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Santé des jeunes : « Il faut recréer des liens entre les médecines »

Le député démocrate, Cyrille Isaac-Sibille et la députée socialiste, Ericka Bareigts, ont rendu le 12 septembre dernier , un rapport d’information sur la prévention santé en faveur de la jeunesse. Les deux rapporteurs ont souhaité engager une réflexion de fond sur le système de santé, en centrant leurs travaux sur la prévention primaire. Quels bilans et quelles recommandations ? Le point avec le Dr Isaac-Sibille.

 Propos recueillis par Laure Martin

LaureMartin

 

L'essentiel

• Le grand écart entre prévention (pas assez) et soins (beaucoup) s'explique en France historiquement par la segmentation entre le soin confié aux professionnels de santé et financé par l’Assurance maladie et la a prévention, la Protection maternelle et infantile (PMI), la dépendance, le handicap attribuées à l’État ou aux collectivités.

• Il n'y a pas assez de partages des données entre les différents acteurs : médecine scolaire, PMI, données socio-économiques, assurance maladie...

• Une colonne vertébrale et de vrais référentiels doiventt être redonnés à la prévention aujourd’hui éparpillée, afin de communiquer sur les bons comportements qui s’acquièrent le plus tôt possible, dès l’école.

• Les fonds consacrés à la prévention sont évalués à environ 6 % des dépenses de santé, soit 15 milliards d’euros. Mais ce chiffre est souvent discuté.

 

DrIsaacsybille plan sante jeune M Soigner : Pourquoi avoir été à l’initiative de ce rapport ?

Dr Cyrille Isaac-Sibille : L’ensemble des acteurs de la prévention attendaient depuis longtemps un portage politique dans le domaine de la prévention en santé. Depuis la campagne présidentielle, l’éclairage est réel. Comme je suis médecin et que bien entendu je m’intéresse à la prévention, je n’ai pas voulu que les choses retombent. Depuis vingt ans, les déclarations d’intention sont nombreuses, mais pas les actes. Aussi, je me suis saisi du sujet et j’ai demandé à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, de me confier une mission parlementaire sur le sujet.

M Soigner : Comment la France se positionne-t-elle sur la prévention santé en faveur de la jeunesse ?

Dr C.Isaac-Sibille : Les inégalités sont nombreuses dans l’accès à l’éducation et à la santé, auxquelles s’ajoutent - comme le rappelle la stratégie de lutte contre la pauvreté présentée le 13 septembre par Emmanuel Macron - des inégalités de destin. Lorsque dès le plus jeune âge, on n’a pas accès à la santé ou à une éducation à la santé, il est difficile de s’en sortir. Aujourd’hui en France, les inégalités se creusent. La différence d’espérance de vie s’aggrave entre les mieux et les moins bien lotis pour atteindre aujourd’hui 13 ans !

M Soigner : Pourquoi la France tarde-t-elle à mettre en œuvre des politiques de prévention pour les jeunes malgré l’efficience de ces politiques de santé publique ?

Dr C.Isaac-Sibille : Historiquement, tout découle de la décision historique de 1945, date à laquelle la santé a été segmentée. Ce qui relève du soin a été confié aux professionnels de santé et financé par l’Assurance maladie. La prévention, la Protection maternelle et infantile (PMI), la dépendance, le handicap ont été confiés à l’État ou aux collectivités. Depuis 70 ans, nous constatons que le soin s’est hypertrophié et que la prévention est devenue le parent pauvre. Il faut selon moi réconcilier les santés, car les financements, les professionnels de santé et les données ont été segmentés.

"Depuis 70 ans, nous constatons que le soin s’est hypertrophié et que la prévention est devenue le parent pauvre."

M Soigner : Y a-t-il des maillons faibles ?

