[c] JC Ballot

L'éternité et un jour... par le photographe Jean-Christophe Ballot

Depuis toujours l’Art et les Vanités ont permis à l’homme d’évoquer sa finitude et la brièveté de son passage sur Terre. Ils ont été l’occasion d’une rencontre débat entre le photographe Jean-Christophe Ballot et la psychiatre Sarah Dauchy qui travaille au service de psycho-oncologie de l’hôpital Gustave Roussy.

Par Laurent Joyeux

LaurentJoyeux

De son diplôme d'architecte obtenu à la fin des années quatre-vingt, le photographe Jean-Christophe Ballot garde le souvenir d'études passionnantes qui l'ont initié aux techniques de construction mais aussi à la sociologie et à la philosophie de l'espace. Après avoir complété cette formation par les diplômes des Arts décoratifs et de l’École nationale supérieure des métiers de l'image et du son – la Femis – il a été pensionnaire à la Villa Médicis avant de parcourir le monde. Il a pris l’habitude de poser son objectif, ou sa caméra, dans beaucoup de pays, en ville, dans les ports, au bord des fleuves en crue, dans les musées et les sanctuaires. L'homme est omniprésent dans son travail, mais rare ou absent. On a parlé à son propos de « l'homme en creux ». Le thème des Vanités et la pratique de la méditation, l'accompagnent depuis longtemps.

 

Un long compagnonnage avec la mort

Cette démarche sur le thème de la mort est tout à la fois spirituelle, contemplative, ethnologique et symbolique. « C'est une longue histoire ! Le Memento mori de l'Antiquité et de l’histoire de l’art, est omniprésent dans mon travail ».
Trois expositions récentes retracent ce parcours mais ses photographies de sanctuaires et la très belle série des gisants de Saint-Denis s’inscrivent dans la même démarche. « En 2017, j’ai présenté dans le dortoir et la salle capitulaire de l’abbaye du Thoronet, les photos des rites funéraires animistes et des nécropoles du peuple Toraja ramenées de l'archipel indonésien en 2003.» Réalisés dans des grottes utilisées depuis la nuit des temps, ces clichés en noir et blancs représentent des crânes posés sur des rochers et des cercueils éventrés.

La seconde exposition s’est tenue en 2003. Elle reprenait les photographies d’un séjour dans les monastères orthodoxes du Mont Athos. Une investigation hors du temps dans les salles blanchies à la chaux. « Elles ont été exposées pour la première fois à la Bibliothèque nationale en 2001. Les crânes des moines du mont Athos n’ont pas été manipulés mais photographiés in situ dans les ossuaires.» Enfin cet hiver, la troisième exposition à la galerie Loo and Lou Gallery, présentait une nouvelle série : L’Éternité et un jour.

La genèse d’une exposition

L’idée de ce travail, L’Éternité et un jour, a pris forme au cours d’une résidence d’artiste dans l’ancien monastère franciscain de Saorge. Cet ensemble du XVIIe appartient au Centre des monuments nationaux. Il se trouve dans la vallée de la Roya, une enclave française en Italie, au sud du parc du Mercantour. « J’ai installé le crâne qui parcourt les photos dans des murailles, des creux de rochers, dans les eaux vives d’un ruisseau. Par déontologie, je n’utilise pas de reliques humaines, Il s’agit d’un crâne en résine utilisé par les étudiants en médecine. Je l’ai patiné dans le thé ou bombé à la peinture or. »

Parler de la mort…

Présentée à Paris, L'éternité et un jour a été l'occasion d'une rencontre avec la psychiatre Sarah Dauchy qui travaille à l'hôpital Gustave Roussy dans un service de psycho-oncologie. « Une soirée débat que nous avons animée avec le Dr Sarah Dauchy a réuni une cinquantaine de personnes autour du thème L’éternité et un jour /Un jour et l’éternité. Plusieurs lectures de textes pris dans les écrits de Jean-Louis Poitevin, le philosophe qui a préfacé l’exposition du Mont Athos, ou dans l’Electre de Jean Giraudoux, ont nourri le débat. Nous avons rappelé la pensée de Confucius « l’homme a deux vies, la seconde commence quand il réalise qu’il n’en a qu’une ».

