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Santé et questions médicales, terrain fertile des fake news

Fake news, infox, désinformation… Les mots ne manquent pas aujourd’hui pour désigner un phénomène complexe qui prend une dimension préoccupante. La loi anti-fake news (1), publiée au Journal Officiel le 23 décembre dernier  en est la preuve. La santé est particulièrement touchée.

par Carole Ivaldi.


Carole Ivaldi

 

Pour compléter cette lecture : Le Blob, nouvelle plateforme numérique de vulgarisation scientifique, est né !

 

Fake news : origines, fonctionnement, et objectifs

Des mensonges appuyant la  campagne pro-Brexit, au « pizzagate » accusant Hillary Clinton d’être à la tête d’un réseau pédophile dans une pizzeria de Washington ; du virus du sida qui aurait été créé en laboratoire et testé sur la population africaine au vaccin ROR qui serait à l’origine de l’autisme… Les fake news  envahissent de plus en plus vite l’espace médiatique, politique, la santé et les faits divers.
Pas simple de définir ce que recouvre une fake news. Tristan Mendès France, enseignant au Celsa et spécialiste des nouvelles cultures numériques, déclare que « les fake news ne peuvent pas se réduire à une seule définition, c’est un mélange de vrai, de faux, de sensationnaliste ou encore d’omission ».

• Fake news, entre croyance et défiance

Les fake news sont les rumeurs d’autrefois. Basées sur des croyances, elles ont toujours existé, mais différemment autrefois car l’environnement l’était aussi. Comme le précise Gérald Bronner, sociologue (2), la rationalité subjective est du ressort de la croyance. « Il est toujours plus facile de croire, que d’acquérir un savoir basé sur des preuves. » Les campagnes de désinformation qui peuvent aller jusqu’aux théories du complot  ne s’appuient pas uniquement sur la naïveté de certains individus convaincus par des rumeurs ou des croyances infondées.
La tendance aux fake news s’est aussi paradoxalement développée en raison d’une défiance croissante envers tous ceux qui étaient jusque là les garants du savoir : experts, scientifiques, journalistes, politiques et institutions. France stratégie, dans son rapport « Expertise et démocratie : faire avec la défiance » (3) identifie les principaux facteurs de cette défiance. D’abord, l’accroissement du niveau d’instruction de l’ensemble de la population. Entre 1981 et 2016, la part des personnes peu diplômées en France, est passée respectivement de plus de 60 % à 21% parmi les 25-64 ans. Ensuite, lorsque les perspectives de croissance sont défavorables, le doute et la remise en cause des dirigeants s’installent. Enfin, les nombreuses crises sanitaires de ces dernières décennies (crise du sang contaminé, crise de la vache folle, crise de la vaccination, crise du médiator, crise du Levotyrox etc.) ont fragilisé la confiance en les spécialistes et en les politiques.

Fake news et médias numériques

Le même rapport souligne à quel point Internet, les moteurs de recherche et les réseaux sociaux ont grandement participé à transformer la fabrication, la circulation et la réception des informations. Pour Daniel Agacinski, rapporteur du rapport, les réseaux sociaux ne sont pas la cause des fake news, mais ils accélèrent le processus de désinformation en les répandant très rapidement sur la toile. « On assiste à l’émergence d’une nouvelle “économie de l’attention”, gouvernée par des algorithmes des médias numériques, et le bouleversement de l’intermédiation et de la recommandation sont des réalités connues et grandement analysées. » (3)(3bis) La hiérarchie des contenus est par exemple dessinée sur Google par son algorithme PageRank, qui classe les pages web en fonction, notamment, du nombre de liens dirigés vers celles-ci. Quant aux réseaux sociaux, les informations sur Facebook sont déterminées par ce que diffusent nos « amis », tandis que sur Twitter, le contenu des informations est influencé par les comptes que l’abonné a choisi de suivre, ainsi que par les tendances les plus marquées de l’actualité. L’importance d’une information ne dépend plus de l’autorité qui l’émet mais de sa « popularité » sur les médias numériques.
Autre problème posé par une infox : « Une fois lancée dans l’opinion publique, elle marque les esprits, et il est très difficile de redonner confiance à la population ensuite » déclare Alain Fisher, professeur d’immunologie pédiatrique et titulaire de la chaire de médecine expérimentale au collège de France.
La désinformation et la manipulation peuvent prendre différentes formes. Des fake news aux dérives sectaires, la limite est parfois ténue. Sur l’ensemble des signalements de dérives sectaires signalés à la Mission Interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), 40 % ont un lien direct avec la santé. La Miviludes dénombre à ce jour 1 800 structures d’enseignement ou de formation « à risques » dans le domaine de la santé.

