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Cigarettes électroniques : prudence et vigilance

À l’occasion d’une conférence donnée en octobre dernier à l’hôpital Cochin, la Société de pneumologie de langue française (SPLF) a invité à la prudence concernant une pratique devenue répandue : le vapotage.  Les effets de la cigarette électronique restent en effet aujourd’hui mal connus, l’absence de combustion ne signifiant pas absence d’altérations moléculaires.

par Cécile Menu.

Cecilemenu

Au 29 octobre 2019, 1888 cas de pneumopathies sévères chez les utilisateurs de la e-cigarettes (1) étaient observés aux États-Unis donnant lieu à 37 décès. Ces décès étant essentiellement imputés à la présence de tétrahydrocannabinol (THC). Face à cette épidémie, Santé Publique France (SPF) a mis en place début octobre « un dispositif de signalements des cas de pneumopathies sévères survenues chez des utilisateurs de dispositifs électroniques de vapotage (cigarette électronique, vaporisateurs) ou pratiquant le « dabbing »*. (2)

Le professeur Philippe Camus (CHU Dijon-Bourgogne), créateur de Pneumotox (3), site de référence mondial sur les effets secondaires pulmonaires des médicaments, membre du groupe PAPPEI (PAthologies Pulmonaires Professionnelles Environnementales et Iatrogènes), grand spécialiste de la toxicité pulmonaire des médicaments a évoqué les publications récentes mettant en évidence tant l’effet positif du vapotage dans le cadre du sevrage tabagique que les effets secondaires potentiels. Nicolas Roche, président de la SPLF, chef du service de Pneumologie à l’hôpital Cochin, quant à lui rappelait les recommandations de la société.

Ne pas sous-estimer les dangers potentiels de la cigarette électronique

Face à une atteinte respiratoire, il semblerait que seulement 30 % des pneumologues interrogent leur patient sur l’usage de la cigarette électronique. En effet, pour la plupart, son utilisation n’est pas dangereuse or ce peut être une erreur. Il faut rappeler que même les régulateurs tels que la FDA ont accepté la commercialisation de la e-cigarette sans aucune étude scientifique préalable. Les produits utilisés sont certifiés quand ils sont purs mais aucune information n’est précisée sur les effets probables sur la santé. Il importe de « prendre en considération ces données commerciales pour que le message auprès des usagers soit clair » dit Philippe Camus. « Quand il y a un problème, il faut faire la relation entre les deux … et demander au patient s’il fume, quels produits il prend et à quelle dose car elle importe ». Syndrome de détresse respiratoire aigüe, asthme sévère, hémorragie alvéolaire, pneumopathies éosinophiles… telles sont les atteintes respiratoires observées chez certains usagers de e-cigarette (4). Dans l’étude américaine, on sait que 75 % des liquides utilisés chez ces personnes souffrant de problème respiratoires comportent des liquides frelatés, des cannabinoïdes, du THC ou des mélanges, ainsi qu’une forte teneur en vitamine E (interdite en France).

À côté de ces événements respiratoires, il existe également des risques liés aux batteries de Lithium Li-Po pouvant donner lieu à des atteintes faciales, et le transport dans la poche révolver de la vapoteuse peut être à l’origine d’atteintes d’organes génitaux. (E-cigarettes and vapoting-related diseases https://www.nejm.org/vaping). Le nuage qui se dissipe peut avoir des effets sur les personnes exposées de façon passive. Enfin, aux États-Unis, 30% des enfants et jeunes adolescents utilisent la cigarette électronique, certains sans même n’avoir déjà fumé. On parle d’addiction à la nicotine. Ce phénomène se développe en France.

Face à une atteinte respiratoire, il semblerait que seulement 30 % des pneumologues interrogent leur patient sur l’usage de la cigarette électronique.

