Antibiothérapie en ORL plus raisonnable chez l’enfant

Les nouvelles recommandations sur l’antibiothérapie, que ce soit chez l’enfant ou chez l’adulte, ont littéralement renversé la tendance. Alors que celles de 2008 reléguaient dans bien des cas l’amoxicilline au dernier plan pour consacrer les céphalosporines de 3e génération (C3G), les nouvelles reviennent à des antibiothérapies moins sélectionnantes et limitent les C3G responsables de l’émergence de souches bactériennes multirésistantes.


Les infections ORL de l’enfant constituent la première cause de prescription d’antibiotiques, alors qu’elles sont virales dans bien des cas. Les ORL ont suivi les propositions du Groupe de pathologie infectieuse pédiatrique (GPIP) tenant compte de l’épidémiologie des infections bactériennes, en particulier depuis la vaccination antipneumococcique, et de l’antibiorésistance croissante, dans un contexte où on ne dispose d’aucune nouvelle molécule anti-infectieuse.


Otites : stop au tout antibiotique


Ni les otites séro-muqueuses (OSM), ni les otites congestives, dont 90 % sont virales, ne requièrent une antibiothérapie. En ce qui concerne la phase de suppuration des otites moyennes aiguës (OMA), les germes les plus fréquemment impliqués sont l’H. influenzae, le S. pneumoniae et M. catarrhalis. L’H. influenzae donne des OMA à début progressif, souvent associées à des conjonctivites et peu fébriles, contrairement au pneumocoque qui donne une OMA à début brutal avec fièvre élevée et douleurs vives. Le S. pneumoniae est impliqué dans 40 % des otites, mais sous l’influence de la vaccination antipneumococcique et d’une gestion plus rationnelle des antibiotiques, les souches à sensibilité diminuée (PSD) ne représentent plus que 21 % des cas vs 40 % il y a quatre ans. « Un travail d’une équipe de Necker sur les germes impliqués dans l’OMA chez 7 200 enfants montre que grâce à la vaccination, le portage nasopharyngé du pneumocoque diminue et que sa sensibilité s’améliore (de 47 à 39 %). Parallèlement, les Haemophilus sont plus nombreux, mais le taux de H. influenzae sécréteurs de β-lactamases diminue de 17 à 12 % tandis que celui des sécréteurs reste stable », souligne le Pr Emmanuel Lescanne (Tours).


L’évolution spontanée de l’OMA se faisant souvent vers la résolution, il est licite de s’abstenir d’antibiotiques chez l’enfant de plus de 2 ans peu symptomatique. Ils seront par contre prescrits chez les moins de 2 ans ou en cas de symptomatologie importante. Dans ce cas, on propose maintenant l’amoxicilline à 100 mg/kg/jour, dose efficace sur les pneumocoques les moins sensibles et sur plus de 80 % des H. influenzae. Pour l’amoxicilline seule, il est conseillé de l’administrer plutôt en deux prises, assurant la même qualité de diffusion et une meilleure observance que les trois prises. En cas d’échec, certains proposent l’amoxicilline à 150 mg/kg/jour pour cibler le pneumocoque résistant, mais l’association amoxicilline/acide clavulanique est intéressante si la clinique oriente vers un H. influenzae, administrée en trois prises par jour pour des raisons de tolérance. En cas d’allergie, on peut proposer la cefpodoxine sur cinq jours à partir de deux ans, voire le sulfamethoxazole/trimethoprime ou la pristamycine bien que leur diffusion soit moins bonne.


À noter que les otites phlycténulaires, classiquement considérées comme uniquement virales, sont en fait parfois associées à une surinfection bactérienne.


Rhinosinusites : antibiothérapie dans les formes compliquées


Les rhinosinusites (RS) aiguës sont pour la plupart d’origine virale, et la Société d’infectiologie, en 2011, stipulait que les antibiotiques sont indiqués soit lorsqu’on suspecte une surinfection bactérienne, soit devant une RP persistante au-delà de dix jours, soit devant une RP qui s’aggrave après un début d’amélioration, soit devant un tableau comparable à celui de l’adulte chez les enfants plus grands avec obstruction nasale, rhinorrhée purulente et douleurs persistantes au delà de trois à quatre jours malgré le traitement symptomatique.


