De l’intérêt d’étudier les ongles des patients en insuffisance rénale…

Cas clinique


Sébastien, 77 ans, est asthénique depuis quelques mois et a dû, de ce fait, réduire son activité professionnelle (il travaillait régulièrement la vigne pour s’assurer d’un complément de ressources). Il souffre également depuis deux mois d’un prurit permanent ne rétrocédant pas sous antihistaminiques. Il nous dit être diabétique depuis plus de 20 ans, et signale qu’il n’a pas fait de bilan biologique depuis plus de deux ans. L’examen clinique montre une anomalie de ses ongles (figure 1). Les examens biologiques révèlent une insuffisance rénale chronique (créatinine à 132 mg/l, urée à 1,49 g/l, clairance de la créatinine à 6 ml/min, phosphorémie à 72 mg/l, calcémie à 79 mg/l, Hb à 10,9 g/dl, taux de réticulocytes à 18 530/mm3, ferritinémie à 872 µg/l) et un diabète mal équilibré (glycémie à 2,5 g/l, HbA1C à 8,9 %).


Dans le détail


• En ce qui concerne la description clinique


Le bilan biologique est très alarmant. En effet, nous remarquons, outre un déséquilibre diabétique, la présence d’une insuffisance rénale chronique sévère. Au-dessous de 10 ml/min, la décision d’une dialyse doit se discuter rapidement.


La symptomatologie nous conforte dans cette hypothèse, puisque le patient présente un prurit et une asthénie, éléments qui confirment la réalité de l’insuffisance rénale chronique (d’autant plus que les manifestations cliniques sont apparues il y a plus de deux mois).


En ce qui concerne les ongles, la bande transversale totale est une ligne de Mees. Cette particularité se rencontre dans le cadre des insuffisances rénales.


• Les différentes pathologies unguéales observées dans l’insuffisance rénale


Les lignes de Mees : ce sont des leuconychies transverses qui peuvent être uniques ou multiples. Elles ne disparaissent pas à la vitropression. Une biopsie permettrait de montrer un aspect morcelé de la lame unguéale, et l’absence d’anomalies visibles du lit unguéal. Il s’agit d’un foyer de cellules parakératosiques produites par la matrice altérée. Ces leuconychies se distinguent des formes traumatiques par une atteinte polydactylique et la présence d’une ligne continue transversale. Plusieurs étiologies peuvent être responsables de ces lignes (intoxications, endocriniennes, tumeurs, infectieuses, maladies cardiorespiratoires). En pathologie rénale, elles peuvent être observées dans les insuffisances rénales mais aussi dans les glomérulonéphrites, en cas de rejet d’une allogreffe ou après transplantation rénale.


Les ongles équisegmentés hyperazotémiques (half-and-half nails) (figure 2) : cette entité a été décrite pour la première fois par Lindsay, et se rencontre chez 8 à 13 % des insuffisants rénaux chroniques. La tablette unguéale présente une coloration blanche ou normale, tandis que la partie distale présente une teinte rouge ou brune. Entre ces deux zones, une démarcation nette apparaît. Parfois, il est possible de ne rencontrer qu’un arc brun, qui a la même signification que les colorations décrites précédemment. Au-delà de l’hyponychium, l’ongle présente un aspect tout à fait normal. Les ongles de Lindsay se rencontrent dans le cadre d’une insuffisance rénale sévère, et disparaissent au décours d’une dialyse. Cette anomalie unguéale n’est pas corrélée à la gravité de l’insuffisance rénale.


Le psoriasis est la cause la plus fréquente d’ongles pseudo-équisegmentés.


Les lignes de Muehrcke : les lignes de Muehrcke se caractérisent par une double ligne blanche transversale. La surface de l’ongle est lisse, et les bandes blanches disparaissent à la vitropression. Ces lignes siègent surtout aux 2e, 3e et 4e doigts. Souvent ces lignes sont secondaires aux néphropathies responsables d’une importante hypoalbuminémie (syndrome néphrotique). Cependant, il est possible de les observer dans d’autres pathologies générant une hypoalbuminémie (transplantés cardiaques, patients présentant des hépatopathies, patients malnutris). L’origine de cette coloration caractéristique est actuellement élucidée : l’hypoalbuminémie induit une leuconychie apparente par baisse de la pression oncotique locale unguéale, et favorise une disparition de l’érythème normal du lit de l’ongle. Cette situation entraîne une kératinisation anormale de la tablette unguéale et modifie la microcirculation du lit unguéal, phénomène induisant la coloration blanche de l’ongle. Une correction de ces lignes est obtenue dès que l’hypoalbuminémie est traitée.


