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Handicap et travail au festival Regards Croisés

À Saint-Malo, où il fêtait du 14 au 17 novembre dernier sa dixième année, le festival Regards Croisés a trouvé son port d’attache. Au programme : quarante-sept courts métrages en compétition réalisés par ou avec des personnes en situation de handicap. Tous les genres sont bienvenus : fiction, documentaire, reportage, clip, film d’animation.

Par Cécile Pivot

CecilePivot

Le handicap n’empêche pas le talent

Beaucoup d’entre nous ont vu cette pub au cinéma dans laquelle Agnès Jaoui participe à un tournage dont de nombreux postes sont occupés par des handicapés et l’actrice, tandis qu’une personne de petite taille juchée sur un tabouret assure les derniers raccords de son maquillage, lance face caméra d’un air malicieux : « Le handicap n’empêche pas le talent. » Tous les ans, le festival Regards Croisés revient pour le prouver.

Cette année, le jury était présidé par le réalisateur Stéphane Brizé (La Loi du marché, Une Vie, En Guerre…). À ses côtés, l’actrice Éva Darlan, le chanteur et écrivain Raphaël, le journaliste Jean-Pierre Lavoignat, le directeur photo Pierre Haïm, la journaliste et membre du CSA Ménona Hintermann, l’athlète paralympique et président de CAPSAAA (club handisport parisien) Ryad Sallem, la chef d’entreprise Muriel Robine, le scénariste et réalisateur Alain-Michel Blanc et moi-même, Cécile Pivot, journaliste et auteur.
Nous pourrions penser, nous les jurés, en visionnant durant toute une journée les quarante-sept courts métrages, que nous sommes des chanceux et bénéficions de films d’une qualité exceptionnelle cette année. Erreur ! C’est tous les ans la même chose, des films épatants, une ambiance formidable et une leçon de vie pour tout le monde.

Capture insertion pro handicap

Que de participants !

Fondé par Mireille Malot, présidente de l’association l’Hippocampe dédiée à l’insertion des personnes handicapées, ce festival est l’occasion, durant quatre jours, d’assister à des conférences, des débats, de visionner des longs métrages, des documentaires et, bien entendu, de découvrir les courts métrages (six minutes maxi) en compétition. Chaque film est classé dans l’une des cinq catégories suivantes : milieu protégé, autres regards du milieu protégé et adapté, milieu ordinaire, communication d’entreprise, autres regards. Le public, heureux de se retrouver là, compte tous ceux qui ont été partie prenante à l’un des films et aussi des éducateurs spécialisés, des médecins, des recruteurs, des parents d’enfants handicapés, des Malouins…

Un métier et des projets

Une insertion professionnelle réussie ouvre aux travailleurs porteurs de handicaps de nouvelles perspectives. L’envie de voyager, d’avoir un(e) petit(e) ami(e), un nouveau logement… Cécile (film au titre homonyme), irrésistible jeune fille trisomique d’origine bretonne, travaille dans la restauration. Elle ne compte pas s’arrêter là et aimerait ouvrir un restaurant avec son « chéri », même si elle pense qu’elle est « plus lente que les autres ». Dans Plus loin (Grand Prix du jury), Gilles, face caméra, parle de son amour pour son métier, l’imprimerie, de son enfance qui fut difficile, loin de ses parents et de son frère à cause de son handicap, et de sa prochaine retraite. Ses projets ? Continuer à voyager, faire des photos et s’occuper de ses parents. « Maintenant qu’ils sont âgés, c’est à moi de prendre la relève », dit-il.

La résilience, source d’un nouveau départ

Ce n’est pas facile de rebondir après un accident, que les séquelles soient physiques ou (et) neurologiques. Dans La Tête dans les nuages, un homme nous confie qu’il n’a jamais supporté la vie en entreprise, trop stressante, « du ciboulot j’ai chapeauté » dit-il, « ensablé dans les dunes d’une lointaine planète ». Après une traversée qui dure des années, pendant que la « chimie antipsychose s’installait en moi tel un nuage rose », il se reconstruit « marche après marche », puis part travailler en ESAT, où il « préfère emballer des produits nouveaux au lieu que sa vie s’emballe à nouveau ». Les « hallucinations ont fait place aux livraisons en camions ».

Dans Ma Vie hors les murs, c’est le contraire. Réalisé par l’ESAT de LADAPT Hors les Murs à Rennes, structure dédiée à accompagner les personnes handicapées dans la vie de tous les jours et à les aider à passer d’un emploi en milieu protégé au milieu ordinaire, trois femmes témoignent de leur handicap, « pas toujours visible », de leurs difficultés.
Florian, vingt-huit ans, était quant à lui marin-pêcheur. Il a dû quitter la mer après avoir inhalé des aérocontaminants qui lui ont laissé de graves séquelles neurologiques (notamment un gros problème de mémoire), physiques (au niveau des tendons, des muscles) et il est devenu agueusique. Se laisser aller, il n’en était pas question. Il se reconvertit dans l’apiculture, l’occasion de passer ses journées dans la nature, au contact des abeilles, elles aussi victimes de produits nocifs. Il lit des livres, rencontre des associations, assiste à des colloques : « J’ai appris, avec mes séquelles, qu’il faut parler aux autres. On fait des rencontres magnifiques », dit-il dans le court-métrage Mon Emploi, mon handicap.

Pour mettre à bas les drames et les peines, rien de mieux pour certains que d’aborder les choses graves avec humour. Il est là, jubilatoire et même déjanté dans Ensemble devenons sauveteur secouriste, Le Roi, la Reine et les Robots marteaux ou encore Les Nettoyeurs et Une Affaire juteuse.

Vive la technologie !

Sources d’inspiration, porteuses d’espoirs, les innovations technologiques soulagent, transforment la vie de nombreux handicapés. Plein d’optimisme et d’allant, Daniele (film au titre homonyme), cet Italien agent d’exploitation à GRTgaz parle avec drôlerie et philosophie de son « bras Robocop ». Dans sa voix et son regard, on peut lire de la joie et de la fierté. Son souhait le plus cher : transmettre un message positif et prouver que même avec un handicap, tout est possible. À l’institut d’éducation motrice baptisé Le Vent de bise, à Liévin dans le Pas-de-Calais, l’école de télé-pilotage de drones forme des jeunes de 16 à 20 ans en situation de handicap (Les Têtes en l’air). Et puisque l’on parle de fauteuils électriques, citons le documentaire Gyrolift, consacré à l’invention d’un fauteuil roulant électrique verticalisateur assez génial.

À l’origine de ce festival, Mireille Malot souhaitait répondre à cette question : comment sensibiliser le monde de l’entreprise à la question du handicap ? Pari gagné pour sa fondatrice, même si le chemin est encore long à parcourir…

www.festivalregardscroises.com

 

par Cécile Pivot

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