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VigilanS : agir contre la récidive des tentatives de suicide

À la suite d’une expérimentation, la région du Nord-Pas-de-Calais – et depuis, les Hauts-de-France, a été la première à déployer VigilanS, un dispositif qui agit pour éviter la récidive chez les personnes ayant commis une tentative de suicide. Le point avec le Dr Vincent Jardon, médecin psychiatre, responsable Hauts-de-France du dispositif.

Par Laure Martin.

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Dr Vincent Jardon Vigilans INTQuelle est la genèse du dispositif VigilanS ?

Le dispositif est né dans le Nord-Pas-de-Calais en 2015 à l’initiative du Pr Guillaume Vaiva. A l’origine, il s’agit d’un projet de recherche qui visait à évaluer l’impact des appels téléphoniques adressés aux personnes ayant commis une tentative de suicide (TS), sur leur récidive. Nous voulions ainsi répondre à l’une de nos problématiques à savoir l’absence de contact et de suivi des personnes prises en charge aux urgences pour une TS. Or, certains sont dans une telle vulnérabilité, qu’il y a un réel risque de mort par suicide. Nous savons que la moitié des personnes qui se sont suicidées avaient précédemment réalisé une tentative. Nous avons donc voulu les cibler, même si, de manière générale, 60 % ne vont pas réitérer leur acte. Au départ, les appels se faisaient à un ou à trois mois mais nous avons constaté que ces délais étaient trop tardifs. Concomitamment, l’équipe a fait le point sur toutes les expériences menées dans le monde sur la prise en charge des personnes ayant commis une TS, et nous avons mené une deuxième recherche à partir de toutes les solutions combinées.

Dans ce cadre, nous avons élaboré une carte-ressource pour les primo-suicidants et les réitérants, avec un numéro de téléphone à composer en cas de besoin. En parallèle, l’équipe les appelait pour prendre des nouvelles. Sans réponse, nous déclenchions l’envoi de cartes postales pour maintenir le lien.

Comment le dispositif a-t-il été amené à se consolider ?

Fin 2014, l’Agence régionale de santé (ARS), qui avait connaissance de nos travaux de recherche, a proposé de déployer le dispositif en population réelle d’abord dans le Nord-Pas-de-Calais puis dans les Hauts-de-France. Nous avons ainsi décliné le programme de recherche en l’adaptant au regard des enseignements que nous en avons tirés. Par exemple, les mineurs, les multiréitérants, les personnes sous tutelle ou curatelle étaient exclues du dispositif lors des travaux de recherche. Désormais, nous couvrons toute personne ayant effectué un geste suicidaire et ayant été vue aux urgences.

Tous les services d’urgences de la région ont été démarchés pour une présentation du programme. Ce sont les équipes des structures hospitalières qui expliquent à la personne qu’elle est incluse dans un dispositif de veille. Elle doit donner son accord - dans 98 % des cas, les gens acceptent.

Tous les services d’urgences de la région ont été démarchés pour une présentation du programme. Ce sont les équipes des structures hospitalières qui expliquent à la personne qu’elle est incluse dans un dispositif de veille. Elle doit donner son accord - dans 98 % des cas, les gens acceptent. L’équipe lui transmet alors la carte-ressource avec le numéro vert joignable de 10h à 18h du lundi au vendredi et nous prévient de son inclusion. De notre côté, pendant six mois, nous assurons le suivi de cette personne, d’abord avec un appel entre 10 et 20 jours après sa sortie d’hospitalisation. Nous essayons de la contacter deux à trois fois, à différents horaires. Lorsqu’on s’aperçoit que la personne ne va pas bien, nous lui proposons un deuxième appel téléphonique. Si ce n’est pas suffisant, nous organisons un rendez-vous dans un délai rapide aux urgences ou en centre médico-psychologique (CMP). Et en cas de demande plus urgente, nous envoyons les secours par le biais du Samu. Si nous ne parvenons pas à la joindre, nous déclenchons l’envoi de quatre cartes postales, à raison de une par mois pour montrer notre présence.

Nous assurons également un travail de mise en lien avec les médecins traitants, que nous tenons informés de l’inclusion de leur patient dans le dispositif. Nous les prévenons à chaque contact ou à chaque tentative de contact non aboutie. En cas de forte inquiétude de notre part, nous les appelons directement.

Qui sont les professionnels qui composent l’équipe VigilanS ?

Nous avons un secrétariat en charge de la logistique, de l’entrée dans le dispositif, de la mise à jour des données des patients dans le logiciel et qui envoie les courriers et les cartes postales.

Aujourd’hui, nous savons que nous couvrons la moitié des personnes ayant fait une tentative de suicide dans la région et qui sont passées aux urgences.

Puis, pour les appels téléphoniques et la veille, nous avons cinq équivalents temps plein donc dix mi-temps de soignants, avec une moitié de temps infirmiers et une moitié de temps psychologues. Nous les appelons les VigilanSeurs. Ces derniers ont une expérience dans le domaine de la santé mentale et ont bénéficié d’une formation de niveau 2 sur l’évaluation du risque suicidaire et son orientation.

Une évaluation a-t-elle eu lieu ?

Elle est toujours en cours mais nous avons remarqué que les effets sont liés à la capacité des équipes des urgences à bien inclure les patients dans le dispositif. C’est disparate d’un territoire à un autre. Parfois nous allons couvrir 80 % des TS d’un centre et dans d’autres cas, on est en dessous de 20 %. Aujourd’hui, nous savons que nous couvrons la moitié des personnes ayant fait une tentative de suicide dans la région et qui sont passées aux urgences. Nous avons également remarqué que plus un centre hospitalier inclus de patients dans le dispositif, plus, les années suivantes, le nombre de personnes prises en charge aux urgences pour des TS diminuent.

Un déploiement national

En 2015, le Nord-Pas-de-Calais est la première région à mettre en place le dispositif VigilanS. Mais dès l’année suivante d’autres départements et régions suivent le mouvement comme la Bretagne, la Normandie ou encore le Jura. En janvier 2020, lors du congrès de l’Encéphale, la ministre de la Santé de l’époque, Agnès Buzyn a annoncé que le dispositif VigilanS poursuivait son déploiement et qu’il allait être financé et généralisé dans toutes les régions d’ici 2021. Fin janvier, l’Assistance-publique Hôpitaux de Marseille (AHPM) a fait savoir qu’elle était en charge de la coordination du dispositif pour les Bouches-du-Rhône. 

par Laure Martin