L’antibiothérapie est orientée dans les formes maxillaires non compli- quées vers le pneumocoque, l’H. influenzae, le M. catarrhalis, avec en première ligne l’amoxicilline à 80 à 100 mg/kg/jour en deux à trois prises pendant sept à dix jours. L’amox/clav est recommandée en cas de RS frontale, ethmoïdale ou sphénoïdale, vu le risque de complications, dans les RS maxillaires d’origine dentaire, rares chez l’enfant, ou en cas d’échec de l’amoxicilline seule. En cas d’allergie, cefpodoxime, cotrimoxazole ou pristinamycine peuvent constituer une alternative chez l’enfant de plus de 6 ans. En dehors de ces cas, les macrolides, les C3G et le cotrimoxazole ne sont plus recommandés, du fait de la résistance bactérienne à ces molécules.


Le problème est différent dans les formes compliquées comme l’ethmoïdite aiguë, qui doit bénéficier de l’amox/clav 80 mg/kg/jour en trois prises, avec surveillance clinique rapprochée. Les formes les plus sévères, avec abcès sous-périosté, abcès intra-orbitaire ou cellulite orbitaire, doivent être hospitalisées pour instauration d’un traitement antibiotique intraveineux (IV) de cinq à dix jours, initialement basé sur le cefotaxime 50 mg/kg/jour en trois prises ou ceftriaxone 50 mg/kg/jour en une prise, associés au métronidazole 30 mg/kg/jour en trois prises, et éventuellement à la gentamyxine, la fosfomycine ou la clindamycine. Ce traitement sera modifié, le cas échéant, en fonction des résultats bactériologiques si un drainage chirurgical a été réalisé, sinon le relai per os sera pris par l’amox/clav pendant 10 à 21 jours. Chez l’enfant de moins de 7 ans, les germes sont principalement S. pneumoniae et S. aureus, tandis que la flore est volontiers polymicrobienne, avec des germes aérobies et anaérobies chez l’enfant entre 7 et 15 ans. Depuis la vaccination antipneumococcique, on constate une diminution du pneumocoque, mais une augmentation du staphylocoque et du streptocoque.


Les autres formes de sinusites, comme les localisations sphénoïdales et frontales, sont plus rares chez l’enfant et ne s’observent qu’après 6/8 ans. Elles nécessitent une tomodensitométrie pour le diagnostic et la recherche de complications. L’antibiothérapie repose sur l’amox/clav en 1re intention avec hospitalisation et traitement IV à large spectre dans les formes sévères et chirurgie avec prélèvement bactériologique pour les formes hyperalgiques ou compliquées (abcès sous-cutané, abcès orbitaire, abcès du cerveau, thrombophlébites du sinus caverneux).


L’antibiothérapie n’a pas sa place dans les formes chroniques, qui se définissent par la persistance depuis plus de trois mois d’au moins deux des symptômes suivants : rhinorrhée, obstruction nasale, douleur faciale, toux, anomalies à l’examen endoscopique des fosses nasales et/ou radiologique.


« Ces rhinosinusites chroniques simples sont inflammatoires mais diverses études y montrent la présence de germes, qui seraient la conséquence de cette inflammation et pérennisent le processus inflammatoire ; on retrouve souvent des germes anaérobies, mais aussi aérobies ou l’association des deux, avec, dans les séries américaines, la présence fréquente de staphylocoques méti-R résistants », détaille le Dr Sonia Ayari-Khalfallah (Bron). Il n’y a pour autant pas d’indication à l’antibiothérapie, qui n’apporte aucun bénéfice. Par contre, l’antibiothérapie garde sa place en cas de surinfection aiguë, avec aggravation de la douleur et de la purulence de la rhinorrhée, liée fréquemment à des germes anaérobies qui incitent à prescrire plutôt de l’amox/clav.