… et de ce petit crâne ?

Il y a eu de nombreuses questions sur le crâne des photos et sur son sourire tout d’abord. Que voit-on en lui ? Est-ce juste un objet anatomique ? Représente-t-il l’idée de la mort ou La Mort elle-même ? Quelle est la différence entre l’éternité et l’immortalité ? Les participants avaient beaucoup d’interrogations également sur le temps et la finitude… Un sujet grave mais nous avons laissé le mot de la fin aux humoristes. Woody Allen pour qui « l’éternité c’est un peu long, surtout vers la fin » et Pierre Desproges qui a donné son secret de longue vie : « Mon médecin m’a donné six mois à vivre. J’ai trouvé la solution. J’ai tué mon médecin et le juge m’a donné 20 ans… »


4 questions au Docteur Sarah Dauchy

M-Soigner : Docteur Dauchy, qui sont vos patients ?
Dr Sarah Dauchy : Exclusivement des malades souffrant d’un cancer ou en rémission après un cancer, avec des difficultés psychopathologiques. Le rapport à la mort se pose dès qu’on parle de cancer et le simple soutien psychologique ne suffit pas toujours, des soins psychologiques ou psychiatriques sont parfois nécessaires pour supporter l’angoisse de mort.

M-Soigner : Comment est née l’idée de cette soirée débat avec J.-C. Ballot ?
Dr Sarah Dauchy : Nous nous connaissions depuis des années avant que je ne découvre son travail. Cette soirée unique a été un exercice tout à la fois hyper intéressant et très compliqué. Mon expérience, mes outils, sont dans le « faire » : s’engager relationnellement auprès d’un patient ou de sa famille, évaluer son état psychique, proposer un traitement, l’accompagner jusqu’au bout. Prendre la parole sur l’angoisse de la mort et la pensée de notre finitude autour de ces photographies m’a obligé de sortir du registre et du rythme médical.

M-Soigner : La mort est-elle un sujet simple à aborder ?
Dr Sarah Dauchy : La photo et l’expression artistique sont de très bons médiums qui permettent un relais de parole car le principe de la Vanité passe outre à un certain nombre de barrières. L’idée de notre propre mort est réputée impensable… Le déni de la mort fait partie des défenses psychiques archaïques et certaines personnes tentent à tout prix de ne pas y penser. jusqu’au dernier moment : la mort, ça concerne les autres, pas elles. Pourtant on s’en sort souvent mieux quand on parvient à penser tôt à notre finitude et à accepter l’incertitude. On ne contrôlera pas le jour et l’heure. Parler tôt, quand les choses vont assez bien pour être pensables sans que la mise en tension psychique ne soit trop forte est moins difficile et permet souvent de gagner dans l’acuité du bonheur au quotidien.

M-Soigner : L’éternité et un jour/un jour et l’éternité : Ce titre en miroir, est-ce une pirouette ?
Dr Sarah Dauchy : Pas du tout. J.C. Ballot a apprivoisé une vision de la mort. Il pose sur elle un regard extrêmement apaisé qui transmet l'apaisement. C’est un passeur de sérénité et, même si les photographies sont très belles, il s’agit d’une autre dimension que la dimension artistique. La notion que l’on peut mettre une éternité dans une seconde et que deux semaines de vie peuvent tout changer. Certains patients disent « autant mourir tout de suite », pourtant, même limitées, leurs dernières heures peuvent être très riches et permettre d’ouvrir une nouvelle dimension. A partir du moment où l’on accepte de ne pas avoir toutes les cartes, on peut remettre de l’infini dans la finitude.

 

par Laurent Joyeux

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