Rencontre avec Marc Petit, sculpteur d’humanité...

Les sculptures de Marc petit ont la puissance tragique des corps pétrifiés de Pompéi. Les crânes affleurent sous les peaux de bronze ridées, sèches comme les bois morts et les écorces qui l’inspirent.

Fatigués, résignés, vides parfois, les regards témoignent d’un quotidien et de drames anciens que nous ne connaîtrons pas car Marc Petit revendique haut et fort sa vision du rôle de l’artiste dans la société : « Poser les questions sans y répondre ! » à ses débuts certains critiques parlaient des « fantômes » de Marc Petit, aujourdhui il est reconnu par beaucoup de professionnels de l’art comme le premier sculpteur vivant*. Sans fausse modestie, il savoure l’honneur d’avoir pour pairs Ron Mueck, Ousmane Sow, Marc Perez ou Giuseppe Penone, et plus encore d’avoir été élu par un pannel de « vrais connaisseurs de la sculpture contemporaine ». Retour sur 35 ans d’une carrière dont le fil rouge est sans doute la compassion et une infinie tendresse pour cette humanité complexe, tout à la fois fragile et endurante, qui s’accroche à l’Espérance restée seule au fond de la boîte de Pandore.


* D‘après une enquête menée par le magazine « Miroir de l’Art » auprès de 1 000 galeristes, collectionneurs et artistes.


par Laurent Joyeux

LaurentJoyeux

Laurent Joyeux : Vous êtes fils de tailleur de pierre je crois, vous avez toujours voulu être sculpteur ?


Marc petit portrait

Marc Petit : à 14 ans, je sculptais la pierre. J’ai eu la chance de rencontrer deux artistes à Cahors où je vivais : René Fournier, qui m’a appris le B.A.-BA du métier, et Jean Lorquin, 1er prix de Rome. Je lui ai présenté mes premiers essais à 17 ans qui ont été alors sévèrement jugés : « Poésie d’un gosse de 6e ! ». Quelques années plus tard, après ma première exposition, il acceptait de m’épauler. Avec un caractère bien trempé, il m’a tout appris du travail, de la morale et de l’éthique. C’était « Le » maître, celui qui met au niveau. Quand il est mort j’avais 38 ans, mais son avis compte toujours pour moi.


L. J. : Quelle est la grammaire de votre sculpture ? Sa filiation ?


M. P. : Sculpter c’est écrire de la poésie avec la technique et les formes. En arpentant les musées, on se nourrit du travail des autres. J’y ai appris l’orthographe et la ponctuation de ma sculpture. Qu’elle soit grecque, étrusque ou khmère, chaque œuvre peut être lue comme un texte. Je me rappelle d’un fragment de pied en ivoire conservé au musée de Delphes. Sinon, j’ai beaucoup d’admiration pour Giacometti et Germaine Richier. Il faut prendre le temps de détricoter les œuvres de cette sculptrice, se demander, étape par étape, comment elle arrive à ce résultat pour que ça devienne magique.


L. J. : Et l’anatomie ?


M. P. : Essentielle, il faut la connaître parfaitement pour se permettre des libertés avec le corps. Dans mon travail, je tords les têtes, les membres… cette connaissance du corps donne du sens au niveau de la forme, de la légitimité à ces distorsions.


L. J. : Comment travaillez-vous ?


M. P. : Ma lumière c’est la matière. Elle est tactile, j’aime la sentir au creux de la main, modeler la terre, le plâtre ou la cire. Depuis 15 ans, j’inclus dans mes œuvres des morceaux de bois assemblés avec de la cire et du plâtre. Pour les très grands formats, je sculpte du polystyrène que j’enduis de plâtre. Ils seront ensuite moulés et coulés selon la technique de la cire perdue.


Pendant que je travaille, personne n’entre dans l’atelier. Je suis toujours attentif à l’avis des autres - qu’il s’agisse d’un critique d’art ou d’un enfant - mais je suis mon chemin.


L. J. : Vous travaillez souvent par séries


M. P. : J’alterne le dessin ou la sculpture. Je ne sais jamais ce qui déclenche le processus de création ou le stoppe. Une famille de sculptures naît et se développe, mais à un certain moment l’ennui s’installe et je sais que c’est fini. Aller plus loin dans ce travail ne lui apporterait plus rien, lui enlèverait même du sens.


L. J. : Quelques temps forts de votre carrière ?

M. P. : La première expo à Paris dans les années quatre-vingt dix avec les premiers articles de presse et les premières ventes si nécessaires pour l’estime de soi en début de carrière.


Deux belles expositions parmi beaucoup d’autres : 2011 , la rétrospective que Jean-Claude Volot a accueilli dans son Centre d’art contemporain de l’Abbaye d’Auberive. 320 sculptures dans 26 salles et l’entrée de ma Danse macabre dans la collection permanente. Et également, l’été dernier, l’installation de 74 sculptures dans les jardins de l’évêché à Limoges, organisée par la ville et par la galerie ARTSET qui m’expose depuis 25 ans.


L. J. : Et le musée Marc Petit d’Ajaccio ?


M. P. : La rencontre fortuite entre un artiste et un collectionneur. François Ollandini cherchait un ou deux grands formats pour son Lazaret d’Ajaccio - un ancien centre de quarantaine pour marins - où il souhaitait installer un musée en plein air. Finalement il en choisit 32. En 2008, il a décidé d’en faire un lieu permanent pour mes œuvres. Il dit souvent : « je savais que c’était le premier artiste, je ne savais pas que ce serait le seul…»… 


Le jour de l’inauguration : marche solennelle aux cotés du maire d’Ajaccio, fifres, tambours, et grognards au garde à vous, la population et 200 amis du continent . Du décorum et beaucoup d’émotion !


L. J. : Des projets ?


M. P. : Plusieurs ! En ce moment, je prépare un vitrail de 5 m par 2 pour une église limousine ; un projet magnifique de musée sous-marin dans la baie d’Ajaccio et, le 4 décembre prochain, Sur le fil, un groupe de 13 personnages grandeur nature, part chez le fondeur... 


Le regard du médecin