 L’importance d’une information ne dépend plus de l’autorité qui l’émet mais de sa « popularité » sur les médias numériques.


Les principaux objectifs des infox sont d’influencer l’opinion, de déstabiliser un gouvernement, de gagner des élections, ou un pur intérêt économique ou financier. Aujourd’hui, la multiplication des fake news dans la santé représente une menace pour la santé publique.

Les Fake news dans la santé

«  La moitié des fake news concerne la santé » résume Frédéric Dardel, président de l’université Paris Descartes. Le cadre est posé : parce qu’elle cristallise des peurs, la santé est un terreau favorable aux fake news. Les conséquences sont graves car certaines peuvent mettre la vie d’individus en danger. « Parmi les fake news présentes dans le domaine de la santé, on trouve les vaccins, l’alcool, les médecines alternatives, la nutrition/les mesures diététiques, et la sécurité routière », résume Alain Fisher.

• Les vaccins, cibles des émetteurs de fake news

L’étude du médecin-chercheur Andrew Wakefield, publiée dans le Lancet en 1998, affirmant que le vaccin rougeole-oreillons-rubéole (ROR) provoquait une forme d’autisme, a eu des conséquences dramatiques en termes de santé publique. « Une grande défiance s’est installée en Angleterre, entraînant une baisse significative de la couverture vaccinale chez les enfants en âge de le recevoir. Les cas de rougeole, potentiellement mortelle, ont alors fortement augmenté. La résurgence de la rougeole a également eu lieu en France entre 2008 et 2015, touchant plus de 25 000 personnes, et provoquant plus de 5 000 hospitalisations ainsi qu’une vingtaine de décès ». Des liens d’intérêts existants entre A.Wakefield et une société d’avocats proche des milieux anti-vaccination, sponsor de son étude, furent formellement établis par la suite, ce qui lui valut d’être radié à vie du British medical Council. Néanmoins, le mal était fait.
Depuis 2017, un nouveau vent de défiance souffle sur les vaccins en France, comme en Europe. La réapparition de la rougeole en est la malheureuse résultante, et les fake news en sont une fois de plus la cause. « Un quart des Français serait sensible à de fausses informations que des « scientifiques » continuent à propager concernant les vaccins, ajoute Alain Fisher. Ces attaques sont liées à une décrédibilisation systématique des experts. Le Pr Henri Joyeux, figure de proue des anti-vaccins en France, a largement contribué à développer une méfiance à l’égard de la vaccination. Radié en 2016 pour mise en danger de la santé publique, il parvint pourtant à faire annuler cette mesure en 2018 invoquant « la liberté d’expression »… Dans ce contexte de défiance croissante, les pouvoirs publics français ont pris une décision forte en faisant passer de 3 à 11 le nombre de vaccins obligatoires pour tous les enfants nés après janvier 2018. L’OMS a aussi tiré la sonnette d’alarme cette année sur la baisse de la couverture vaccinale, qui représente l’un des dix plus gros problèmes de santé à traiter en 2019. Pas moins de 1,5 million de décès pourraient être évités si la couverture vaccinale mondiale s’améliorait.

 

Vaccins : cibles privilégiées

• Hépatite B

Le vaccin contre l’hépatite B a  été l’objet d’une campagne de désinformation en France, selon laquelle il serait responsable du développement de la sclérose en plaques. Cette infox qui ne repose sur aucune réelle preuve scientifique a alimenté une méfiance croissante de la population à l’égard de ce vaccin.

