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Covid-19 : la prise en charge psychiatrique en première ligne

Le confinement lié à la crise sanitaire que traverse le pays actuellement a des conséquences sur les patients bénéficiant d’une prise en charge psychiatrique ainsi que sur la population en général. Les psychiatres alertent et répondent présents.

Par Laure Martin.

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Au Centre référent, réhabilitation psychosociale et remédiation cognitive (C3R) de Grenoble, qui assure un suivi au long court des patients présentant des troubles autistiques, schizophrènes ou encore bipolaires, toutes les consultations sont fermées depuis l’annonce du confinement. « Nous avons arrêté les consultations non urgentes afin d’éviter les risques de contamination », explique le Dr Christophe Gauld, interne en psychiatrie au C3R.

Au Centre hospitalier Charles Perrens, à Bordeaux, les services aussi se réorganisent afin d’affronter la vague de prises en charge à venir. « Dans le Sud-Ouest, nous sommes encore un peu épargnés par l’infection au Covid-19, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les patients sont transférés de l’Est vers l’Ouest, néanmoins, nous nous y préparons, rapporte Bruno Aouizerate, professeur de psychiatrie et médecin au Centre de référence régional des pathologies anxieuses et de la dépression, au CH Charles Perrens. Nous avons diminué les activités ambulatoires au sein des Centres médico-psychologiques (CMP) et des hôpitaux de jour pour focaliser toute notre attention sur les activités d’hospitalisation. Nous avons aussi arrêté pour le moment les consultations pour les nouveaux bilans, qui sont reportées à fin mai/début juin. » Cette réorganisation est notamment nécessaire face au redéploiement du personnel appelé à la prise en charge des patients atteints du Covid-19. « Certains de nos médecins et de nos paramédicaux suppléent aux équipes médicales, et d’autres peuvent ainsi tomber malade alors nous anticipons », indique le Pr Aouizerate.

La téléconsultation comme solution

Cette diminution de l’activité ne veut pas dire pour autant une rupture totale de l’activité. Les patients ne sont pas laissés seuls. « Nous assurons des téléconsultations ou des consultations téléphoniques pour nos patients les plus sévères, fait savoir le Pr Aouizerate. C’est la meilleure solution dans ce contexte. Cela nous permet d’ailleurs d’échanger avec eux sur l’impact du confinement sur leur symptomatologie habituelle. » Le lien est ainsi gardé avec des consultations de trente minutes environ tous les dix à quinze jours. « On s’aperçoit que ce n’est pas si difficile à mettre en place, poursuit le Dr Gauld. Mes collègues profitent de la crise pour le mettre en place et comptent continuer à s’en servir post-crise. » Ce lien est d’autant plus important qu’en plus « du rôle médical qui nous conduit à gérer l’inquiétude, la frustration ou encore la colère de nos patients, nous avons un rôle important d’éducation vis-à-vis d’eux, fait savoir le Dr Gauld. Ce sont des personnes vulnérables qui ont besoin de conseils et de comprendre les risques face à la crise sanitaire actuelle. La maladie fait peur à tout le monde. »

Le confinement peut être un exacerbateur de leur pathologie mais aussi chez les soignants et au sein de la population en général. (...) Au sortir de la crise, nous allons devoir rattraper les pots cassés, nous en sommes quasi-sûrs.

Attention aux risques de décompensation

Si l’organisation en temps de crise se met en place, c’est la gestion post-crise sur laquelle il va falloir porter une grande attention. « Les risques de décompensation sont l’une des grandes craintes de nos services, reconnaît le Dr Gauld. Au sortir de la crise, nous allons devoir rattraper les pots cassés, nous en sommes quasi-sûrs. » Et de poursuivre : « Pour le moment, nous parvenons à gérer le flux, mais dès que la crise sanitaire sera passée, nous allons devoir reprendre les dossiers en retard et aussi prendre en charge les patients qui auront décompensé. »

L’après confinement va donc devoir être rapidement évalué car les effets peuvent se ressentir non seulement chez les patients déjà pris en charge au sein de structures psychiatriques, pour qui, le confinement peut être un exacerbateur de leur pathologie mais aussi chez les soignants et au sein de la population en général. « Le confinement peut entraîner une dégradation de l’état de santé de nos patients, plus vulnérables, mais aussi de la population, indique le Pr Aouizerate. Les effets connus sont l’irritabilité, les insomnies, la difficulté à se concentrer, à prendre des décisions, à s’engager au travail avec pour conséquence des signes de dépression, d’anxiété et de traumatisme. » Et c’est sans compter sur les personnes âgées qui sont elles aussi confinées chez elles, isolées, en rupture de lien social. « Nous allons avoir une hausse du nombre de patients qui vont consulter, estime-t-il. Et il faut bien comprendre que les effets ne s’atténuent pas après le confinement. Les symptômes peuvent perdurer. »

Le confinement peut entraîner d’autres troubles comme une exacerbation des addictions, ou encore une augmentation du nombre de violences contre les enfants et les femmes. « Une grand part de l’activité de psychiatrie est d’ailleurs tournée vers le médico-légal… », rappelle le Dr Gauld.

Les personnes qui ont également été « empêchées » dans leur deuil, ne pouvant se recueillir auprès de leur défunt par risque de contagion, sont également concernées.

« L’hôpital va être prêt à cette gestion et la hausse de cette prise en charge va également être assurée par la médecine de ville », soutient le Pr Aouizerate, expliquant l’importance que vont avoir les vacances d’été sur les patients afin de permettre aux familles de se retrouver.

Les psychiatres libéraux plus que jamais disponibles

Les psychiatres privés (libéraux et salariés de cliniques et du médico-social) de l’Association française des psychiatres d’exercice privé et Syndicat national des psychiatres privés (AFPEP-SNPP) tiennent à rappeler que les cabinets de ville des psychiatres restent par principe ouverts, et que la plupart des psychiatres privés se sont formés en urgence à la pratique de la téléconsultation. « L’accès aux soins psychiatriques auprès des professionnels libéraux est donc largement assuré », affirment-ils. En moins de 48h, une centaine d’entre eux se sont portés volontaires pour libérer des créneaux spécifiques de consultations sans dépassement d’honoraire pour les personnels soignants « confrontés à des situations douloureuses, éprouvantes, voire traumatisantes » et qui ont besoin de soutien psychiatrique.

Et plus globalement, les psychiatres privés informent avoir pris toutes les dispositions pour que les personnes en souffrance puissent compter sur eux pour des consultations en présentiel dans le respect des consignes de prévention de contamination ou en téléconsultation lorsque ce type d’organisation est possible. Ils souhaitent d’ailleurs avoir la possibilité de faire, par dérogation, des téléconsultations par téléphone lorsque l’usage de la vidéoconsultation est impossible ou non approprié (difficultés de saturation des réseaux internet, réticence du patient, confidentialité). Cette pratique, reconnue pour le service public de psychiatrie, doit l’être également pour les psychiatres de ville.

par Laure Martin