En France et en Europe, une situation différente de celle des États-Unis

Si on observe aux États-Unis une augmentation très forte du nombre de cas d’affections respiratoires chez le fumeur de cigarette électronique, ce n’est pas encore le cas en Europe. Ceci tient à une réglementation  différente. Aux États-Unis, les liquides ne sont pas réglementés, la teneur en nicotine est beaucoup plus forte que ce qui est autorisé en Europe et les consommateurs utilisent des arômes absents en Europe. Ainsi l’usage de la cigarette électronique serait largement plus inoffensif en France. Toutefois, l’achat sur internet de substances telles que les cannabinoïdes de synthèse aux effets dangereux disponibles sur le marché chinois, l’usage du THC et les mélanges utilisés ne mettent pas les consommateurs français à l’abri.

En Europe, le marquage CE concerne la composition et assure qu’aucun des produits n’a une importante toxicité mais ne présage pas de ce qui peut se passer dans le cas de mélange. À ce jour, nous n’avons aucune preuve d’innocuité des liquides de cigarettes électronique autorisés, aucune preuve d’innocuité clinique ni aucune preuve formelle de toxicité clinique. En revanche, nous disposons de preuves irréfutables de toxicité biologique mesurable chez les animaux et chez l’homme. Toutefois, il n’est pas possible de déterminer si cette toxicité biologique a une corrélation clinique.

Pneumotox, un outil d’aide pour les cliniciens

118 références ont été reclassées dans l’appli Pneumotox, disponible gratuitement sur l’Apple Store grâce au soutien de la European Respiratory Society (pneumopathies, œdème pulmonaires, hémorragies alvéolaires, pneumothorax et selon les aspects histopathologiques).

Depuis août 2018, la cigarette électronique arrive en 234e position dans les 1000 « médicaments » sur les 1500 consultés. La France représente 13 % des consultations au niveau mondial.


Dans quelles situations faut-il déclarer les cas d’atteintes respiratoires ?

Le CDC (Center for disease control and prevention) comme SPF ont défini les cas possibles (ceux qui doivent alerter). « Cela ne signifie pas que ces patients développeront une atteinte respiratoire liée à la cigarette électronique mais il faut déclarer ces cas » précise Philippe Camus. Ces cas sont définis comme suit :

- présence d’une insuffisance respiratoire aiguë,

- utilisation de la cigarette électronique dans les 90 derniers jours,

- anomalies radiologiques,

- absence d’infection documentée donc absence d’autres causes possibles d’atteintes respiratoires (pas de diagnostic alternatif possible). Cette précaution permet d’évaluer l’incidence réelle pays par pays.

Aujourd’hui, 10 cas ont ainsi été recensés aux Pays-Bas. Actuellement en France, 3 cas déclarés mais non documentés sont en cours d’investigation. Il est probable qu’il y ait des cas non déclarés car non sévères.

Aux États-Unis, 30% des enfants et jeunes adolescents utilisent la cigarette électronique, certains sans même n’avoir déjà fumé. On parle d’addiction à la nicotine. Ce phénomène se développe en France.

Les recommandations de la SPLF : prudence et vigilance

La vigilance consiste à recenser les cas. Il existe désormais une base de données construite par SPF avec la collaboration de la SPLF, de la société de réanimation et de la société de médecine d’urgence, à partir d’un questionnaire en ligne sur internet (http://splf.fr/cigarette-electronique-prudence-et-vigilance/). Ces fiches de signalement ont pour objectif de faire remonter tous les cas possibles correspondant à la définition ci-dessus.

Les enquêteurs de SPF prennent contact avec les services ayant fait le signalement pour voir si on est dans un cas possible, probable ou très probable. La SPLF insiste pour que les cliniciens s’en servent. En présence d’un élément infectieux positif, si le clinicien pense que la cigarette électronique peut en être la cause, il importe de faire remonter l’information. En présence d’un cas suspect, il est aussi important de collecter les liquides utilisés, car les fumeurs de cigarette électronique utilisent plusieurs liquides différents, et d’en faire les dosages.

