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Une crise des revues scientifiques ?

La pandémie a ouvert le capot sur le moteur du progrès médical : les revues scientifiques. Nos concitoyens ont appris à cette occasion ce que sont les essais randomisés, les preprints et le peer-reviewing. Beaucoup ont conclu aux pires désordres : les marchands auraient-ils envahi le temple de la science ?

Une attention exceptionnelle du public

Il faut bien le reconnaître : en dehors des spécialistes impliqués dans la recherche et d’une poignée de journalistes scientifiques formés, presque personne ne lit, d’ordinaire, les revues scientifiques. La LCA (« Lecture critique d’articles ») introduite il y a moins de vingt ans au programme de l’ECN n’a pas encore transformé très visiblement la profession médicale en dehors des praticiens hospitaliers. La langue, le degré de spécialisation, la technicité, les codes propres aux différents domaines de la recherche, l’abondance des sources et le manque de disponibilité, tout conspire à rebuter le lecteur et à le rendre tributaire de résumés de seconde main. Les sociétés savantes, les journalistes, une poignée de leaders d’opinion, construisent des ponts, mais parfois aussi des écrans, entre les producteurs et les usagers des nouveaux savoirs médicaux.

Pendant les mois de crise, l’attention exceptionnelle portée à la recherche par un public beaucoup plus large dont l’agenda fut brusquement purgé, a changé la donne. Tout le monde s’est passionné pour l’épidémiologie, l’écologie, l’infectiologie, l’immunologie et la santé publique. Des leaders d’opinion nouveaux ont émergé. Il a fallu remplir les grilles des chaînes d’information continue avides de nouveautés sur la première crise qui ait réussi le grand chelem sur à peu près tous les journaux, mais également sur tous les articles de journaux.

L’accélération du temps a produit l’invincible impression d’un virus pas comme les autres. Mais surtout les grandes revues comme "Nature", "Science" et "The Lancet" sont soudain devenues, tour à tour, un phare dans la tempête et un projecteur dysfonctionnel affecté d’un faux contact.

Les effets de distorsion ont été majeurs. Les hésitations d’une recherche qui commence sont devenus des revirements, les incertitudes préliminaires, des débats, les inconnues, des dysfonctionnements ou des difficultés chroniques du financement public de la recherche. L’accélération du temps a produit l’invincible impression d’un virus pas comme les autres. Mais surtout les grandes revues comme "Nature", "Science" et "The Lancet" sont soudain devenues, tour à tour, un phare dans la tempête et un projecteur dysfonctionnel affecté d’un faux contact.

Rien de nouveau sous le soleil des Science studies

Deux interprétations ont dominé la scène publique. Selon la première, la crise covid-19 a provoqué un enrayement de la recherche comme il s’en produit de temps à autre. Certaines figures du monde médical ont perdu le sens des réalités et se sont rêvés en messies de la recherche. Certains chercheurs, facilement convaincus d’avoir raison contre tous, ont soudain perdu le sens de la mesure. Certains acteurs se sont jetés sur les effets d’aubaine produits par l’ouverture des vannes financières sur les projets orientés coronavirus. Les chercheurs ont été pressés de sauter aux conclusions, les auteurs d’articles de publier des manuscrits encore mal assurés, les relecteurs, de les valider à la hâte, des éditeurs, de les accepter en plus grand nombre qu’il n’aurait fallu.

Selon la deuxième interprétation, la crise a simplement mis au grand jour des dysfonctionnements endémiques de la recherche médicale. Ce n’est pas exceptionnellement, mais constamment, que la recherche serait une machine folle à publier des résultats douteux qui, le plus souvent, n’ont qu’un impact mesuré sur les pratiques de santé ; que les chercheurs qui obtiennent des financements sont ceux qui s’intéressent moins aux maladies qu’à leurs carrières ; que les relecteurs sont partiaux et les éditeurs influencés par les intérêts de l’industrie pharmaceutique.