L’antibiothérapie indispensable dans les infections péripharyngées


Parmi les infections péri-pharyngées, on distingue :


- les abcès peri-amygdaliens dont le point de départ est l’angine ou la pharyngite, et qui concernent surtout les adolescents et adultes, avec gonflement amygdalien unilatéral, déplacement de la luette, voix assourdie, impossibilité d’ouvrir totalement la bouche


- les abcès latéroparapharyngés dont le point de départ est amygdalien, dentaire ou otologique, qui surviennent surtout après 7 ans, sans tuméfaction cervicale, avec ou sans trismus


- les abcès rétropharyngés sur rhinite, pharyngite ou foyer dentaire, survenant avant 4/6 ans, avec une tuméfaction pharyngée unilatérale postérieure, une hyperextension du cou, une hypersialorrhée, les signes cardinaux étant le torticolis, et chez les plus petits, la détresse respiratoire avec stridor.


Le traitement est médical et chirurgical en cas de complications. Lorsqu’il n’existe qu’un seul abcès à l’IRM et que sa taille est inférieure à 3 cm, un traitement antibiotique en IV est prescrit, associé à une cytoponction par voie endobuccale si l’abcès est facilement accessible. La flore est dans la plupart des cas polymicrobienne ; avant 2 ans prédominent les staphylocoques dorés et les streptocoques A, chez l’enfant plus grand il s’agit souvent de germes anaérobies, et les bactéries sécrétant des β-lactamases sont présentes dans 2/3 des cas. Alors que la SFORL préconisait en 2008 une C3G IV en première intention, il est maintenant recommandé l’amox/clav à 150 mg/kg/jour en trois à quatre injections associée au metronidazole 30 mg/kg/j en trois injections, le cefotaxime (150/200 mg en trois à quatre IV) étant réservé aux enfants allergiques. « La clindamycine reste d’actualité surtout si on a la notion de streptocoque A dans les antécédents familiaux ou personnels », explique le Pr Thierry Van den Abbeele (Paris). Le relais est pris per os à J4 par l’amox/clav (80 mg/kg/j) pendant dix jours.


Infections laryngo-trachéales : pas d’antibiotiques dans les laryngites striduleuses et sous-glottiques


Les infections laryngo-trachéales de l’enfant sont très fréquentes et concernent 5 à 20/1 000 enfants par an (10 % chez les moins de 4 ans).


Les laryngites striduleuses surviennent entre 3 mois et 3 ans. Le laryngospasme brutal, de survenue nocturne, s’accompagne d’épisodes de dyspnée importants et impressionnants mais brefs, disparaissant spontanément en quelques dizaines de minutes. Malgré la présence fréquente d’un contexte infectieux, il n’y a pas d’indication à l’antibiothérapie.


La laryngite aiguë sous-glottique survient dans la même tranche d’âge. Elle se traduit par l’apparition d’une dyspnée progressive dans un contexte infectieux, accompagnée d’une voix rauque et d’une toux « aboyante », avec un état général conservé, mais des formes graves avec œdème sous-glottique peuvent s’observer dans 2 à 5 % des cas. « Elle est quasi-exclusivement virale, et contrairement à ce que préconisaient les anciennes recommandations, l’antibiothérapie n’a aucune indication, y compris dans les formes graves ou les formes récidivantes (40 % des cas), sauf chez les enfants à risque (immunodépression, sténose sous-glottique) », insiste le Dr Pierre Fayoux (Lille).


Les laryngites supraglottiques ont bien diminué depuis la vaccination contre l’haemophilus. Ces laryngites rares (moins de 2 % des laryngites) associent dyspnée d’installation rapide, dysphagie, hypersialorrhée, altération de l’état général, les patients ne supportant que la position demi-assise. Dans 25 % des cas, elles s’accompagnent d’une pneumopathie, et dans 7 % des cas d’une méningite. La flore est généralement constituée de nombreux pneumocoques, de streptocoques A et C, de moraxella, d’Hæmophilus para-influenzae non couverts par la vaccination. Les recommandations n’ont pas été modifiées : c’est une urgence thérapeutique à traiter par ceftriaxone 100 mg/kg/jour après hémocultures et PL.


Enfin, la laryngo-trachéo-bronchite bactérienne, qui correspond à la surinfection d’une laryngite virale par le staphylocoque doré classiquement, mais aussi par le streptocoque ou l’E. coli, entraîne une dyspnée rapidement évolutive avec sepsis et altération de l’état général, qui doit aussi être traitée en urgence par C3G et vancomycine après prélèvements bronchiques et nettoyage des lésions.

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