Le croissant érythémateux distal (figure 3) : on peut parfois confondre cette entité avec l’ongle de Terry (qui se caractérise par une leuconychie subtotale) (figure 4) ; en fait, dans ce cas, l’ongle proximal est normal. Certains auteurs considèrent qu’il s’agit d’une bande onychodermique proéminente.


Cette « anomalie » se retrouve dans le cas de pathologies chroniques (dont l’insuffisance rénale chronique). Cette spécificité séméiologique ne présente qu’un intérêt restreint, certains sujets « sains » ayant ce croissant érythémateux.


Autres anomalies : il existe également d’autres anomalies qui peuvent apparaître mais elles sont néanmoins peu spécifiques d’une altération des fonctions rénales : les hémorragies en flammèche (figure 5), l’amincissement de la tablette unguéale (figure 6), les leuconychies non systématisées (figure 7) et l’absence de lunule (que l’on rencontre chez 30 % des patients en insuffisance rénale) (figure 8).


Cas clinique


Une patiente de 78 ans a développé depuis plus d’un mois une dermatose des plis inguinaux et de la face interne des cuisses dans leur partie supérieure, faite de larges pustules avec hypopions (figure 1). Leur contenu en leucocytes est tel qu’il sédimente au fond de la bulle en position verticale, ce qui lui donne cet aspect caractéristique d’une bulle à moitié pleine, remplie dans sa partie inférieure. Ces pustules sont à surface flasque, ce qui laisse penser qu’elles sont superficielles et probablement sous-cornées.


Dans le détail


Le premier diagnostic évoqué fut celui d’une candidose. La candidose cutanée pourrait en effet donner des dépôts blanchâtres, mais ceux-ci sont déposés sur la peau et se décollent aisément à la spatule. Or dans le cas présent, ce sont de véritables bulles remplies de ce contenu blanc qui différencient cette éruption de celle de la candidose cutanée (figure 2). Le caractère mal limité, c’est-à-dire émietté, ne plaide pas davantage pour une maladie que pour l’autre.


La biopsie confirme l’existence de pustules directement localisées à la partie supérieure de l’épiderme, juste sous le stratum corneum. Ces pustules sont remplies de leucocytes, peu altérés dans le cas présent.


L’état général de la patiente étant conservé, on s’étonnera d’une vitesse de sédimentation accélérée à 80. En fait, c’est l’électrophorèse qui apportera la solution en montrant une gammapathie monoclonale (figure 3) au sein des gammaglobulines. Ainsi se trouve établi le diagnostic de pustulose sous-cornée de Sneddon-Wilkinson. Cette pustulose appartient au vaste cadre des dermatoses neutrophiliques définies par l’existence d’un infiltrat cutané de polynucléaires neutrophiles normaux et ce, sans cause infectieuse.


La pustulose sous-cornée appartient ainsi à un groupe de cinq maladies principales (cf. encadré 1). Depuis le concept créé par Douglas Sweet en 1964, celui-ci a évolué grâce aux travaux de Daniel Wallach qui, en 1991, a complété la liste des dermatoses neutrophiliques. Aujourd’hui, plusieurs nouvelles maladies enrichissent ce cadre nosologique (cf. encadré 2).


Les dermatoses neutrophiliques sont caractérisées par leur dimension multisystémique et leur association à des affections sous-jacentes bien définies, mais aussi par leur traitement relativement univoque. Aujourd’hui, rien n’interdit d’intégrer au sein des dermatoses neutrophiliques des maladies comme le psoriasis pustuleux, les pustuloses palmoplantaires, le SAPHO, les toxidermies pustuleuses, la pustulose exanthématique aiguë généralisée (PEAG), voire même les acnés graves et pourquoi pas la dermatite herpétiforme caractérisée par ses petits abcès à polynucléaires au sommet des papilles.


Parmi les manifestations extracutanées des dermatoses neutrophiliques, on retient l’existence d’hémopathies malignes et d’entéropathies inflammatoires telles que la maladie de Crohn ou la rectocolite ulcéro-hémorragique. Il faut souligner que les pathologies liées aux IgA (comme les entéropathies) sont plus volontiers responsables de pathologies pustuleuses.


 

Les cinq maladies principales constituant les dermatoses neutrophiliques


- Syndrome de Sweet
- 
Pyoderma gangrenosusm
- 
Pustulose sous-cornée
- 
Erythema elevatum diutinum

- Hidrosadénite eccrine neutrophilique


 

Nouvelles maladies rattachées aux dermatoses neutrophiliques


- Dermatite rhumatoïde neutrophilique
- 
Panniculite neutrophilique

- Abcès aseptique

- Pyodermatite-pyostomatite végétante

- Éruption pustuleuse des colites inflammatoires

- Pustulose des connectivites

- PAPA syndrome