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La santé publique : « un sport de combat »

Sur fond de crise sanitaire, la Conférence des doyens des facultés de médecine et la Conférence des présidents d’université ont organisé le 24 septembre 2020 un colloque sur la médecine, la santé et les sciences au cœur de la société. L’occasion de s’interroger sur la manière de donner un nouvel élan à la santé publique en France, spécialité encore à la marge aujourd’hui.

par Laure Martin

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L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé publique comme la science et l'art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et d'améliorer la santé physique et mentale à un niveau individuel et collectif. « Cette santé publique doit être mise en œuvre hors frontière, a soutenu Laurence Lupi, doyenne de l’UFR d’Odontologie au sein de l’Université Côte-d’Azur. L’harmonisation et la coopération internationale sont indispensables pour l’atteinte des objectifs de santé publique. »

Promouvoir la santé publique est néanmoins aujourd’hui complexe et implique de travailler dans la transdisciplinarité, « car au-delà des professionnels de santé, pour bien faire notre travail, nous avons besoin des professionnels des autres disciplines comme les sciences économiques et sociales », a-t-elle rappelé. Mais cette transdisciplinarité a des difficultés à se mettre en œuvre en France, par manque d’habitude, de culture, voire de structures. La santé publique peine encore à séduire et à s’affirmer.

Comme l’a fait remarquer Antoine Flahault, directeur de l’Institut de Santé Globale à l’Université de Genève, la santé publique a toujours eu moins d’attrait auprès des étudiants en médecine, généralement davantage attirés par les soins. « La formation médicale est très orientée autour de la clinique hospitalière », a-t-il souligné. Pourtant, la santé publique n’a rien à envier aux autres spécialités. Ses acquis sont considérables. Grâce à elle, l’espérance de vie à doubler dans le monde en a peu près un siècle avec l’éradication de certaines maladies comme la variole, la mortalité infantile des moins de cinq ans a baissé de 50 % ces 30 dernières années. « Les efforts conjoints en santé publique ont porté leur fruit », a-t-il indiqué.

Donner sa place à la démocratie sanitaire

Comment faire reconnaître cette force de la santé publique ? Pour Dominique Costagliola, directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Sorbonne Université, Inserm) plusieurs axes d’actions sont à déployer.

Tout d’abord, développer les services de prévention identifiés dans les territoires, « ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ». Ensuite, permettre à la démocratie sanitaire de « véritablement s’exprimer », « la prendre au sérieux, donc associer les citoyens dans les prises de décisions, s’appuyer sur les acteurs de terrain et co-construire des actions avec le tissu associatif », énumère-t-elle. Cette co-construction avec les citoyens passe certes par des aspects de formation générale, mais elle nécessite aussi de s’appuyer sur l’expérience acquise des associations d’usagers qui sont de plus en plus nombreuses. « Il est frappant de voir à quel point, au-delà de la présence du terme de démocratie sanitaire dans les textes législatifs, nous avons ignoré le public dans la gestion de la crise sanitaire, cela ne va pas ! », a-t-elle dénoncé. Et de poursuivre : « Nous pouvons avoir une santé publique qui ne soit pas axée sur la contrainte et la punition mais davantage sur l’explication, la mobilisation et le ″faire ensemble″. C’est la seule manière de progresser. »

Il faut prendre la santé publique au sérieux, donc associer les citoyens dans les prises de décisions, s’appuyer sur les acteurs de terrain et co-construire des actions avec le tissu associatif.

Il faut également renforcer les interventions à destination des enfants et des adolescents, en cette période critique pour la prévention en santé. Enfin, elle plaide pour la structuration de la formation multidisciplinaire en santé publique. Tous ces axes impliquent, bien entendu, des moyens humains et financiers.

Adopter une approche globale

Pour Laurent Chambaud, directeur de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), outre l’aspect financier, il faudrait être en capacité de mesurer l’impact préventif des politiques. « La santé publique doit être envisagée comme un tout, estime-t-il. Bien sûr, la prévention est importante, mais il faut parvenir à créer un continuum entre la prévention, le soin et l’organisation du système de santé et avoir une vision plus large de la santé. Certes, nous traversons une crise sanitaire, mais n’oublions pas les autres éléments qui pèsent sur notre système de santé comme les maladies chroniques, ce qui requiert d’adopter une approche globale. » « Il faut créer des environnements favorables à la santé, non seulement pour surmonter la crise, qui va durer encore quelques mois, mais aussi parce qu’il va y avoir un après crise, a conclu Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France. La santé publique est un sport de combat qu’il faut mener avec endurance et détermination. »

par Laure Martin