HPV

Les vaccins Gardasil et Cervarix contre les papillomavirus, en cause dans certains cancers du col de l’utérus, de la vulve, du vagin, de l’anus ou des amygdales, n’ont malheureusement pas échappé à leur lot de fake news. Une campagne de désinformation orchestrée par deux médecins invoquant un lien causal entre la vaccination et l’augmentation du cancer du col de l’utérus a rendu frileux de nombreux parents français à l’égard de cette vaccination. Résultat : avec ses 3 000 nouveaux cas de cancers du col diagnostiqués, son millier de morts et ses 50 000 condylomes chaque année, la France est l’un des pays qui a le taux de vaccination contre le HPV le plus bas et en subit nettement les conséquences.


• Les médecines alternatives

Une partie des professionnels de santé dénonce les médecines alternatives, accusées d’être coûteuses, inefficaces et basées sur des études fantaisistes. Elles seraient responsables d’entraîner des retards de diagnostics allant jusqu’à mettre en danger la vie des malades. L’homéopathie, ou la mésothérapie pour ne citer qu'elles seraient des disciplines dont l’efficacité des pratiques n’a pas été scientifiquement prouvée.   
L’appel de 124 professionnels de santé contre les « médecines alternatives »  (http://sante.lefigaro.fr/article/l-appel-de-124-professionnels-de-la-sante-contre-les-medecines-alternatives-/) le 19 mars 2018 a voulu lancer une alerte médiatique sur les fausses promesses et l’efficacité non prouvée de ces médecines. Motrial, premier moteur de recherche sur les études portant sur les médecines douces est consultable sur http://montpellier-cancer.com/motrial-1er-moteur-de-recherche-des-etudes-cliniques-sur-les-medecines-douces/

• Le poids des lobbies

Enfin, dernière cause de méfiance des citoyens vis-à-vis de la parole de professionnels de la santé « experts » : les différents scandales où des liens d’intérêt ont été révélés entre les experts et des entreprises pharmaceutiques.  
En décembre 2018, et c’est une première, la chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre des médecins, a donné un avertissement au Dr Robert Cohen, pédiatre, pour ne pas avoir mentionné ses liens d’intérêts avec les fabricants de vaccins comme Pfizer et Sanofi, GSK et MSD, lors de ses interventions médiatiques pro-vaccination. 
Tout lien passé sous silence d’un médecin ayant une reconnaissance médiatique avec l’industrie pharmaceutique comporte le risque d’altérer son indépendance. Le Code de la santé publique (Article L4113-13, Modifié par LOI n°2016-41 du 26 janvier 2016 - art. 115) prévoit à ce propos que « tout médecin doit déclarer oralement ses liens d’intérêts qui peuvent constituer des conflits d’intérêt. »

Contrecarrer les fake news ?

Dans le contexte actuel, « ne rien faire contre les fake news, c’est laisser la porte grande ouverte au marché totalement dérégulé de l’information où règne la loi du plus fort » prévient Gérald Bronner. Pour lutter contre les infox, il faut se doter d’un système fiable de détection et d’arbitrage des informations.

• Le grand défi de la formation

Développer la pensée critique lors des études
« La meilleure régulation est la régulation individuelle, poursuit le sociologue  Gérald Bronner. C’est un exercice intellectuel que chacun doit savoir faire depuis son plus jeune âge et toute sa vie. Le travail de la formation de nos étudiants à la pensée critique est essentiel. » Apprendre à vérifier la qualité d’une information passe par deux réflexes essentiels. Le premier : estimer systématiquement la qualité de la source et de la méthode à l’origine de l’information. D'aprés une enquête BVA pour le think tank « La villa numeris », une majorité des internautes français reconnaissent relayer des messages sans même avoir pris la peine de se renseigner sur la fiabilité de la source. 59 % des Français partagent une information sur les réseaux sociaux « en ayant conscience que la source n’est pas parfaitement fiable, pour impliquer, faire réagir, ou faire rire leurs amis ». 43 % des Français avouent « ne jamais vérifier la source » de l’information.
Croiser les informations pour maximiser leur degré d'authenticité. Attacher une importance au financement éventuel del'information : un soutien financier n'est pas forcément rédhibitoire mais doit être clairement spécifié pour ne pas créer une confusion dans l'esprit du lecteur. Le site www.transparence.sante.gouv.fr est l’un des sites qui répertorie les différents liens
Initier et former les universitaires, les chercheurs et tout professionnel de santé aux obligations en matière de liens d’intérêt.

