Vers un nouveau mutualisme

Groupe Pasteur mutualité est entré dans une nouvelle phase de son histoire en investissant récemment dans des domaines aussi variés que les nouvelles technologies ou la prévention. Un mouvement qui sera concrétisé d’ici deux ans avec l’ouverture de la villa M.


Avec l’ouverture prévue en 2019 de la Villa M à Paris, Groupe Pasteur Mutualité entend ouvrir une nouvelle page de l’histoire du mutualisme. Cet espace de 8 000 m2 au cœur de Paris constituera un lieu de rencontres, de réflexions et de résidence pour le monde de la santé qui s’inscrit dans 150 ans d’histoire. « Le mutualisme, ce sont des personnes qui ont un idéal commun qui est de penser que l’intérêt particulier ne peut se défendre et se concevoir que s’il contribue à l’intérêt général, rappelle le Dr Michel Cazaugade, président de la mutuelle. Cet idéal, on le retrouve dans les mutuelles comme la nôtre mais aussi dans les associations, les coopératives et les fondations ». Autre principe fondateur du mutualisme toujours d’actualité : la démocratie sur le principe « un homme égal une voix ». L’entreprise est gérée par 900 administrateurs, professionnels de santé, qui désignent environ 300 délégués qui se retrouvent en assemblée générale une fois par an et qui élisent deux conseils d’administration, l’un pour AGMF Prévoyance et l’autre pour l’union action sociale. « Toutes les décisions sont prises dans le cadre de cette colonne vertébrale démocratique, insiste le Dr Cazaugade. En ce sens, nos 130 000 adhérents ont droit à la parole et une parole vivante ». L’étymologie du mot mutuelle vient du latin « mutuus » qui veut dire réciproque, qui s’échange. « La valeur qui fonde le mutualisme c’est aussi la solidarité et la lutte contre toute discrimination, ajoute le Dr Cazaugade. C’est aussi un rempart contre toutes les formes de dérives de l’individualisme de la société. En ce sens, il s’inscrit dans l’histoire. Dans la cité romaine, il y avait la distribution de pains gratuite. Au Moyen-Âge, chaque paysan apportait au moulin son blé ou ses noix pour faire de la farine ou de l’huile. Aujourd’hui, le mutualisme pour nous c’est aussi d’agir efficacement au service de la santé au quotidien ».


La prévention et l’innovation, axes mutualistes


Groupe Pasteur Mutualité a notamment misé depuis quelques années sur la prévention. Depuis le mois d’avril, il invite ses adhérents à un programme de promotion, de formation et de prise en charge d’activités physiques en cas de cancer. « Action adhérents » propose des séances d’activités physiques encadrées par des professionnels du sport, détenteurs du diplôme universitaire « Sport et cancer » aux adhérents en cours de traitement ou en phase de rémission d’un cancer. Parallèlement, « Action prescriptions » propose des ateliers et des formations pour accompagner les professionnels de santé dans la prescription de l’activité physique pour leurs patients (voir article page 73). Une action qui s’inscrit dans la continuité du colloque de 2010 sur « l’activité physique, un acte de soins » qui a été le point de départ de l’investissement de la mutuelle dans ce domaine. Le groupe est aussi aujourd’hui le premier assureur à inclure dans sa gamme santé la prise en charge d’objets connectés notamment des trackers d’activité physique qui favorisent le bien-être. « Nous devons absolument nous approprier les nouvelles technologies, estime le Dr Cazaugade. C’est pourquoi nous nous intéressons particulièrement aux objets connectés, à la télémédecine, à la téléexpertise et la télérégulation ». Pour aider les adhérents à s’approprier ces outils, une nouvelle plateforme de co-innovation des administrateurs du groupe a été lancée en fin d’année dernière. Cet outil « GPM connect et vous » a pour objectif « d’offrir aux élus un cadre digital privilégié pour être consulté, faire entendre leur voix, contribuer et donner une nouvelle modernité à la relation de proximité qui unit Groupe Pasteur Mutualité à des adhérents ». 


L’ensemble de ces nouvelles perspectives trouveront leur déclinaison naturelle avec l’ouverture dans moins de deux ans de la Villa M. « Ce sera véritablement un outil au service du mutualisme de demain, explique le Dr Cazaugade. Tout sera mis en œuvre dans cette structure pour construire des idées, pour en débattre et trouver les façons d’exercer cet idéal mutualiste de la façon la plus pertinente possible. Tout ce qui y sera construit pourra ensuite irriguer l’ensemble de notre sociétariat à l’échelon territorial. Et à travers nos adhérents, nous espérons pouvoir peser sur l’ensemble de la société ». La Villa comprendra un espace d’hôtellerie et de restauration, un centre d’affaires avec un espace de coworking et de créativité et un centre d’innovation comprenant un show-room e-santé, un espace de prévention et une maison de la santé connectée. Cette dernière sera d’ailleurs ouverte aux patients du quartier et intégrera les dernières technologies disponibles en matière de connectivité et de consultation à distance.


« Rayer les mutuelles de la carte affaiblirait notre système de santé »


Entretien avec Thierry Beaudet, Élu à la présidence de la Mutualité Française depuis juin 2016 pour un mandat de cinq ans. Ancien instituteur, il est également président de la MGEN depuis 2009.


Tout Prévoir : On a entendu, pendant la campagne présidentielle, certains candidats ou personnalités du monde de la santé remettre en cause l’existence des complémentaires santé. Comment analysez-vous ces attaques ?