La prudence amène à renforcer les messages sur l’utilisation de la cigarette électronique : la cigarette électronique ne peut être utilisée de manière acceptée qu’après échec de tentative de sevrage tabagique avec d’autres moyens (substituts nicotiniques, autres aides). Il ne faut utiliser que des produits autorisés à la vente disponibles dans les magasins spécialisés. Il importe d’informer les patients sur la nécessité de signaler à leur médecin tout symptôme respiratoire apparaissant avec l’usage de la cigarette électronique.

« On n’est pas pour l’instant dans une attitude de bannissement systématique mais dans une attitude de restriction assez drastique des situations dans lesquelles on peut tolérer l’utilisation de ces outils potentiels de sevrage tabagique » rappelle Nicolas Roche. Même si deux études contrôlées randomisées aujourd’hui montrent que la cigarette électronique contenant de la nicotine permet d’aider au sevrage tabagique, la SPLF reproche que son utilisation soit bien plus prolongée qu’avec les autres substituts nicotiniques.

La SPLF conseille dans le cadre d’un sevrage tabagique de diminuer progressivement la concentration de nicotine et d’amener l’usager à se détacher de l’e-cigarette une fois le taux de nicotine à zéro pour ne pas risquer des effets à long terme inconnus. Elle recommande d’être très prudent et attentif avec les adolescents. Selon la société savante, toute autre utilisation que le sevrage tabagique est dangereuse et doit être proscrite (utilisation récréative chez les sujets jeunes, femmes enceintes…).

À l'occasion du mois sans tabac, la SPLF et la Société francophone de tabacologie ont proposé un document informatif à destination des fumeurs souhaitant se sevrer à l’aide de la cigarette électronique et rappelle qu’en France, les liquides pour cigarettes électroniques sont enregistrés 6 mois avant leur commercialisation à lAgence nationale de sécurité sanitaire de l'Alimentation, de l'environnement et du Travail (ANSES). Ils sont composés : d’un solvant organique (propylène glycol(PG) et/ou VG (glycérine végétale(GV)), d’une préparation aromatisante plus de la nicotine avec une concentration maximale de 20mg/mL ou sans nicotine…

La cigarette électronique est de loin le produit le plus utilisé dans l’arrêt du tabac avec aide : 27 % contre 18 % pour les substituts nicotiniques et 10 % pour le recours aux professionnels de santé. 700 000 fumeurs ont arrêté de fumer en 7 ans avec la cigarette électronique seule ou en association avec d’autres aides.

*dabbing : consommation de BHO (Butane Hasch Oil)

Notes

  1. Pathology of Vaping-Associated Lung Injury. October 31, 2019. N Engl J Med 2019; 381:1780-1781 DOI: 10.1056/NEJMc1913069
  2. https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/dispositif-de-signalement-des-pneumopathies-severes-liees-au-vapotage
  3. https://www.pneumotox.com/page/view/1/about (disponible gratuitement sur l’Apple Store)
  4. https://www.cdc.gov/tobacco/basic_information/e-cigarettes/severe-lung-disease.html

Références bibliographiques

- Pathology of Vaping-Associated Lung Injury. October 31, 2019. N Engl J Med 2019; 381:1780-1781 DOI: 10.1056/NEJMc1913069

- Electronic cigarettes: a task force report from the European Respiratory Society. Robert Bals et al.European Respiratory Journal 2019 53: 1801151; DOI: 10.1183/13993003.01151-2018 https://erj.ersjournals.com/content/53/2/1801151.full (BMJ Case Rep. 2018 Jul 6;2018. pii: bcr-2018-224350. doi: 10.1136/bcr-2018-224350. Respiratory failure caused by lipoid pneumonia from vaping e-cigarettes. Viswam D et al.).

- https://www.jci.org/articles/view/128531 Electronic cigarettes disrupt lung lipid homeostasis and innate immunity independent of nicotine. Matthew C. Madison et al.

- https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/tabac/documents/enquetes-etudes/barometre-de-sante-publique-france-2017.-usage-de-la-cigarette-electronique-tabagisme-et-opinions-des-18-75-ans

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