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COMME À LA FAC - Comprendre la crise coronavirus est animée par Maël Lemoine, professeur à l'Université de Bordeaux et chercheur dans une unité CNRS d’immunologie, ImmunoConcept. Son but est de prendre du recul sur les événements Covid-19 en vous livrant un éclairage court et posé de niveau universitaire. Dans ce 3e épisode le professeur explicite ce qu'implique la promotion d’un traitement candidat avant de connaître les résultats des tests  qui plus est en période de crise.

Par Maël Lemoine.

Ci-dessous UNE VIDEO de 3 minutes immédiatement  suivie D'UN ARTICLE

Voir l'épisode #1 sur le scénario d'atténuation
Voir l'épisode #2 sur le scénario d'endiguement

 

#3 : Les traitements du Covid-19 : pourquoi il faut rester prudent en temps de crise [VIDÉO]

La promotion d’un traitement candidat avant de connaître les résultats des tests équivaut à faire le pari que ce traitement sera plus prometteur que les autres. Mais sur quoi se fonde ce pari ?

Il faut se féliciter de l’extrême rapidité avec laquelle les chercheurs ont pu proposer des molécules potentiellement efficaces sur le Covid-19. En France, aux Etats-Unis, c’est l’hydroxychloroquine qui a retenu surtout l’attention médiatique.

Des polémiques artificielles se sont déjà constituées autour de la prétendue lenteur des autorités de régulation à accepter la diffusion massive de ces nouveaux traitements. A chaque fois qu’un traitement innovant a fait parler de lui avant sa mise à l’épreuve, surtout dans un contexte de vie ou de mort et en l’absence d’alternative thérapeutique, il y a eu des pressions pour brûler les étapes habituelles de la validation.

En effet, ne serait-il pas criminel d’être tatillon dans les circonstances dramatiques que nous connaissons ?

Quelques rappels sur la démarche scientifique

En réalité, nous avons tous appris de la médecine fondée sur les preuves qu’il faut passer par les fourches caudines d’essais cliniques rigoureux. Je voudrais expliquer ici pourquoi c’est vraiment nécessaire.

En premier lieu, en médecine, on s’appuie généralement sur deux types de preuves pour établir un lien de cause à effet. L’une établit un mécanisme d’action plausible, l’autre établit une association statistiquement observable entre un traitement et des effets.

Qu’une hypothèse mécanistique établisse, par exemple, que la chloroquine peut être efficace, ce n’est pas une raison de s’enthousiasmer. C’est seulement le minimum qu’on puisse demander. C’est aussi le cas des quatre autres traitements testés dans l’essai européen Discovery, et de la vingtaine de traitements testés officiellement aux Etats-Unis. Une étude pré-publiée dimanche dernier mentionne une soixantaine de molécules connues qui pourraient cibler les protéines virales du SARS CoV-2. Une autre débute tout juste : elle passera au crible des millions de molécules connues.

La promotion d’un traitement candidat avant de connaître les résultats des tests équivaut à faire le pari que ce traitement sera plus prometteur que les autres. Mais sur quoi se fonde ce pari ? Pour qui n’a aucun biais, et même pour qui examine les arguments à l’appui de toutes les molécules candidates, les chances sont peu ou prou les mêmes pour tous ces traitements. C’est clairement se lancer massivement dans un seul traitement, qui pourrait résulter en une perte de chances, et non tester tous les plus prometteurs.

Mais ce n’est pas tout. Il faut s’attendre plutôt à ce qu’aucun de ces traitements repositionnés, comme on les appelle, ne produise un effet spectaculaire sur cette infection.

L’histoire récente des antiviraux est pavée de bien plus d’échecs que de succès

Il faut se rappeler en effet que l’histoire récente des antiviraux est pavée de bien plus d’échecs que de succès assourdissants. Pourtant, à l’appui de chacun de ceux qui avaient passé le stade de l’efficacité in vitro, il y avait une belle histoire, une logique infaillible montrant que cela devait marcher.

Je ne suis pas prophète. Je fais seulement le pari le plus réaliste au vu de notre expérience récente. Je me range à l’espoir raisonnable des médecins de terrain, que l’un de ces traitements au moins réduise un peu la proportion des patients qui présentent la forme grave de la maladie et soulage la surcharge du système de santé. Ce serait déjà beaucoup. Et cela accélèrerait la sortie de crise, que j’ai abordée dans les deux premières vidéos de cette série.

On peut espérer aussi que ceux qui auront vendu du rêve et seront démentis par les faits, auront la décence de reconnaître publiquement que les résultats sont décevants, et qu’ils feront amende honorable d’avoir voulu brûler les étapes.

Car aujourd’hui il y a des spécialistes de l’interféron bêta, des antiviraux et de la chloroquine. Mais il n’a pas encore de spécialiste du SARS CoV-2.

Dans le prochain épisode, je m’attarderai sur la question opposée : combien de patients atteints du covid-19 sont-ils passés inaperçus ?

par Maël Lemoine