Comme à la fac - #11 Jugeons-nous correctement de l’efficacité des traitements ?

Depuis le début de l'épidémie, divers traitements sont proposés pour lutter contre le covid-19. Comment en déterminer leur efficacité ? COMME À LA FAC - Comprendre la crise coronavirus est animée par Maël Lemoine, enseignant en philosophie des sciences médicales à la faculté de médecine de Bordeaux et chercheur dans une unité CNRS d’immunologie, ImmunoConcept. Son but est de prendre du recul sur les événements Covid-19 en  délivrant un éclairage court et posé de niveau universitaire.

Ci-dessous une vidéo de trois minutes immédiatement suivie d'un article

Accéder à la playlist de tous les épisodes : Comme à la fac : comprendre la crise covid-19

Voir l'épisode #1 sur le scénario d'atténuation
Voir l'épisode #2 sur le scénario d'endiguement
Voir l'épisode #3 sur les traitements à l'étude
Voir l'épisode #4 sur le nombre de cas non-détectés
Voir l'épisode #5 sur les tests diagnostiques

Voir l'épisode #6 sur l'utilité des masques
Voir l'épisode #7 sur le nombre de morts
Voir l'épisode #8 sur les arguments contre le confinement
Voir l'épisode #9 sur l'impact du beau temps
Voir l'épisode #10 sur les facteurs de risque du covid-19

#11 Jugeons-nous correctement de l’efficacité des traitements ?

L'apparition de Covid-19 a stimulé la reherche de traitements. Quelles en sont les procédures ?

Par Maël Lemoine.

MaelLemoine

Au moment même où doutes et revers semblent s’accumuler autour de l’hypothèse hydroxychloroquine (dont j’ai parlé dans l’épisode 3 de cette série), les projecteurs se braquent sur la nouvelle coqueluche des traitements : l’antiviral remdesivir. Le même docteur Fauci, qui s’était montré circonspect sur le premier traitement, s’est dit très optimiste sur le deuxième. Pourtant, au même moment, les journaux français et quelques autres dans le monde, se montraient réservés : l’étude positive est préliminaire et une autre étude chinoise est parue le même jour, qui concluait que le remdesivir ne présentait pas de bénéfice pour la santé.

Quelles sont les difficultés pour mettre au point un traitement efficace ?

Il y a de quoi perdre son latin. Est-il si difficile de savoir si un traitement marche ou pas contre le covid-19 ? La réponse est : oui, c’est difficile. Et voici pourquoi.

Premièrement, il y a une foule de manières pour un traitement d’être efficace contre cette maladie. Dans l’idéal, un vaccin rendrait impossible qu’on la contracte, un remède, qu’on en meure. Entre les deux, des traitements peuvent réduire le risque de contracter la maladie, réduire la durée de l’infection, réduire le risque d’aggravation chez les sujets symptomatiques, réduire le risque d’orage cytokinique, ou bien encore réduire le risque qu’un orage cytokinique soit mortel. Tous ces traitements seraient efficaces, aucun ne fait la même chose.

Deuxièmement, il y a un problème de détection et de mesure. Dans une étude, il est très probable qu’un patient positif à un test par PCR est porteur du virus, mais on ne peut dire qu’un patient négatif n’est pas porteur. Il y a des fluctuations de mesures importantes d’un jour sur l’autre. Les anticorps posent aussi de gros problèmes de détection.

Troisièmement, le faible taux de létalité d’infection* rend la détection d’un effet dans une population difficile. J’ai expliqué dans l’épisode 7 de "Comme à la fac" ce qu’est ce taux. Imaginons qu’on parle d’un traitement préventif qui aurait un effet sur la mortalité. Supposons que 1% des gens contaminés meurent. Il faudrait faire une étude sur un nombre très important de gens pour être sûr qu’avec ce traitement, seulement 0,7% de gens contaminés meurent, alors qu’il réduirait la mortalité de 30%. Car si l’échantillon est trop petit, les chances sont trop grandes que le résultat puisse être dû au hasard. Ainsi, cette poignée de médecins qui assuraient que les antihistaminiques protègent en s’appuyant sur une cohorte de 26 patients même pas testés… et leurs lectures.

Il y a actuellement 90 vaccins candidats développés. Ils pourraient tous marcher. Ou bien tous donner des résultats médiocres.

Quatrièmement, l’espoir aveugle. Tous, patients, médecins, chercheurs, régulateurs, investisseurs, nous souffrons de ce biais majeur qui nous égare et nous fait perdre du temps. Par exemple, il existe des dizaines de traitements potentiels, et certainement pas assez d’essais pour les tester tous. L’espoir que nous portons sur l’un d’eux réduit les chances que les autres soient correctement testés. Nous trouvons tous très bien que l’hydroxychloroquine soit testée dans l’essai Discovery, mais à quel autre traitement a-t-elle pris la place ? Un autre exemple d’espoir qui aveugle : nous ne voulons pas tirer les conséquences de ce que, en général, la plupart des traitements que l’on essaie échouent, et que seuls quelques-uns fonctionnent. Nous voulons toujours croire que le prochain marchera, en oubliant bien vite les échecs précédents.

Cinquièmement, il y a un problème majeur de temps. Il existe une durée et des circonstances de confinement au-delà desquelles celui-ci produira plus de ravages dans la population que l’épidémie elle-même. Il faut donc se presser de développer vaccins et traitements avant d’atteindre ce seuil. Mais en voulant faire trop vite, on perd parfois du temps – par exemple, parce qu’on se décide trop tôt pour un traitement qui ne marche pas si bien. Ainsi, on discute depuis plusieurs semaines de la possibilité que des volontaires s’exposent délibérément au SARS CoV-2 après avoir eu un vaccin test, afin de vérifier plus vite et plus sûrement qu’il est efficace. Du jamais vu.

Les espoirs ne doivent pas faire sauter tous les verrous

Il y a actuellement 90 vaccins candidats développés. Ils pourraient tous marcher. Ou bien tous donner des résultats médiocres. Selon l’étude menée par le laboratoire Gilead qui a développé le remdesivir, ce médicament réduit la durée moyenne des symptômes… mais pas la mortalité. L’APHP a annoncé avoir de grands espoirs que le tocilizumab agisse efficacement sur les cas graves. C’est le ministre de la Défense israélien lui-même qui annonçait les bons résultats d’un laboratoire qui a développé un nouvel anticorps monoclonal. Au Japon, on promeut l’ivermectine, un antiparasitaire. Pourquoi sont-ce des autorités politiques ou administratives qui communiquent ces résultats ?

Beaucoup trouvent dans la multiplicité des traitements à l’étude des raisons d’espérer. C’est vrai. Mais c’est aussi un reflet du désarroi dans lequel nous nous trouvons. C’est dans les maladies graves que l’imagination travaille le plus pour donner des motifs de croire qu’on s’en sortira. Le travail des chercheurs est sérieux, méthodique, ingrat, presque toujours décevant. Il est insupportable de le voir survendre par des bateleurs de mauvais aloi.

Dans le prochain épisode, je reviendrai sur les boucs émissaires de la crise.

* Le taux de létalité est le nombre de morts rapporté au nombre de personnes infectées.

par Maël Lemoine