Thierry Beaudet : L’utopie d’une assurance maladie universelle qui rembourserait 100 % des dépenses de santé témoigne d’une profonde méconnaissance du rôle des complémentaires et des mutuelles en particulier ! Aujourd’hui, plus de 42 milliards d’euros de dépenses de santé sont financés par les complémentaires et par les ménages. Comment imaginer transférer l’ensemble de ces dépenses de santé à l’assurance maladie obligatoire, alors que celle-ci a enregistré un déficit de 4,8 milliards en 2016 et cumule 136 milliards de dette sociale ? Et qu’en serait-il des 85 000 emplois, dont 15 000 professionnels de santé, salariés par les mutuelles ?


T. P : Supprimer les complémentaires permettrait d’économiser des frais de gestion importants, disent certains. Comment répondre à cet argument ?


T. B : 7,1 milliards d’euros de recettes fiscales disparaîtraient si les complémentaires santé étaient supprimées. Or, ce manque à gagner ne serait pas compensé par la suppression des frais de gestion des complémentaires santé (6,8 milliards d’euros). De toutes les manières, les mutuelles sont bien gérées. Contrairement à l’assurance maladie, elles sont à l’équilibre et, même si elles étaient endettées, aucune Cades ne gérerait les dettes générées. Ce qu’on appelle « frais de gestion » des mutuelles, ce sont les actions de prévention (plus de 7 000 par an), le tiers payant généralisé à leurs adhérents, l’analyse de devis qui participe de la maîtrise des dépenses et donc du reste à payer des assurés (jusqu’à 30 % de baisse sur les factures de lunettes)… 


T. P : En quoi, notre système d’assurance maladie à deux niveaux est-il un atout ?


T. B : Rayer les mutuelles de la carte affaiblirait et déséquilibrerait notre système de santé. En les supprimant, la société française se priverait non seulement d’acteurs solidaires non-lucratifs, mais aussi de milliers de militants de la solidarité sur les territoires, d’acteurs globaux de santé. Premier réseau sanitaire et social de France, les mutuelles gèrent 2 600 établissements sanitaires et sociaux, de la crèche à la clinique en passant par la maison de retraite. Premier acteur de prévention après l’État, les mutuelles sont aussi pleinement engagées dans la révolution qui doit nous mener du soin vers la santé, du curatif vers le préventif. Présentes partout sur le territoire, les mutuelles revendiquent un ancrage de proximité, de la France rurale à la France urbaine, des centres-villes à la périphérie.


T. P : Comment voyez-vous évoluer la part des dépenses prises en charge par les complémentaires dans les prochaines années ?


T. B : La prise en charge des dépenses de santé ne doit pas être regardée en pourcentage, mais en valeur absolue. C’est ce qui permet de comprendre pourquoi une majorité de Français a le sentiment que le prix de leur complémentaire santé et que leur « reste à charge » ont augmenté depuis cinq ans. Concrètement, entre 2001 et 2015, la part remboursée par les complémentaires santé est passée de 14,6 milliards d’euros à 26 milliards (+80 %) ; la part restant à la charge des ménages est passée de 11,7 milliards d’euros à 16,4 milliards (+40 %), tandis que l’inflation s’est établie à 25 %. L’inflation des dépenses de santé entraîne mécaniquement une hausse des restes à charge. Ce serait pire encore sans l’intervention croissante des mutuelles. D’autant que tout porte à croire que ces dépenses continueront de croître : demande de santé et de prévention toujours plus forte, progrès technologique, médicaments innovants, vieillissement, pathologies chroniques… Charge à nos gouvernants d’œuvrer pour que la santé demeure accessible à tous.


T. P : Le rôle des mutuelles ne se cantonne pas au remboursement complémentaire des dépenses de santé. Comment ce rôle peut-il encore évoluer et se renforcer ?


T. B : Au quotidien, la Mutualité agit comme un acteur global de santé. Nos 2600 établissements et services sont au cœur du projet mutualiste : ils incarnent, mieux que tout discours et de manière concrète, la dimension humaine de ce projet. C’est ce qui nous différencie radicalement des autres assureurs santé. Pour aller plus loin, j’ai la certitude qu’il faut, dans les territoires, au plus près de nos concitoyens, mobiliser les élus locaux, les mutualistes, les usagers pour construire les réponses concrètes de l’accès aux soins. Naturellement en articulation avec l’État, l’Assurance Maladie et les professions de santé. Nos mutuelles et établissements de soins mutualistes prendront toute leur part pour mieux organiser le système de santé et réguler la dépense, comme ils le font déjà, ici et là, en prenant le virage de l’ambulatoire, en imaginant les nouveaux parcours de soins, en mobilisant les équipes pluridisciplinaires de professionnels de santé autour du patient ou en déployant des solutions de e-santé.


T. P : On a vu que les réseaux de soins sont un sujet polémique. Comment les mutuelles peuvent-elles être des partenaires des professionnels de santé ?


T. B : L’hostilité de quelques-uns ne doit pas masquer la meilleure compréhension réciproque. Plusieurs syndicats de médecins n’hésitent déjà plus à parler de conventionnement complémentaire avec les mutuelles. Je note avec intérêt la main récemment tendue par le Dr Jean-Paul Ortiz au nom de la CSMF. Pourquoi cela paraît-il envisageable ? Face à la persistance des inégalités, à l’ardente nécessité d’une dépense efficiente, où chaque euro doit être utilisé avec pertinence, tout tend à remettre le cadre sur le métier, à faire le pari des acteurs pour préserver, pérenniser, améliorer le système de santé. Encore une fois, on ne bâtira pas le système de santé de demain sans les médecins, sans les professionnels de santé. Des relations apaisées et constructives entre eux et nous sont nécessaires. C’est ce qui a guidé notre action durant les dernières négociations conventionnelles, et je compte bien en faire un marqueur de mon mandat.

par Véronique Hunsinger

Economie & Organisation

Acteurs de santé

Santé publique

Société & idées