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La dermatologie doit retrousser ses manches !

Discipline complexe à la croisée de plusieurs spécialités médicales, la dermatologie rencontre plusieurs défis à relever : forts impacts psychologiques et socio-économiques des maladies de peau sur la vie des patients ; existence de freins à la recherche et à l’innovation ; pénurie de spécialistes et inégalités d’accès au soin ; et enfin, problème de la formation des spécialistes comme des professionnels de proximité.

Par Carole Ivaldi

Carole Ivaldi

Changer le regard de la société sur les maladies de peau

L’une des dernières études épidémiologiques (1) cherchant à évaluer l’importance des problèmes de peau en France a conclu que 16 millions de Français sont atteints de maladie de peau. 80% d’entre eux se déclarent atteints de deux maladies de peau. Parmi les plus fréquentes, citons, par ordre décroissant : l’acné (3,3 millions de Français) ; la dermatite atopique (2,5 millions de Français) ; le psoriasis (2,4 millions) ; les maladies du cuir chevelu (hors pelade : 2,3 millions) ; les mycoses (2,2 millions) ; les maladies des ongles (2,1 millions) etc. Parmi les personnes interrogées, 54% souffrent d’anxiété et de dépression tandis que 45,2% sont gênées par leur dermatose dans leur vie personnelle et 39,2% sont gênées par leur dermatose dans leur vie professionnelle. Il est important de faire évoluer le regard sociétal sur ces maladies qui sont, pour la plupart non contagieuses, et pourtant responsables de la stigmatisation et de l’isolement des personnes atteintes. Pour Roberte Aubert, la présidente de France Psoriasis, « les maladies de peau sont négligées par le système de santé et non considérées à leur juste souffrance : les patients, par ailleurs, souffrent d’une image sociale très négative. Les malades de psoriasis connaissent trois fois plus de périodes de chômage de longue durée que la moyenne des Français. » Pour changer ce regard, la Société Française de Dermatologie et Novartis se sont associés au travers d’une campagne d’affichage dans les salles d’attente et dans les médias « Ma peau, c’est ma vie, mon dermato en est l’expert », lancée début févier 2019.

16 millions de Français sont atteints de maladie de peau

 

Enfin, le reste à charge pour les soins complémentaires au traitement (ex : topiques émollients, photo-protecteurs externes, pansements) sont peu voire pas remboursés par l’Assurance Maladie. Ils représentent une charge financière parfois très importante pour les personnes atteintes de maladies cutanées chroniques inflammatoires ou de maladies génétiques cutanées. Ce reste à charge devient une discrimination financière, et peut mener à un renoncement aux soins pour ceux qui ne sont pas en mesure de le payer.

Booster la recherche

Premier atout: la France occupe le 4e rang mondial en ce qui concerne le nombre de publications en dermatologie. Deuxième atout, le nombre de publications françaises concernant des travaux de recherche en dermatologie a plus que doublé entre 1985 et 2014. Troisième atout, les progrès thérapeutiques majeurs accomplis ces dix dernières années ont permis d’améliorer notablement la prise en charge et le pronostic de certaines maladies de peau sévères (ex : les biothérapies issues de la biologie moléculaire, les traitements des cancers par immunothérapies et par thérapies ciblées). Ces avancées thérapeutiques représentent cependant un coût élevé que les hôpitaux français ne parviennent pas à supporter. Cela souligne la problématique du financement actuel des molécules innovantes et la nécessité urgente de revoir leurs dispositifs de financement.

Justement, parmi les points faibles de la recherche française, les moyens financiers qui lui sont accordés restent trop faibles. La France n’investit que 2,2% de son PIB dans la recherche, ce qui reste inférieur aux autres pays européens. A cela, il faut ajouter les lourdeurs administratives qui ralentissent l’efficacité du travail des chercheurs ainsi que la mise sur le marché de nouveaux médicaments. L’environnement législatif encadrant les essais cliniques menés sur l’être humain est bien plus strict que chez nos voisins européens. Résultat : La France est aujourd’hui derrière l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas ou la Belgique.