• La loi anti fake news

Adoptée par le Parlement le 20 novembre dernier et publiée au JO le 23 décembre dernier (), la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information en période électorale définit une fausse information comme  « une allégation ou imputation inexacte ou trompeuse d'un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin ».
Cette loi demande aux opérateurs de plateformes en ligne de s’engager, durant les trois mois précédant une élection, à révéler l’identité de toute personne ou parti politique achetant des espaces publicitaires à des fins politiques, et de divulguer le montant versé à la plateforme en contrepartie.
Elle autorise toute personne, ou parti politique, à saisir un juge s’il constate la diffusion d’une infox durant la période électorale. Le juge dispose alors de 48 heures pour évaluer la nature de l’information et ordonner éventuellement sa dépublication.
Enfin, elle donne la possibilité au CSA d’interdire à certaines chaînes étrangères d’émettre sur le territoire français si ces derniers « diffusaient de façon délibérée, de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin ».
La France insoumise et les syndicats de journalistes sont contre cette loi qu’ils jugent liberticide.

• L’Office français d’intégrité scientifique (OFIS) (4)

Créé en mars 2017, la mission de l’OFIS est « d’accompagner la communauté scientifique dans la promotion de l’intégrité ». Ce nouveau département du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), est investi de trois missions :

– accompagner les universités dans la mise en place de leurs propres garde-fous,

– observer les cas de méconduite scientifique,

– contribuer au débat national et international en matière d’intégrité scientifique.

• Des sites internet, garants de la fiabilité de l’information

Le Monde a lancé Décodex, un site permettant de vérifier la fiabilité de certains sites web diffusant de l’information. Un code couleur permet d’identifier en un coup d’œil les sites divulguant des fake news (en rouge), en orange les sites peu fiables, en bleu les sites parodiques (en bleu). Des sites comme Santé-nutrition.org  ou santeplusmag.com sont signalés par Décodex comme diffusant de nombreuses fausses informations sur la santé.

D’autres sites participent à diffuser de l’information scientifique auprès du grand public. L’Inserm a lancé Canal detox sur Youtube (5). Cette chaîne présente de petites vidéos qui décryptent en quelques minutes un sujet de santé. Le Cnrs fait de même avec« zeste de sciences », chaîne Youtube de vulgarisation de l’information scientifique.

L’intelligence artificielle

Grâce à des algorithmes, l’intelligence artificielle joue aussi un rôle dans la détection des fake news. Il reste cependant toujours des « faux positifs ». Certaines choses peuvent être automatisées mais il faudra toujours une régulation humaine.

 

Notes
(1) https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037847559&categorieLien=id

(2) Gérald Bronner, professeur de sociologie à l’université Paris-Diderot. Auteur de Déchéance de rationalité, chez Grasset (2019) et de Crédulité et rumeurs. Faire face aux théories du complot et aux fake news, Krassinsky (dessins), éditions Le Lombard, collection Petite bédéthèque des savoirs.

(3)(3bis)  https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-rapport-expertise-et-democratie-final-web-14-12-2018.pdf

(4) https://www.hceres.fr/fr/ofis

(5) https://www.youtube.com/watch?v=jQKX02bihE0


Visionnez la conférence Paris-Descartes consacrée aux Fake news et fake sciences (31-01-19)

par Carole Ivaldi