Il règne une incroyable naïveté sur toutes ces questions. Elles font pourtant l’objet d’un champ disciplinaire méconnu que l’on appelle les Science studies : un ensemble de disciplines, de l’histoire à la sociologie en passant par la philosophie ou la bibliométrie, qui étudient le fonctionnement et les dysfonctionnements de la science. Pour un aperçu accessible au lecteur attentif, on regardera quelques publications récemment parues sur le site theconversation.com, comme cet article récent sur le contrôle des revues scientifiques.

Finalement, l’hydroxychloroquine, ça marche ou pas ?

Un exemple édifiant est l’ensemble des revirement apparents sur l’hydroxychloroquine. A celui qui aurait voulu tirer des conclusions rapidement, il a semblé que la recherche faisait n’importe quoi : un jour, c’était efficace, le lendemain, ça ne l’était plus. A l’observateur attentiste et attentif, la recherche a tout simplement fait progressivement la lumière sur les différents effets d’un traitement. A chaque étape, on pouvait faire un pari : « ça devrait marcher », ou « ça ne devrait pas marcher », mais certainement en aucun cas tirer une conclusion qui étaye une pratique.

Il faut enfin déboulonner la croyance que de « grands intérêts » financiers cherchent à empêcher la vérité d’éclater. Non pas que cela n’arrive jamais. Mais c’est aussi une défense toujours commode pour tous ceux qui ne veulent pas admettre qu’ils ont eu tort – il est en effet impossible de démontrer que quelque chose de caché n’existe pas.

Le paroxysme de la crise hydroxychloroquine a été atteint quand le "Lancet" a lancé un avertissement sur une étude apparemment négative sur ce traitement, et que trois de ces auteurs se sont rétractés, peu de temps après que le prestigieux journal l’avait pourtant acceptée. Sans aucune ambiguïté, il y a eu dysfonctionnement : jamais l’article n’aurait dû être publié.

Mais il faut souligner que le dysfonctionnement a été révélé très vite et que le journal a réagi rapidement. Difficile en effet de ne pas comparer ce système de contrepoids à la possibilité, pour un ténor autoproclamé plus grand spécialiste du monde, de raconter ce qui lui passe par la tête, de dénoncer tout le monde sans jamais se remettre en question lui-même, de se contredire à plusieurs reprises, et tout cela en toute impunité.

Il faut aussi remarquer que les résultats ne sont pas « en faveur » ou « en défaveur » de l’hydroxychloroquine, mais qu’ils montrent soit une absence d’effet thérapeutique, soit l’existence d’effets secondaires – des quantités mesurables et continues qui sont difficiles à traduire en conclusions simples.

Il faut enfin déboulonner la croyance que de « grands intérêts » financiers cherchent à empêcher la vérité d’éclater. Non pas que cela n’arrive jamais. Mais c’est aussi une défense toujours commode pour tous ceux qui ne veulent pas admettre qu’ils ont eu tort – il est en effet impossible de démontrer que quelque chose de caché n’existe pas. En l’occurrence, l’explication est difficile à avaler. Les laboratoires qui fabriquent de l’hydroxychloroquine en ont vendu beaucoup plus. Le traitement qui a finalement été salué comme le plus efficace à ce jour, n’est pas le plus cher – le remdesivir de Gilead –, mais la dexaméthasone, qui est également dans le domaine public. Même si l’hydroxychloroquine avait été efficace, elle n’aurait sans doute pas entamé l’intérêt d’un vaccin contre ce coronavirus – intérêt médical, mais sans doute aussi, intérêt financier colossal.

Du sensationalisme à la maturité

Après coup, il faudra sans doute réfléchir sur une certaine crédulité du grand public, mais aussi sur son appétit inégalé de comprendre des phénomènes complexes. Il faudra aussi se souvenir que les médecins et les grands savants peuvent être à la fois chevronnés sur leur domaine de spécialité et naïfs sur ses fondements. Si les spécialistes des sciences sociales étaient médecins eux-mêmes, ils leur prescriraient un traitement quotidien aux Science Studies. A vie.

Pour compléter votre lectureInformation en santé : des journalistes « sous pression »

par Maël Lemoine

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