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Comme à la fac
#5 Peut-on compter sur les tests diagnostiques du Covid-19 ?

Depuis le début de la crise, beaucoup voient dans la pénurie de tests une cause de l’inefficacité de l’action publique contre l’épidémie de Covid-19. Ce 5e épisode de "Comme à la fac" pose la question de leur utilité et livre divers avis sur leur fiabilité. COMME À LA FAC - Comprendre la crise coronavirus est animée par Maël Lemoine, professeur à l'Université de Bordeaux et chercheur dans une unité CNRS d’immunologie, ImmunoConcept. Son but est de prendre du recul sur les événements Covid-19 en vous livrant un éclairage court et posé de niveau universitaire.

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#5 Peut-on compter sur les tests diagnostiques du Covid-19 ?

Depuis le début de la crise, beaucoup voient dans la pénurie de tests une cause de l’inefficacité de l’action publique contre l’épidémie de Covid-19. Selon les chiffres avancés par Nature le 23 mars dernier, la France aurait testé environ 500 personnes par million d’habitants, les Etats-Unis presque deux fois moins et l’Allemagne quatre fois plus. La Corée du Sud en aurait testé environ dix fois plus et les Emirats Arabes Unis… vingt fois plus. Mais à quoi servent les tests ? Et préalablement à laquestion même de leur utilité, quelle est leur fiabilité ?

Par Maël Lemoine.

MaelLemoine

Les tests servent à déterminer la présence du SARS CoV-2 dans un organisme. Mais pour quoi faire ? Soulager quelqu’un de savoir qu’il n’a pas le Covid-19, ou bien qu’il est immunisé ? L’inquiéter, à l’inverse, si c’est ce qu’il a ou s’il n’est pas immunisé ? Objectivement, cela ne change pas grand-chose à ce stade. Etre négatif maintenant ne garantit pas que vous le serez toujours à la fin de la journée, et test positif ou pas, vous partez en réanimation si vous ne respirez plus.

Ce serait déjà plus utile de savoir cibler qui devrait être mis en quarantaine et qui peut être dispensé de confinement. Or le problème n’est pas tellement le manque de tests, insistait Nature dans son podcast du 20 mars dernier : c’est plutôt le manque d’épidémiologistes. Une personne positive représente des heures de travail d’investigation de ses contacts. Il faut autant de petites équipes que de cas explorés. C’est faisable seulement quand une épidémie débute, pas quand elle bat déjà son plein.

L’utilité principale des tests, aujourd’hui, n’est pas individuelle. Elle est populationnelle. Le nombre de cas enregistrés sert aujourd’hui à estimer la forme de la courbe et à extrapoler la dynamique de l’épidémie. Le directeur de l’Institut National des Allergies et des Maladies Infectieuses, le Dr Fauci, pouvait ainsi annoncer, au moment où les Etats-Unis franchissaient tout juste le cap des 2000 morts, que le nombre de morts se situera entre 100 000 et 200 000 si les mesures de confinement sont respectées, dix fois plus si elles ne le sont pas.

Mais dans un article d’opinion publié récemment sur STAT, Farzad Mostashari et Ezekiel J. Emanuel, médecins, insistaient sur l’utilité d’études en population générale, qui nous permettraient d’estimer les cas non-détectés, dont j’ai parlé dans l’épisode 4 de cette série.

Quels tests ? Quelle fiabilité ?

Encore faut-il qu’on puisse faire confiance à ces tests. Il en existe de deux types : les PCR, qui détectent l’ARN viral, et les ELISA, qui détectent les anticorps produits par le système immunitaire. Les premiers peuvent servir dès le début de l’infection et jusqu’à la disparition du virus. Leur problème est qu’il ne se trouve pas toujours une charge virale détectable là où l’échantillon a été prélevé. Les sociétés qui commercialisent ces tests en vantent la sensibilité. Sur le terrain, je vois circuler des taux officieux de faux négatifs se situant entre 30 et 50%. Difficile de vérifier ces chiffres.

La sérologie ne peut détecter d’anticorps qu’à partir du moment où le système immunitaire les produit, c’est-à-dire tardivement. Le problème est ici davantage celui des faux positifs : le test n’est probablement pas assez spécifique à l’heure actuelle.

Les espoirs se portent aujourd’hui sur des tests basés sur la technologie CRISPR, qui seraient à la fois rapides et extrêmement spécifique. Reste à évaluer leur sensibilité.

Comprendre la vraie nature des informations apportées par ces tests et leurs imperfections, cela ne devrait pas nous conduire au scepticisme. C’est simplement crucial pour comprendre l’acte III de la crise, celui qui commencera avec la levée du confinement. Car ce n’est pas en mettant tous nos espoirs en une seule chose, un confinement, des tests, un traitement ou un vaccin, qu’on fait le pari le plus rationnel.

Dans le prochain épisode, je reviendrai sur une ligne de désaccord entre experts et responsables : l’utilité des masques pour contrôler la contagion.

par Maël Lemoine