Ce n’est pas parce qu’on sait pourquoi il y a des inégalités qu’on sait les résoudre, rappelle le Pr Jusot. Le tiers payant, réduire le reste à charge, c’est très efficace pour les populations modestes. Mais ce qui est le plus difficile c’est de faire changer les comportements. » Différents types d’interventions le permettent. Par exemple,  restreindre le choix des individus avec la prohibition (interdiction de fumer dans les lieux publics), les obligations (vaccination, assurance), la délégation de la décision (parcours de soins). « Nous savons que c’est très efficace, rapporte le Pr Jusot. Mais cela ne s’applique qu’à certains. Par exemple, la réforme de l’Accord national interprofessionnel (ANI) concernant la mutuelle d’entreprise, ne concerne que les salariés ou les chômeurs de moins d’un an. De même que l’interdiction de fumer au travail ne concerne pas les chômeurs. Donc pour changer les comportements… » Autre type d’intervention : les incitations financières avec des taxes pour augmenter le coût des comportements délétères (tabac, produits gras, sucrés) ou des subventions totales ou partielles pour diminuer le coût des comportements bénéfiques.

Pour permettre la diffusion des innovations et diminuer les inégalités de santé, « la première mesure à prendre est de sortir de la réflexion selon laquelle la santé est un coût,

Initiative nationale : le mois sans tabac

En France, comme à l’étranger, des mesures sont prises pour essayer de faire changer les comportements. C’est le cas par exemple avec le dispositif « Mois sans tabac », une initiative gouvernementale, issue du modèle anglais créé en 2012, qui a débuté en 2016 et reconduite en 2017. « Le tabac est la première cause de mortalité évitable en France, rapporte Marie-Ange Testelin, ambassadrice du « Mois sans tabac » dans les Hauts-de-France, et directrice de l’association Espace de concertation et de liaison addictions tabagisme-Groupement régional d’alcoologie et d’addictologie (ECLAT-GRAA). Il est responsable d’un décès sur huit. 73 000 décès étaient attribuables au tabagisme en 2013 d’après Santé publique France. » 13.3 millions d’adultes fument quotidiennement mais 8 millions souhaitent arrêter. D’où la mise en place du dispositif « Mois sans tabac » car « 30 jours sans fumer multiplie par 5 les chances d’arrêter de fumer définitivement », informe Marie-Ange Testelin. Et d’ajouter : « Avec ce mois sans tabac, c’est la mise en avant du collectif, du principe d’équipe, pour pouvoir s’encourager, se motiver. » Les participants peuvent rejoindre des équipes existantes sur Facebook par exemple. La notion d’équipe est promue par le spot TV mais aussi par le slogan « En novembre on arrête ensemble et en équipe ».

Sport sur ordonnance

Au niveau local, les collectivités aussi s’engagent dans la prévention et les innovations pour agir sur les maladies chroniques. C’est le cas de Strasbourg, qui a mis en place dès novembre 2012 le dispositif « Sport santé sur ordonnance » pour répondre à la forte prévalence du diabète, de l’hypertension et du surpoids. D’ailleurs dès 2013 la ministre des Sports de l’époque, Valérie Fourneyron, c’était rendu à Strasbourg pour rencontrer les acteurs du projet et en 2015, elle a déposé un amendement au projet de loi de santé sur la prescription de l’activité physique adaptée.

« À Strasbourg, le dispositif permet d’accompagner les personnes dans leur rapport à l’activité physique, explique Maud Ebstein-Breton, chargée de projets au service Promotion de la santé de la personne, à la Direction des solidarités et de la santé de la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg. Il s’agit d’un dispositif municipal qui s’adresse uniquement aux habitants de Strasbourg et non à ceux de l’Eurométropole. » Les pathologies ciblées sont nombreuses : les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, le cancer du sein, du colon, les personnes atteintes d’hypertension artérielle et d’obésité, les personnes porteuses du VIH et du Sida, et les seniors de plus de 60 ans dans le cadre de la prévention des chutes. « Ce sont les médecins généralistes qui sont la porte d’entrée dans le dispositif, fait savoir Maud Ebstein-Breton. On parle d’un parcours de santé coordonné. » Le médecin présente le dispositif au patient, et s’il est d’accord, il prend rendez-vous avec un éducateur sportif de la ville qui lui fait passer différents tests physiques et l’oriente vers des activités. Aujourd’hui 80 séances d’activités physiques et sportives sont proposées à Strasbourg du lundi au samedi. Au 31 octobre 2017, au moins 716 personnes étaient actives dans le cadre de ce programme – elles allient à deux séances d’activités physiques encadrées au moins. Depuis novembre 2012, 1907 personnes ont bénéficié du dispositif et 330 médecins prescripteurs ont délivré au moins une ordonnance. 72 % des bénéficiaires sont des femmes. Deux services de la ville sont dédiés au dispositif : le service Promotion de la santé et le service Vie sportive avec une équipe municipale avec 5.5 ETP éducateurs sportifs. Des équipements sont également mis à disposition comme des gymnases, des piscines, des plans d’eau, des stades, des parcs. Le dispositif est gratuit la première année, puis à partir de la seconde, une tarification solidaire est appliquée, en lien avec le quotient familial.

À l’étranger

À l’étranger aussi les collectivités ne sont pas en reste. « Notre objectif est d’augmenter le nombre de personnes ayant une activité physique, surtout la marche parce que l’inactivité coûte 6 milliards de dollars canadiens par an au système de santé, soit 4 % des coûts de santé, explique Kerry Mummery, professeur à l’Université de l’Alberta au Canada, à l’origine du dispositif UWALK, un programme reposant sur de multiples stratégies pour promouvoir l’activité physique en population. À l’origine, le dispositif a été mis en place à Rockhampton, en Australie, où il a été appelé le programme des 10 000 pas. Il a ensuite été repris il y a trois ans à Edmonton, sous le nom UWALK. L’objectif est de convaincre la population de marcher, afin d’augmenter son activité physique. « Au Canada et en Australie nous considérons que c’est la meilleure intervention de santé publique de ces dernières années, fait savoir Kerry Mummery. Nous avons touché deux fois plus de femmes que d’hommes. »

L’Université de Sheffield Hallam au Royaume-Uni a eu une initiative similaire afin « d’apporter un nouvel élan à la population pour l’activité physique », fait savoir Robert Copeland, professeur en activité physique à l’Université de Sheffield Hallam et fondateur du centre national pour le sport et l’exercice. Il explique que dans cette ville, deux sociétés coexistent, une population très riche et une autre très pauvre, avec des enjeux majeurs en termes de santé et d’inégalités flagrantes. « Nous voulons donc créer un système pour faire de la prévention afin qu’on puisse donner des conseils pour la santé », indique-t-il. L’objectif a été de cibler l’ensemble des habitants de la ville afin que « tout le monde devienne acteur de ce changement ».

par Laure Martin