Marine Antony et le cercle de Giotto...

Le CHU de Poitiers et Jean-Luc Dorchies, directeur de l’école des Beaux-Arts de Poitiers et du tout jeune centre d’arts visuels « Le Miroir », ont initié cette année une résidence d’artiste à la Gentilhommière, l’ancien bureau de la direction de l’hôpital installé dans un beau bâtiment du XVIIIe siècle.

 La résidence accueillera un artiste tous les deux ans. Première invitée, Marine Antony : depuis décembre 2016 elle travaille à une œuvre qui sera mise en place en juin 2017 et inaugurée solennellement après l’été. Une belle dynamique s’est mise en place autour d’elle pour définir la nature de l’œuvre. Comité de projet réunissant les différents partenaires de l’hôpital, mind-map évoluant au fil des réunions :ensemble ils ont réfléchi à l’œuvre qui pouvait faire sens dans un lieu aussi complexe que le grand hall d’un CHU. Pour l’artiste il a fallu s’imprégner d’un univers médical tout nouveau pour elle et parfois dérangeant.


Laurent Joyeux : Marine Antony, quelle est votre formation ?


Marine Antony : Avant mon bac scientifique je m’intéressais déjà au monde du spectacle et du cinéma. J’ai fait mes études à l’école européenne supérieure de l’image de Poitiers, où je me suis spécialisée dans les installations interactives. Dans ce cadre, je suis partie une année au Québec étudier la danse et les nouveaux médias. Une pratique de la danse et du cirque qui a toujours influencé mon travail de plasticienne. Diplômée de l’EESI en 2009, j’expose dans différentes villes en France et à l’étranger (Fondation Vasarely d’Aix-en-Provence, musée d’Art moderne de Rijeka en Croatie...). Depuis cette année, j’enseigne également la création numérique à l’école d’Art de Grand Angoulême.


L. J. : Quel est votre univers ?


M. A. : J’aime sculpter la lumière, l’espace, immerger le spectateur dans mes installations. Pour Black over blue, en 2011, il était plongé dans l’obscurité au milieu d’un jeu de plaques métalliques noir mat et bleu phosphorescent. Ces touches de couleurs suspendues jouaient comme des touches de pinceaux. En 2013, Bruits blancs - commandé par le carré Amelot de La Rochelle - mettait en mouvement des plaques remplies de microbilles de verre. En circulant à l’intérieur de ces plaques en rotation, elles les faisaient sonner d’un bruit blanc. La mise au point du système électrique qui animait l’installation a été un travail de longue haleine. Plus d’une dizaine de prototypes ont été nécessaires (en bois, en métal, en plastique...) pour allier toutes les propriétés mécaniques nécessaires à ce que la magie opère.


L. J. : Votre travail est complexe. Il inviteà un état paradoxal de veille, de contemplation méditative et d’immobilité.


M. A. : Je guette le signe du vivant dans l’inanimé. Mon travail fait beaucoup appel au cerveau reptilien : respiration, rythme cardiaque, tension artérielle. Une cadence ancestrale…


L. J. : Comment s’est mis en place votre travail au CHU ?


M. A. : Je me suis mise à l’écoute de la vie et du travail dans un hôpital, un univers tout nouveau pour moi. Le cadre formel est le grand mur du hall du nouveau Centre régional cardio-vasculaire. L’œuvre in situ devait s’intégrer dans le contexte en fonction de l’architecture, des déplacements et des différents publics médicaux, malades ou techniques. Une fois par mois le comité de projet s’est réuni pour définir quel type d’œuvre installer en respectant les contraintes d’accrochage et de sécurité. Il était important de prendre en compte l’encombrement, de ne pas ajouter de pollution sonore et de procurer du calme et de l’apaisement. Une mind map, régulièrement mise à jour et présentée au public dans un couloir assez passant, reliait les idées entre elles. Des temps d’éclairage avec différents publics ont été organisés par Le Miroir et des rencontres ont eu lieu avec le personnel administratif à l’Agora, le nouveau bâtiment de direction du CHU.


L. J. : Qu’est ce qui a été déterminant dans votre processus de création ?


M. A. : Tout d’abord le temps. Dans un hôpital il y a des contrastes énormes entre le temps vécu par les soignants et les patients. Entre le rythme trépidant des urgences et le temps long de la guérison. Une autre source d’inspiration a été, en visitant les blocs et les différents services, la découverte des techniques d’imagerie médicale. Tout particulièrement en cardiologie et en rythmologie interventionnelle. La découverte du robot chirurgical Da Vinci a été un des moteurs principaux de mon travail. Installé derrière un écran, le chirurgien manipule quatre bras porte-instruments qui opèrent en endoscopie. Une interface lisse le mouvement du chirurgien pour éviter les tremblements.


L. J. : Et quelle œuvre vous a inspiré ces influences ?


M. A. : L’idée de Giotto. Un robot qui dessinerait lentement sur le mur, avec un rayon très lumineux de 5 cm de large, un cercle parfait. L’imagerie médicale a induit les oscillations des courbes cardio, des micromouvements propres au corps humain… une dimension anthropomorphique.


Entre perfection et chaos, le cercle s’altère légèrement au fil de son tracé.Il a été nécessaire de concevoir un programme génératif pour que le dessin ne soit jamais tout à fait le même. Un travail de chorégraphe.


L. J. : Vous avez également conçu la programmation ?


M. A. : Non, je travaille avec Christian Laroche, un artiste roboticien et programmeur.


L. J. : Pourquoi cette référence à Giotto ?


M. A. : Le principe du cercle et le robot Da Vinci m’ont rappelé l’histoire du peintre Giotto. Au XIIIe siècle, il avait tracé à main nue un cercle parfait sur du velin pour prouver la valeur de son travail… 


http://marineantony.net/


Le point de vue du CHU


par laurent Joyeux

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