Comme à la fac - #8 Contre le confinement ?

Ce 8e épisode de "Comme à la fac" analyse la question de la mesure de l'efficacité du confinement. Les informations que nous possédons actuellement sur la pandémie ne sont pas suffisantes pour affirmer que le confinement est le bon levier.  La posture politique pèse aussi beaucoup dans la balance. COMME À LA FAC - Comprendre la crise coronavirus est animée par Maël Lemoine, professeur à l'Université de Bordeaux et chercheur dans une unité CNRS d’immunologie, ImmunoConcept. Son but est de prendre du recul sur les événements Covid-19 en vous livrant un éclairage court et posé de niveau universitaire.

Ci-dessous une vidéo de trois minutes immédiatement  suivie d'un article

Accéder à la playlist de tous les épisodes : Comme à la fac : comprendre la crise covid-19
Voir l'épisode #1 sur 
le scénario d'atténuation
Voir l'épisode #2 sur le scénario d'endiguement
Voir l'épisode #3 sur les traitements à l'étude
Voir l'épisode #4 sur le nombre de cas non-détectés
Voir l'épisode #5 sur les tests diagnostiques
Voir l'épisode #6 sur l'utilité des masques
Voir l'épisode #7 sur le nombre de morts

 

#8 Contre le confinement ?

Le confinement aurait épargné entre 21 000 et 120 000 personnes dans onze pays d’Europe à la date du 31 mars, selon une estimation de l’équipe d’épidémiologistes d’Imperial College dont j’ai parlé dans les deux premiers épisodes de cette série. On ne sait pas combien exactement, mais on croit tous que le solde est positif.

Par Maël Lemoine

MaelLemoine

C’est sur ce point, que le très réputé professeur John Ioannidis a jeté le doute dans une tribune du 17 mars dernier. « Nous prenons des décisions, argumente-t-il, sur la base de données non fiables ».

Le taux de létalité du Covid-19 justifie-t-il le confinement ?

Ioannidis n’est pas un excentrique de l’épidémiologie, mais une voix très écoutée et un esprit indépendant, respecté pour son exigence scientifique. On ne sait combien de sujets sont infectés et combien immunisés. Il est donc tout simplement impossible de dire si ces décisions politiques feront plus de bien que de mal.

Le taux de létalité de la maladie – c’est-à-dire le nombre de morts divisé par le nombre de sujets diagnostiqués – pourrait en principe être de 1% – mais il pourrait également être de 0,05% (c’est-à-dire un taux de létalité inférieur à celui de la grippe saisonnière aux Etats-Unis). Si le taux de létalité du Covid-19 se trouve dans la partie basse de cet intervalle, la décision de confinement est certainement bien plus délétère que la décision de ne pas confiner.

À cause des subtilités liées au calcul du taux de létalité, mais aussi à la surmortalité, dont j’ai parlé dans la vidéo précédente, il est donc possible que le confinement tue davantage de gens qu’il n’en sauve. Il est possible, pour ainsi dire, qu’il troque un petit nombre de morts visibles – les patients atteints par le coronavirus – pour un grand nombre de morts invisibles – tous ceux qui mourront d’autre chose à cause des perturbations engendrées par le confinement.

N'est-il pas plus risqué de saturer le système de santé ?

L’aplatissement de la courbe, toujours selon Ioannidis, pourrait en effet provoquer une saturation chronique du système de santé, responsable d’une surmortalité importante pendant des mois.

Enfin, conclut-il, si le coronavirus infectait 60% de l’humanité et tuait 1% des personnes infectées – soit 40 millions de morts –, il tuerait autant que la grippe espagnole en son temps. Mais il tuerait très majoritairement des personnes fragiles et âgées, qui seraient décédées rapidement de toute façon. Tandis que la grippe espagnole avait tué, majoritairement, des sujets jeunes.

Il n’y a pas d’erreur dans le raisonnement de Ioannidis, seulement un fait capital – nous ne savons pas combien de personnes sont infectées et quel est le taux de létalité de la maladie – et quelques hypothèses.

Tous les gouvernements ont jugé le coût politique des morts visibles bien supérieur au coût politique des morts invisibles. C’est peut-être par cynisme. Mais un facteur essentiel, pour beaucoup de gouvernements, a été de décider d’un confinement de durée limitée et de soigneusement préparer le déconfinement.

Pourquoi les gouvernements ont-ils choisi d'appliquer le confinement ?

Mais l’analyse manque peut-être un problème politique fondamental. Tous les gouvernements ont jugé le coût politique des morts visibles bien supérieur au coût politique des morts invisibles. C’est peut-être par cynisme. Mais un facteur essentiel, pour beaucoup de gouvernements, a été de décider d’un confinement de durée limitée et de soigneusement préparer le déconfinement. C’est ce sur quoi ils comptent pour démentir l’analyse de Ioannidis. Trois facteurs seront cruciaux : la rigueur des mesures de prévention générale, le suivi des départs d’épidémie et la pratique de tests à grande échelle en population générale pour estimer la prévalence de la maladie.

Le pari du pire n’est pas toujours le meilleur et le pari du meilleur est parfois le pire. Mais une décision politique doit se faire dans l’incertitude et elle consiste souvent à prendre la voie qui laisse le plus d’alternatives envisageables. C’était d’abord de ne pas confiner. Ce fut ensuite de confiner. Ce sera demain de déconfiner. Après-demain, peut-être, de confiner à nouveau.

La prochaine fois, j’examinerai une question qui revient souvent : y a-t-il des chances que le virus disparaisse avec la persistance du beau temps – ou que l’épidémie revienne tous les ans ?

par Maël Lemoine

Economie & Organisation

Acteurs de santé

Santé publique

Société & idées