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Psycho-oncologie : parler de la mort avec les patients cancéreux

"À partir du moment où l’on accepte de ne pas avoir toutes les cartes, on peut remettre de l’infini dans la finitude."

Propos recueillis par Laurent Joyeux.

LaurentJoyeux

sarah dauchy portraitDr Dauchy, qui sont vos patients ?

Exclusivement des malades souffrant d’un cancer ou en rémission après un cancer, avec des difficultés psychopathologiques. Le rapport à la mort se pose dès qu’on parle de cancer et le simple soutien psychologique ne suffit pas toujours, des soins psychologiques ou psychiatriques sont parfois nécessaires pour supporter l’angoisse de mort.

Comment est née l’idée d'une exposition récente – l'Éternité et un jour – avec le photographe J.-C. Ballot pour parler de la mort ?

Nous nous connaissions depuis des années avant que je ne découvre son travail. Cette soirée unique a été un exercice tout à la fois hyper intéressant et très compliqué. Mon expérience, mes outils, sont dans le « faire » : s’engager relationnellement auprès d’un patient ou de sa famille, évaluer son état psychique, proposer un traitement, l’accompagner jusqu’au bout. Prendre la parole sur l’angoisse de la mort et la pensée de notre finitude autour de ces photographies m’a obligée de sortir du registre et du rythme médical.

La mort est-elle un sujet évident à aborder ?

La photo et l’expression artistique sont de très bons médiums qui permettent un relais de parole, car le principe de la Vanité passe outre à un certain nombre de barrières. L’idée de notre propre mort est réputée impensable… Le déni de la mort fait partie des défenses psychiques archaïques et certaines personnes tentent à tout prix de ne pas y penser. Jusqu'au dernier moment : la mort, ça concerne les autres, pas elles. Pourtant, on s’en sort souvent mieux quand on parvient à penser tôt à notre finitude et à accepter l’incertitude. On ne contrôlera pas le jour et l’heure. Parler tôt, quand les choses vont assez bien pour être pensables sans que la mise en tension psychique ne soit trop forte est moins difficile et permet souvent de gagner dans l’acuité du bonheur au quotidien.

La photo et l’expression artistique sont de très bons médiums qui permettent un relais de parole car le principe de la Vanité passe outre à un certain nombre de barrières.


"L’éternité et un jour/un jour et l’éternité"... Ce titre en miroir, est-ce une pirouette ?

Dr Sarah Dauchy : Pas du tout. J.- C. Ballot a apprivoisé une vision de la mort. Il pose sur elle un regard extrêmement calme qui transmet l’apaisement. C’est un passeur de sérénité et, même si les photographies sont très belles, il s’agit d’une autre dimension que la dimension artistique. La notion que l’on peut mettre une éternité dans une seconde et que deux semaines de vie peuvent tout changer. Certains patients disent « autant mourir tout de suite », pourtant, même limitées, leurs dernières heures peuvent être très riches et permettre d’ouvrir une nouvelle dimension. À partir du moment où l’on accepte de ne pas avoir toutes les cartes, on peut remettre de l’infini dans la finitude.

par Laurent Joyeux