Les moyens financiers accordés à la recherche restent trop faibles. La France n’investit que 2,2% de son PIB dans la recherche, ce qui reste inférieur aux autres pays européens

 

De plus, bien que la recherche fondamentale soit dynamique, le manque de visibilité des équipes de recherche et de leurs travaux reste un frein. Enfin, certaines maladies cutanées monopolisent l’essentiel des recherches (ex : le mélanome, le psoriasis, l’eczéma, la dermatite atopique), laissant peu de place aux recherches centrées sur les maladies rares.

Les effectifs de dermatologue à remonter

Le dermatologue est le spécialiste le plus consulté : 21% des Français en ont consulté un au cours des douze derniers mois contre 13% pour un cardiologue, 8% pour un rhumatologue et 7% pour un gastro-entérologue. Dans neuf cas sur dix, le motif de la consultation est médical.

Pourtant, on constate une diminution nette de la population de cette spécialité : la profession a perdu 12% de ses effectifs en dix ans, passant de 3 821 dermatologues et vénérologues en 2007 à 3 328 en 2018. En comparaison la population des cardiologues a augmenté de 4% en 10 ans et celle des pédiatres de 12,3%. A ce constat s’ajoute une évolution démographique inquiétante liée au vieillissement de la population des dermatologues en exercice : 31% avaient plus de 60 ans au 1er janvier 2018, tandis que 64% avaient plus de 50 ans. Dans dix ans, la démographie des dermatologues devrait baisser de deux tiers.

Cette pénurie engendre des délais d’attente croissants pour une consultation, ce qui constitue, pour les personnes atteintes de maladies de peau une errance diagnostique qui peut parfois avoir des conséquences graves sur la santé en cas de problèmes aigus ou de lésions cutanées suspectes (ex : mélanome). Il y a deux fois plus d’attente en zone rurale qu’en région parisienne : 48 jours contre 24 jours en moyenne. Dans certaines régions, il faut attendre 9 mois pour obtenir un rendez-vous.

Il existe une forte disparité régionale de la densité des dermatologues. Certaines régions décomptent moins de 5 dermatologues pour 100 000 habitants : le Cher, la Haute Corse, la Haute-Loire, l’Indre, le Jura, la Nièvre, le territoire de Belfort, Mayotte et Saint-Pierre et Miquelon. La Creuse n’a plus de dermatologues, l’Ariège et la Lozère en ont un seul. D’autres régions sont bien mieux dotées avec plus de 100 dermatologues pour 100 000 habitants : le Rhône, le Nord, la Gironde, la Haute-Garonne, les Bouches-du-Rhône, Paris et les Hauts-de-Seine.

Associer d'autres professionnels de santé au suivi dermatologique

Plusieurs problématiques se croisent concernant la formation des dermatologues. Le premier est relatif à la pénurie de dermatologues existant aujourd’hui et aux dix années minimum de formation initiale requises pour devenir dermatologue. La pénurie ne pourra donc être réglée dans les prochaines années. Elle va au contraire s’accentuer. Il faut par conséquent former en dermatologie des professionnels de proximité pour continuer à assurer la prise en charge des 16 millions de Français qui souffrent de maladies de peau. En première ligne : les médecins généralistes qui pourraient assurer le suivi des patients ayant une maladie de peau bénigne ou de ceux ayant été déjà diagnostiqués par un dermatologue pour les maladies de peau complexes. Les pharmaciens pourraient eux aussi jouer un rôle pour le suivi des cas « simples ». Aujourd’hui, force est de constater que ni les médecins généralistes ni les pharmaciens ne reçoivent une formation suffisante pour traiter les nombreuses maladies liées à cette spécialité. Les former constitue pourtant la meilleure solution pour que la demande puisse s’équilibrer avec l’offre de soins. La difficulté majeure est de distinguer les profils de patients qui peuvent être pris en charge par les professionnels de proximité de ceux qui doivent impérativement passer par un dermatologue.

Enfin, de moins en moins de dermatologues se consacrent à une carrière hospitalo-universitaire, ce qui pose le problème de la formation des jeunes dermatologues.


(1) « Objectifs peau » est une étude portant sur un échantillon de 20 012 Français représentatifs de la population française, menée du 21 au 3 novembre 2016. Les répondants s’exprimaient sur la ou les maladies de peau qui les concernaient au cours des 12 derniers mois. C’est l’étude épidémiologique de cette envergure la plus récente en France. A l’origine de cette étude : la Société Française de Dermatologie et une quinzaines de partenaires industriels.

 

par Carole Ivaldi

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