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Information en santé : des journalistes « sous pression » 

Invité du Café Nile - Agence conseil en affaires publiques - le 11 décembre, Bruno Rougier, journaliste santé à France Info, a fait un point sur comment démêler le vrai du faux dans l’information en santé.

 Information préalable : cet article rédigé avant l'apparition du coronavirus prend tout sens dans le contexte actuel


Synthèse par Laure Martin.

LaureMartin 

Pourquoi est-ce si compliqué d'informer sur les questions de santé ? 

L’information en santé s’avère compliquée parce que la recherche évolue et la vérité également. Si l’on prend l’exemple de l’information autour de l’alcool, pendant longtemps, il a été dit, études à l’appui, que l'alcool (ndlr : vin) était excellent pour la santé, qu’il prévenait des maladies cardiovasculaires, que les polyphénols bloquaient certaines cellules cancéreuses. Puis quelques années plus tard, un certain nombre d’études ont démontré l’inverse. Concernant la femme enceinte en particulier, il leur est aujourd’hui déconseillé de consommer de l’alcool pendant toute la durée de leur grossesse car les études ont démontré qu’il passait dans le sang du fœtus via le placenta et que son foie et son rein étaient moins résistants pour l’éliminer. Donc un journaliste médical peut faire face, sur 30 ans, à des informations contradictoires.

Autre exemple parlant : celui du VIH. Lorsqu’on parlait du risque de contamination de ce virus découvert en 1983, des articles expliquaient qu’il ne fallait pas boire dans le verre de quelqu’un contaminé, ni embrasser une personne porteuse du VIH au risque de contracter le virus. Puis la recherche a démontré que ce n’était pas du tout le cas. L’information a donc changé. Mais de récents sondages réalisés auprès d’une population de jeunes révèlent qu’ils sont encore entre 18 et 20 % à penser que ces modes de contamination existent. Pourtant, l’information a beaucoup évolué et mis l’accent sur le port du préservatif, la trithérapie. En 2019, cela paraît évident mais la vérité d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui.

Y-a-t-il d’autres facteurs qui rendent cette information si compliquée ?

Effectivement, notamment du fait que cette information concerne une multitude d’acteurs, il s’avère parfois difficile de croiser les sources. Si l’on prend l’exemple de la crise de la grippe H1N1 en 2009, tout a débuté par un jeune homme de 29 ans, en bonne santé, qui vivait à Saint-Etienne, et qui est mort brusquement. C’est à ce moment-là qu’on s’est mis à parler de la grippe H1N1. En tant que journalistes, nous étions gênés car nos sources d’informations étaient d’abord les hôpitaux. Mais ils nous ont opposé le secret médical pour ne pas nous répondre sur l’existence ou non de cas dans leur enceinte. L’Institut national de veille sanitaire [devenu depuis Santé Publique France, NDLR], censé comptabiliser les cas, prend du temps à le faire, et le temps est l’ennemi des journalistes. Du côté des autorités de santé, le ministère a temporisé. Les infectiologues ont pu nous expliquer la contamination mais ils n’ont pas pu nous donner davantage d’informations sur le nombre de cas… Nous nous sommes parfois retrouvés coincés.

Dans le domaine de la santé, nous sommes aussi confrontés à des lobbies et des experts qui s’écharpent sur certains sujets. Le bon exemple étant celui de la vaccination avec deux camps : ceux qui soutiennent qu’il s’agit de la seule façon de se protéger et d’autres qui pensent prenons trop de risque notamment à cause des adjuvants contenus dans les vaccins. Comment les journalistes peuvent-ils faire le tri entre les différentes études qui paraissent sur ce sujet ? Idem pour les ondes électromagnétiques. Nous sommes confrontés à des sujets qui ne sont ni blanc, ni noir.

Enfin, il ne faut pas oublier que tout le monde, y compris les autorités de santé, peut être à l’origine d’informations erronées. Ce fut le cas par exemple avec ″l’invasion″ de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière en mai 2019 au moment des manifestations des Gilets Jaunes. Le directeur de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris, Martin Hirsch, ainsi que le ministère ont relayé l'information selon laquelle les manifestants voulaient commettre des dégradations. Mais très vite, du côté des médias, nous avons reçu des vidéos révélant que les personnes ayant pénétré dans l’enceinte de l’hôpital voulaient se mettre à l’abri. Les autorités ont divulgué des informations erronées, et nous journalistes, nous avons cherché à communiquer de la manière dont nous pouvions.

Dans le domaine de la santé, nous sommes aussi confrontés à des lobbies et des experts qui s’écharpent sur certains sujets. Le bon exemple étant celui de la vaccination !

Comment gérer la survenue d’une crise sanitaire dans un contexte d’information continue ?

Radio France a été l’un des premiers médias à proposer de l’information en continue. Aujourd’hui, les rédactions sont sous pression. Lorsqu’il y a une crise sanitaire, c’est compliqué car les journalistes sont noyés sous un flot d'informations contradictoires. Un bon exemple : le Levothyrox. Entre les informations du ministère et des agences de Santé, les témoignages de patients et l'avis des experts, tout était cahotique. Il faut s’adapter au fil de l'eau, faire du tri. 

Qu’est qu’une source fiable en santé ?

Nous avons de nombreuses sources d’information : le ministère de la Santé, les agences gouvernementales, les Entreprises du médicament (Leem), les médecins spécialistes et généralistes, les revues spécialisées qui sont très importantes pour nous journalistes généralistes, les associations de patients, les agences de presse. Pour savoir si nous pouvons leur faire confiance, nous devons toujours nous demander quel est l'intérêt sous-jacent de l'émetteur et donc essayer de comprendre pourquoi on nous a communiqué une telle information.

Comment vérifier les informations ?

Pendant longtemps on a considéré qu’il fallait deux sources différentes sans aucun lien entre elles pour communiquer sur une information. Mais avec l’essor de l’information continue, nous avons une pression énorme de nos hiérarchies pour diffuser de l’information rapidement. Les rédacteurs en chef veulent des informations exclusives, veulent être les premiers. Il faut y faire attention.

par Laure Martin

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