Réfléchir & décider en médecine
« Réfléchir et décider en médecine » propose des éléments d’initiation pour affiner ses techniques de prise de décision médicale. Dans chaque podcast, une idée utile est expliquée et illustrée par une situation médicale où l’essentiel du problème posé n’est pas médical. Ces idées sont tirées de références classiques et contemporaines autour des problèmes posés par la décision, et les exemples sont tirés de la vie quotidienne du médecin.
Maël Lemoine, enseignant et philosophe
Maël Lemoine est universitaire, spécialisé en philosophie des sciences médicales. Il enseigne depuis 15 ans en faculté de médecine, et depuis 2018 à l'Université de Bordeaux. Il est l’auteur d’une cinquantaine d’articles, en anglais et en français, sur diverses questions de philosophie de la médecine.
Au fait, c’est quoi une bonne décision ?
La théorie de la décision propose des modèles de bonne décision médicale, qui aident à améliorer les décisions de fait des cliniciens. Il est utile de savoir distinguer trois questions différentes : comment les meilleurs cliniciens décident, comment les cliniciens devraient idéalement décider, et comment il est possible d’améliorer les décisions des cliniciens.
Bibliographie
Jonathan Baron, Thinking and Deciding, 4th edition, Cambridge University Press, Cambridge, 2007: chapitre 2.Parlez-vous le déontique ?
On entend souvent s'opposer la thèse que la décision médicale est scientifique et objective, et la thèse qu'elle est fondée sur des valeurs et subjective. On explique ici pourquoi toute décision clinique repose nécessairement sur des valeurs, indiquée par des mots comme "permis", "obligatoire", "interdit". Une partie de la logique, appelée la logique déontique, étudie les règles de l'argumentation rigoureuse fondée sur ces notions.
Bibliographie
Jean-Louis Gardies, Essai sur les fondements a priori de la rationalité morale et juridique, "Bibliothèque de philosophie du droit", L.G.D.J., 1972.
Pondérer les préférences d’un patient
La théorie des choix rationnels donne le cadre qui permet de comprendre un casse-tête pour le médecin confronté à l’indétermination des préférences des patients. Analyse d'un cas de préférences incohérentes exprimées par un patient souffrant de douleurs cervicales.
Bibliographie
Robert Kast, La théorie de la décision, "Repères", La Découverte, 2002 : chapitres V et VI.
Pariez sur vos patients !
Il est notoirement difficile de s'appuyer sur la notion de probabilité pour justifier une décision thérapeutique. La théorie nous propose des conceptions différentes de ce que signifie "probabilité". L'une d'entre elles y voit un "quotient de pari rationnel" : la probabilité, ce pourrait être la cote à laquelle un clinicien serait prêt à parier le montant de sa consultation sur la décision qu'il prend.
Bibliographie
"Interprétations de probabilité", Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Interprétations_de_probabilité
Emotion et décision
Il est commun d'opposer une décision rationnelle à une décision prise "sous le coup de l'émotion". Or, les neurosciences ont établi le rôle central des émotions dans la prise de décision rationnelle : le meilleur décideur n’est pas le plus froid. Est présentée ici brièvement la théorie des "marqueurs somatiques" de Damasio, selon laquelle les émotions sont des sensations corporelles associées à des situations, qui nous aident à nous repérer dans les décisions complexes.
Bibliographie
Antonio Damasio, Spinoza avait raison. Joie et tristesse, le cerveau des émotions, Odile Jacob, 2005.
Informer ses patients
Une raison importante de la difficulté à informer efficacement ses patients vient de ce qu’ils ne remplacent pas leurs croyances erronées par les connaissances qu’on leur transmet, mais cherchent plutôt à les concilier. Illustrations sur un cas commun : la croyance que le froid produit le rhume.
Bibliographie
Maël Lemoine, Petite Philosophie du Rhume, Hermann, 2017.
L’erreur de diagnostic et l’erreur de raisonnement
Bien raisonner, ce n'est pas toujours arriver à une conclusion vraie, et on arrive parfois à cette dernière par les chemins les plus incohérents. Cette distinction fondamentale éclaire certaines difficultés du diagnostic et permet de progresser dans cet art.
Bibliographie
Milos Jenicek, Foundations of Evidence-Based Medicine, Parthenon Publishing, 2003 : chapitres 3 et 6.
Eliminer des possibles
L'histoire de la santé d'un patient est une trajectoire parmi un grand ensemble de trajectoires possibles, sur lesquelles les décisions de son médecin interviennent. Une branche de la « logique de l’action », appelée la théorie « stit », modélise les décisions d’un agent comme une série de choix qui éliminent des futurs auparavant possibles. Illustration de l’intérêt de ces développements pour le médecin. Décider, c'est moins élire qu'éliminer.
Bibliographie
Nuel Belnap et al., Facing the Future: Agents and Choices in Our Indeterminist World, Oxford University Press, 2001 : chapitre 7.
L’éthique permet-elle de mieux respecter les préférences du patient ?
En principe, intégrer une approche éthique dans vos décisions est de nature à les améliorer. Selon le théoricien de la décision Jonathan Baron, les éthiciens procèdent de manière irrationnelle en présupposant des valeurs universelles à respecter par le médecin, au lieu de s’intéresser au calcul d’utilité fondé sur les préférences des patients. Présentation et illustration d'une théorie polémique.
Bibliographie
Jonathan Baron, Against Bioethics, Oxford University Press, 2006.
Peut-on remplacer le médecin par un algorithme ?
Va-t-on remplacer les médecins par des ordinateurs ? En théorie, la décision médicale peut bien être réduite à un algorithme, au moins dans la majorité des cas ; tour d’horizon des difficultés pratiques rencontrées par les informaticiens.
