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S'inspirer de l'ingéniosité des pays émergents pour innover

Déserts médicaux, optimisation des coûts des systèmes de santé, évolution du rôle des professionnels de santé : comment les innovations élaborées dans les pays émergents, créatifs par nécessité, peuvent-elles améliorer les systèmes de santé les plus développés et répondre aux grands défis de la santé dans le monde ? Cette « Innovation inversée » était le thème du Forum FAMx, organisé par la Fondation de l’Académie de Médecine (FAM) au printemps dernier au siège de l’Unesco.

Par Laurent Joyeux

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Autour du thème inédit de "l'innovation inversée", la FAM a réuni les représentants de ses partenaires internationaux (Brésil, Chine, Inde, Mexique, Russie et Sénégal) et plus de 40 orateurs venus du monde entier. Douze "innovations inversées" ont été mises à l'honneur. En introduction à ces journées, Jean-Marie Dru, président de la Fondation, et le Dr Yves Juillet, son secrétaire général, ont rappelé la vocation de leur fondation, reconnue d’Utilité publique en 2013 : valoriser les partenariats de la médecine française avec les Académies de Médecine et les organisations médicales afin de favoriser l’accès du plus grand nombre aux meilleures techniques médicales.

400 participants du forum ont permis un tour du monde de l’inventivité en santé. Des applications très concrètes ont été présentées par leurs instigateurs. Parmi les initiatives, en Côte d’Ivoire, un carnet de santé électronique qui envoie des SMS et des messages vocaux aux mères pour les aider à suivre le calendrier vaccinal gratuit de leurs enfants. Ils sont parlés dans les langues ethniques ou en français car 70 % d’entre elles sont analphabètes.

Au Sénégal, le téléphone mobile est au cœur du programme M-santé, destiné à améliorer la prise en charge du diabète. La Pr Ndour Mbaye, sa coordinatrice, explique « par exemple, nous envoyons des SMS aux diabétiques pendant le Ramadan. C’est une période où il y a beaucoup d’hospitalisations car les malades hésitent à rompre le jeûne même si leur taux de glycémie baisse. 85 % des amputations sont évitables avec ce type de message. »

Parmi les études de cas, le Dr Sanduk Ruit, désigné en 2017 par la Fondation Albert Einstein comme un des 100 plus grands visionnaires du siècle, a présenté l’Himalayan cataract project. Mondialement connu pour avoir mis au point une technique chirurgicale économique et de haute qualité il a présenté le parcours de soin d’un patient pris en charge pour une opération de la cataracte au Népal. « Depuis les années 90, nous avons opéré plus de 300 000 patients. Les techniques ont été simplifiées et les coûts fortement réduits. Les quantités, l’absence de marketing et de publicité ont fait passer le coût d’un implant de 100 à 3 $ ! Nous exportons notre technique dans 10 pays d’Asie et en Afrique. Aujourd’hui, des ophtalmologues occidentaux l’appliquent pour certains cas de cataractes compliqués. Les essais randomisés ont montré ses bons résultats. »

"Nous arrivons à offrir aux plus pauvres des prothèses articulées qui coûtent 65 $"
Pr Mistra, chirurgien en Inde

Autre illustration du rapport qualité/économie, le Pr Misra, chirurgien indien de grand renom et président du Mahatma Gandhi University of Medical Science and Technology (Jaipur), a présenté une technique de prothèse de la jambe car le diabète cumulé à la pauvreté, les accidents et les guerres génèrent beaucoup d'amputations. « La prothèse d’un soldat américain blessé en Irak revient à 35000 $, précise-il, nous arrivons à offrir aux plus pauvres des prothèses articulées qui coûtent 65 $ . Des milliers de personnes les portent. En collaboration avec l’université de Stanford aux États-Unis, nous avons élaboré un genou artificiel en nylon capable de se lubrifier tout seul. Cité par le Time comme l'une des 50 inventions les plus importantes de la planète, il ne coûte que 17 euros ! »

Bien d'autres thèmes ont été abordées comme la e-santé, les nouveaux métiers d'accompagnateurs de santé ou les déserts médicaux. L'innovation inversée a permis de reprendre avec succès, dans les quartiers sensibles de Chicago et de Los Angeles, le système d'accompagnateurs de santé né au Rwanda. Créé en Afrique pour pallier au manque de médecins, il trouve son application aux USA auprès des populations en rupture avec la santé. Grâce à lui le taux d'hospitalisation est remonté de 45 à 55 %.

"Si l’innovation inversée vient des pays émergents, elle doit développer le moindre coût en évitant l’écueil de la moindre qualité. Il ne s’agit pas de faire une médecine au rabais. Toutes les énergies doivent se mobiliser sur les plans financiers, physiques et digitaux afin de mieux soigner la planète"

J.-M. Dru décrit  tout l'intérêt de ces innovations : « elles donnent de la matière à penser et une idée des obstacles à franchir. Ce sont des catalyseurs. Pour lui, les enjeux mondiaux sont immenses, il est essentiel de se rencontrer entre pays, de dresser une feuille de route, et de favoriser les échanges. Nos économies développées ont une innovation " incrémentale " qui tend à améliorer la productivité au risque d’avoir un système de pensée trop rigide. A contrario, les économies émergentes n’ont pas de passé. Elles sont obligées d’innover par nécessité, et de trouver des solutions en rupture. Le secteur de l’industrie l’a bien compris. Un groupe comme Siemens réalise 80 % de sa recherche en Chine ».

Si l’innovation inversée vient des pays émergents, elle doit développer le moindre coût en évitant l’écueil de la moindre qualité. Il ne s’agit pas de faire une médecine au rabais. Toutes les énergies doivent se mobiliser sur les plans financiers, physiques et digitaux afin de mieux soigner la planète.

par Laurent Joyeux

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