Dr C.Isaac-Sibille : Oui, deux ! La PMI et la médecine scolaire qui travaillent chacune de leur côté. La PMI a été confiée au département. Le président de la République a d’ailleurs annoncé qu’il fallait redonner un nouveau souffle aux PMI. Certains départements sont aujourd’hui moteurs et d’autres moins. Les dépenses par enfant de moins de 4 ans varient entre 13 euros et 600 euros selon les départements. L’inégalité territoriale au niveau de la PMI est réelle.
Il faut réconcilier les santés en commençant par les statuts des professionnels de santé. Les différents modes d’exercice de la médecine sont cantonnés par secteur. Il paraît nécessaire de créer des passerelles car en PMI et en médecine scolaire, les médecins ne sont pas suffisamment nombreux.

M Soigner : Votre rapport évoque également l’importance des données…

Dr C.Isaac-Sibille : Effectivement, car il n’y a pas de lien entre les données de la médecine de PMI, celles de la médecine scolaire et l’Assurance maladie. Les dossiers sont complètement étanches. Ils devraient être chaînés pour que les médecins scolaires puissent savoir ce qu’ont écrit avant eux les médecins de PMI ou encore les pédiatres et ainsi offrir un suivi individuel à chaque enfant. D’un point de vue épidémiologie, cela permettrait aussi de connaître l’état de santé de la population des enfants en fonction des gradients sociaux et territoriaux. Le Dossier médical partagé (DMP) devrait par ailleurs être ouvert dès la naissance pour que les 5 à 10 % d’enfants les plus fragiles puissent être convoqués afin de bénéficier d’examens systématiques. Pour que cela fonctionne, il faut refaire du lien.

"Il n’y a pas de lien entre les données de la médecine de PMI, celles de la médecine scolaire et l’Assurance maladie. Les dossiers sont complètement étanches. Ils devraient être chaînés."

M Soigner : Vous prônez également la prévention ciblée. Comment toucher les différents groupes sociaux et les différents territoires ?

Dr C.Isaac-Sibille : C’est justement lié aux données. Nous connaissons tout des parents, sauf leur niveau socio-économique. Nous n’avons pas le droit de croiser ces données. Il faudrait que nous puissions le faire afin de les cibler et ainsi adopter un comportement différencié en fonction des familles.
Hors Ile-de-France, plus de 26 000 actions de prévention sont recensées à l’initiative des communes, de l’Education nationale, des Instances régionales d'éducation et de promotion de la santé (IREPS). Certaines sont bonnes, d’autres moins. Mais seulement quelques dizaines ont été évaluées. Il faudrait un référentiel, créé par des instances nationales comme Santé publique France, pour évaluer ces initiatives. Une colonne vertébrale doit être redonnée à la prévention aujourd’hui éparpillée, afin de communiquer sur les bons comportements qui s’acquièrent le plus tôt possible, dès l’école.
Il faut aussi faire en sorte que ce qui existe déjà soit fonctionnel comme le parcours éducatif en santé. Mais depuis trois ans, il se met en place difficilement. 

M Soigner : Il faudrait donc engager plus de fonds dans la prévention ?

Dr C.Isaac-Sibille : Les fonds consacrés à la prévention sont évalués à environ 6 % des dépenses de santé, soit 15 milliards d’euros. Mais cela inclus aussi les médicaments comme les anti-diabète, les antihypertenseurs. En réalité, seulement 2 % des dépenses de santé seraient consacrés à la prévention. Il n’est pas toujours aisé de savoir quelles dépenses relèvent de la prévention et lesquelles relèvent du soin. Il faudrait que nous puissions bénéficier d’un document de politique transversale afin de savoir exactement ce qui est mis en œuvre dans le domaine de la prévention primaire. Ces informations devraient être inscrites dans le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).  

"Il faudrait que nous puissions bénéficier d’un document de politique transversale afin de savoir exactement ce qui est mis en œuvre dans le domaine de la prévention primaire"

Par ailleurs, les problèmes de santé sont liés à la fois à des comportements individuels mais aussi environnementaux. Actuellement, environ 17 milliards d’euros de taxe comportementale sont collectés sur les sodas, etc. Ils devraient être fléchés pour financer la prévention. C’est déjà le cas pour la taxe tabac, mais il faudrait que ce soit le cas pour beaucoup d’autres taxes.

par Laure Martin