Bibliographie
Anne Fagot-Largeault, Médecine et Philosophie, Presses Universitaires de France, 2012.
La maîtrise de son image
Chaque médecin a une réputation qui joue sur la facilité à appliquer ses décisions et, en retour, sur ses prises de décision elles-mêmes. Comment Machiavel justifie la nécessité pour le décideur de se maîtriser soi-même pour maîtriser l’image qu’il donne : une application aux situations médicales.
Bibliographie
Bibliographie
Nicolas Machiavel, Le Prince.
Big Pharma
Comment le décideur médical peut-il distinguer entre marketing du médicament et information scientifique ? D'un côté, il lui est impossible d'avoir entièrement confiance dans les informations qui viennent de l'industrie pharmaceutique ; de l'autre côté, il ne pourrait s'appuyer seulement sur celles qui sont indépendantes d'intérêts commerciaux, car elles sont trop maigres et ne sont pas nécessairement plus dignes de confiance. C'est un cas élémentaire du problème classique de l’asymétrie d’information. Quelques pistes de solution.
Bibliographie
Philippe Abécassis, "Incertitude médicale et processus de décision", Séminaire du GEAPE, 1999.
Croyances irrationnelles des patients
Les patients mêlent des éléments de connaissance scientifique et des croyances populaires. Leur acceptation des décisions du médecin dépend de l'interprétation qu'ils font de ses propos et de ses prescriptions. Savoir en tenir compte est de nature à améliorer l'observance. Exemple de la prise en charge d'un jeune homme délirant.
Bibliographie
Byron Good, Comment faire de l'anthropologie médicale ? Médecine, rationalité et vécu, Synthélabo, 1998.
Le paradoxe de d'Alembert
Pourquoi les bienfaits de la vaccination sont-ils périodiquement remis en cause, alors que c'est un problème scientifique résolu ? L'un des premiers mathématiciens à s'être attaché à résoudre le problème, d’Alembert, a souligné un paradoxe : alors que la décision de vacciner une communauté est facile, la décision de vacciner un individu de cette communauté est difficile. Ce paradoxe est le cœur de la difficulté rencontrée par le médecin face aux doutes d'un patient.
Bibliographie
Maël Lemoine, « La naissance de la méthode statistique en médecine : le XVIIIe S. et la querelle de l'inoculation », Bulletin de la SHESVie, 2006, vol 13 n°2.
Les conflits d’intérêts
Les conflits d'intérêt ne sont pas réservés aux mandarins qui sont mandatés experts pour telle ou telle institution ou grande compagnie, mais sont partout en médecine. Cependant, qu'ils soient inévitables n'implique pas qu'il n'y a rien à faire contre leurs conséquences nuisibles. Deux philosophes du XXème siècle, Rawls et Habermas, ont conçu des procédures pour s’assurer de sa propre impartialité en toutes circonstances.
Bibliographie
Rawls, Théorie de la Justice, trad. C. Audard, Seuil, 1987 : chapitre 3.
Le dilemme du prisonnier
De nombreuses situations médicales sont bloquées par un manque réciproque de confiance ou une impossibilité à communiquer. Dire qu'il suffit de parler, c'est ne pas avoir compris que ce problème peut être parfois structurel. Comme l’investisseur à la Bourse, le médecin doit tenir compte dans ses décisions du fait que son patient est aussi un décideur : c’est que nous apprend la théorie des jeux.
Bibliographie
Robert Cast, La théorie de la décision, "Repères", La Découverte, 2002 : conclusion générale.
L’intuition médicale
Qui ne s'est pas un jour émerveillé d'une de ces inexplicables intuitions qui vous mettent sur la voie de la solution d'un problème difficile ? L’intuition est parfois une fulgurante certitude injustifiable, mais exacte, parfois de la chance qu’un biais de mémoire construit artificiellement comme une capacité. Tour d’horizon des théories de l’intuition des cliniciens.
Bibliographie
Maël Lemoine, Introduction à la philosophie des sciences médicales, Hermann, 2017 : chapitre IX.
Les choix collectifs
Décider seul : voilà une situation de plus en plus rare, tant se développent les procédures de décision collective dans le monde de la santé. Or le choix collectif présente des difficultés propres parfois inextricables. La théorie du choix social offre des options bien plus riches que l’alternative décision autoritaire/vote majoritaire quand une collectivité doit prendre une décision. Illustration par une situation de délibération collective sur le cas difficile d'une entrée en maison de retraite.
Bibliographie
Wulf Gaertner, A Primer in Social Choice Theory, Oxford University Press, 2009.
Qu’est-ce un projet de vie rationnel ?
Le projet de vie d'une personne malade ou âgée, il est difficile de faire avec, et il est impossible de faire sans. Présentation de l’analyse par John Rawls, le plus grand penseur politique du XXe siècle, des conditions d’un projet de vie rationnel et acceptable pour un sujet. Illustration par la question de l’entrée en maison de retraite.
Bibliographie
Rawls, Théorie de la Justice, trad. C. Audard, Seuil, 1987 : chapitre 7.
Directives anticipées
La pratique des directives anticipées commence à se répandre en France. Respecter les directives anticipées pose deux problèmes, celui de l’évolution naturelle des préférences dans le temps et celui de leur généralité vague. Quelques rudiments d’analyse pour en tenir compte de manière équilibrée.
Bibliographie
Aristote, Ethique à Nicomaque, trad. R. Bodéüs, Garnier-Flammarion, 2004 : livre II.
- par Maël Lemoine