Haro sur les perturbateurs endocriniens

Quelles mesures prendre depuis le plus jeune âge pour réduire impact des perturbateurs endocriniens sur la santé ?

Par Laure Martin

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« L’incidence des maladies chroniques non communicables, à l’opposé des maladies infectieuses, augmente avec le temps, a expliqué Laurent Storme, professeur de pédiatrie au CHU de Lille et coordinateur du projet Fédératif hospitalo-universitaire (FHU) « 1 000 jours pour la santé ». Quel que soit les niveaux de revenus des pays, ce problème va s’accentuer avec le temps : cancer, maladies allergiques, neurodégénératives, cardiovasculaires… » L’origine de ces maladies est en partie génétique, les gènes définissant une sorte de parcours de santé du jour de la conception d’une personne jusqu’à sa mort. « Notre environnement altère notre santé et plus nous sommes exposés précocement dans la vie à un environnement délétère, plus l’impact sur la santé à l’âge adulte sera important », a précisé le Pr Storme. Il existe néanmoins une fenêtre de vulnérabilité ou d’opportunité de 1000 jours, c’est-à-dire de la conception jusqu’aux deux ans de l’enfant, au cours de laquelle tout doit être mis en œuvre pour réduire l’exposition aux facteurs délétères de l’environnement. « Il s’agit d’une sorte de rampe de lancement dans la vie, a-t-il souligné. Si nous sommes lancés dans un angle favorable et dans un environnement favorable, alors notre santé à l’âge adulte sera de meilleure qualité. »

Notre environnement altère notre santé et plus nous sommes exposés précocement dans la vie à un environnement délétère, plus l’impact sur la santé à l’âge adulte sera important

Les effets bénéfiques à chercher

Les méfaits des perturbateurs endocriniens sont très importants sur la santé : retard de croissance, survenue de pathologies cardiovasculaires. Le Pr Storme a révélé que des liens ont été trouvés entre les perturbateurs endocriniens et les troubles du spectre autistique ainsi que les troubles de l’attention, l’impact le plus important étant neuro-développemental. Il souhaite donc qu’un message soit passé aux patientes enceintes et aux mères de jeunes enfants mais regrette que les professionnels de santé soient peu informés sur le sujet. « Nous avons besoin de transmettre des informations scientifiquement fondées, a-t-il soutenu. Or, les professionnels de santé s’informent auprès des mêmes canaux que le grand public, c’est discordant. »

Le but du projet FHU « 1000 jours pour la santé » est de faire le lien entre les données scientifiques et les patientes exposées. Des conseils sont ainsi donnés aux mères : faire attention à leurs cosmétiques qui les exposent aux perturbateurs endocriniens, ne pas oublier de préparer la chambre du bébé quelques mois avant la naissance afin de laisser dégazer les meubles et penser à aérer la chambre tous les jours deux fois par jour. Les mères sont encouragées à privilégier l’allaitement maternel qui a un impact clairement favorable sur la santé en offrant des bénéfices neurocognitifs pour le développement psychomoteur des enfants. « On le constate à l’âge de 20 ans et même de 67 ans, » a précisé le Pr Storme. De même que l’activité physique est importante tout comme éviter le stress, toxique pour le développement de l’enfant.

Nous sommes tous très exposés aux phtalates, et nous en trouvons beaucoup à l’hôpital, notamment dans les dispositifs médicaux en PVC


Dans le cadre du FHU « 1000 jours pour la santé », un projet d’envergure a été mené au CHU de Lille. « Nous sommes tous très exposés aux phtalates, et nous en trouvons beaucoup à l’hôpital, notamment dans les dispositifs médicaux en PVC, a fait savoir le Pr Storme. C’est le cas aussi dans la prise en charge des bébés prématurés qui sont reliés à de nombreux dispositifs médicaux. Or, en sélectionnant les dispositifs médicaux concernés et en les remplaçant par d’autres, il a été possible de réduire les expositions des nourrissons. » Pour mener cette démarche pour un hôpital sans perturbateurs endocriniens, une mobilisation des acheteurs, des pharmaciens, des cadres de santé et de la néonatalogie a été nécessaire.

Prêter attention à notre environnement quotidien

François Veillerette, directeur de l’association Générations Futures qui, cherche, comme son nom l’indique, à protéger les générations futures des pesticides, approuve les conseils donnés aux futures mamans et mères de jeunes enfants. L’association a mené de nombreux combats dans le domaine de la lutte contre les perturbateurs endocriniens. A titre d’exemple, sa campagne Menus Toxiques en 2010, a donné un aperçu de l’exposition alimentaire à divers polluants. L’étude a montré que 36 pesticides différents sont ingérés dans la journée par un enfant d’une dizaine d’années tout comme 128 résidus chimiques, ce qui représentent 81 substances chimiques différentes. « L’exposition alimentaire aux perturbateurs endocriniens est réelle », a fait savoir François Veillerette. De même que nous sommes quotidiennement exposés aux perturbateurs endocriniens dans les moquettes, les matelas, les tissus d’ameublement.

L’association a également mené une enquête afin de savoir si les populations vivant dans des zones agricoles (vignes, vergers et champs) étaient exposées en permanence et jusque dans leur habitation aux pesticides. Entre 8 et 30 pesticides par habitation ont été détectés dans la poussière des habitations testées, sur les 61 pesticides recherchés. Des pesticides ont également été retrouvés dans les cheveux des enfants.

Législation européenne
En novembre 2018 la Commission européenne a publié la stratégie de l’Union européenne (UE) sur les substances chimiques perturbatrices endocriniennes. Pour Générations futures, ce texte manque de mesures précises et d’un calendrier sur la manière de mieux protéger les citoyens et l’environnement des polluants chimiques dangereux. L’association salue le fait que la Communication se donne pour objectif de réduire les expositions. Les autres aspects positifs reposent sur les engagements pour davantage de collaboration internationale, de recherche et d’information des citoyens sur les perturbateurs endocriniens, notamment en encourageant les Etats membres à mener des campagnes de sensibilisation. Cependant, d’après l’association cette Communication n’évoque aucune initiative pour parvenir à réduire réellement les expositions et ne propose rien qui permet d’homogénéiser le contrôle des perturbateurs endocriniens dans l’ensemble des législations européennes, afin de réduire l’exposition de la population et de l’environnement à ces substances. Un réel regret pour Générations Futures.

 

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par Laure Martin