Le Papotin, un journal rédigé par des autistes

Un journal rédigé par des autistes ? Avec des interviews et des comités de rédaction ? Cécile Pivot et Driss El Kesri reviennent sur l’histoire du Papotin à l’occasion de ses 30 ans. Ils témoignent d’une expérience de vie infiniment riche, généreuse et bienveillante. 

par Laurent Joyeux.

LaurentJoyeux

Le Papotin, 30 ans d’écrits libres et atypiques, retrace l’aventure d’un journal rédigé par des autistes. Cécile Pivot, journaliste, auteure, a recueilli la parole des acteurs de cette aventure humaine « hors norme ». Fondateurs, parents, invités et jeunes abordent toutes les facettes de cette aventure initiée par Driss El Kesri, éducateur à l’hôpital de jour d’Antony qui a fondé le journal en 1989. À ses cotés Gilles Roland-Manuel, médecin-directeur de l’hôpital sera le directeur de la publication et Moïse Assouline, psychiatre, le président de l’association « Le Papotin-Fenêtre sur la ville ».

Trouver des passerelles

L’objectif de l’association : promouvoir toute initiative permettant à des jeunes souffrant de troubles de la personnalité de mieux s’insérer dans la collectivité et leur permettre de trouver des passerelles entre la société et les institutions. Des règles de savoir être pour les conférences de rédaction sont définies : liberté de venir ou partir librement, de participer ou pas, de parler ou se taire. Aucun sujet imposé et une seule règle : ne pas se couper la parole. Dès les premiers numéros, les jeunes vont au cinéma, au théâtre, rencontrent hommes politiques et artistes.

Interviewés-interviewers

Marc Lavoine, Vincent Cassel, Barbara, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy… réalisateurs de cinéma, comédiens, chanteurs, hommes et femmes politiques, la liste des invités du Papotin est longue et ferait rêver les rédacteurs en chef les plus blasés. Arrivés avec une boule au ventre ou sans crainte, ils répondent aux questions directes et parfois insolites :« Tu n’es pas Nicolas le marchand de vin ? », « Marc, tu as vécu des moments en couveuse, ça voulait dire que tu avais des problèmes pour sortir ? » Driss El Kesri recueille les propos, ils seront validés par les journalistes avant publication. Extraits d’interviews et témoignages d’invités, ces fioretti restituent l’émotion, les rires, la profondeur des échanges et l’importance de la question pour celui qui la pose sans arrière-pensées.

Des règles de savoir être pour les conférences de rédaction sont définies : liberté de venir ou partir librement,
de participer ou pas, de parler ou se taire. Aucun sujet imposé et une seule règle : ne pas se couper la parole.

Pas une existence moindre, une existence différente

Au fil des chapitres, Cécile Pivot, elle-même mère d’un jeune autiste, rappelle les grandes étapes de la prise en charge des enfants autistes depuis les années soixante, la création de l’hôpital de jour Santos Dumont par une poignée de parents en 1963 et celle d’Antony en 1970. On perçoit la détresse et l’inquiétude des parents qui dénoncent les établissements plus ou moins adaptés, et les rencontres de hasard qui peuvent ruiner en quelques minutes des progrès patiemment acquis. Dans l’univers lourd du trouble du spectre autistique, le Papotin apparaît comme une oasis où le handicap est perçu autrement. Tout est fait pour donner le sentiment qu’on n’a pas affaire à une existence moindre, mais à une existence différente.

Ni dans le thérapeutique, ni dans l’éducatif

Le Papotin n’entre pas dans les cases thérapeutiques ou éducatives, pourtant il suffit de lire quelques lignes des poèmes de Claire, de Raphaël ou de Stéphane pour comprendre que quelque chose de puissant est à l’œuvre. Dris El Kesri remet en question bien des idées reçues sur le rôle des mutiques dans un groupe où la nature des crises ne sont pas perçues comme des régressions mais comme des défouloirs pour des jeunes soumis à des tensions extrêmes. Avec délicatesse, il pratique l’improvisation à haute dose, alternant les rituels qui rassurent et les changements de routine. Aujourdhui le Papotin a 30 ans, Dris a passé le relais et c’est Julien Bancilhon, psychologue à l’hôpital d’Antony, qui est le nouveau rédacteur en chef. A lui de guider le journal vers de nouveaux horizons, peut-être musicaux car il est convaincu « qu’il se passe quelque chose autour de l’autisme et de la musique ».

La vie est parfois rude, injuste et il faut faire avec ce qu’elle donne. Ce beau texte de Cécile Pivot, évoque avec des mots simples un miracle d’humanité, de partage et de poésie.

Merci aux Papotins !

Après avoir été invités par les Papotins à parler de leur film « Intouchables », Éric Toledano et Olivier Nakache ont eut l’idée de réaliser le film Hors normes. Touchés par la qualité de leurs échanges, ils se sont dit que « si ils étaient des journalistes intéressants, pourquoi ne seraient-ils pas des acteurs intéressants ? ». Pari gagné ! Leur film, interprété par Vincent Cassel, Reda Kateb et quelques Papotins a été présenté hors compétition en clôture du 72e festival de Cannes 2019.

Bibliographie de Cécile Pivot

Le Papotin, trente ans d’écrits libres et atypiques, Kero

Battements de cœur, Calmann-Levy Editions

Comme d’habitude, Calmann-Levy Edditions

Lire, coécrit avec Bernard Pivot, Flammarion

par Laurent Joyeux

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