Cas clinique

Hématémèse de l’enfant

Cas clinique

L’enfant F., de sexe masculin, âgé de 2 ans et demi, est hospitalisé pour hyperthermie et survenue de vomissements sanglants associés à un méléna. Cet enfant, quatrième d’une fratrie de quatre, est issu d’une grossesse gémellaire de 36 semaines. Il est né par siège avec un poids de 2 350 g, une taille de 46 cm et un périmètre crânien de 33 cm. Son score d’Apgar était de 3 à 1 minute et 10 à 5 minutes ; il a été ventilé au masque et sa respiration a été autonome après 5 minutes. À la naissance, un souffle systolique isolé est découvert, en rapport avec une CIV péri-membraneuse large.

Le début de la symptomatologie actuelle remonte à trois semaines, marqué par une angine et une otite bilatérale, traitées par paracétamol et céphalosporine de 3e génération par voie orale.

En raison de la persistance de la fièvre et de l’apparition d’hémorragie digestive, F. est hospitalisé. À l’admission, la température était à 38° C, la fréquence cardiaque à 143 battements par minute, la tension artérielle à 100/60 et la saturation à 98 % sous air ambiant. Il pesait 13 kg, mesurait 90 cm et son périmètre crânien était de 49 cm. Il existait une altération de l’état général avec asthénie importante. L’abdomen était légèrement ballonné, souple, indolore avec une palpation du lobe gauche du foie. Il n’était pas décelé de splénomégalie, ni de circulation veineuse superficielle. Le bilan biologique d’entrée montrait une pancytopénie avec 3 200 globules blancs dont 700 polynucléaires neutrophiles, et 2 100 lymphocytes, une hémoglobine à 7,8 g/dl, 80 000 plaquettes. Cette anémie se révélait arégénérative avec 9 000 réticulocytes ; la recherche de schizocytes était négative ; le bilan de coagulation était normal avec un TP à 119 %, un TCA de 29/31, on notait une hyponatrémie discrète à 133 meq/l, enfin une discrète cytolyse avec 39 de SGPT, 131 de SGOT, une augmentation des LDH à 1 103 UI/l, un taux d’haptoglobine à 1,28 pour une norme supérieure à 1,23 et une CRP négative. L’électrophorèse des protéines sériques affirmait une hypoprotidémie avec hypoalbuminémie, hypogammaglobulinémie et hypobétaglobulinémie. Le dosage d’alpha 1 antitrypsine était normal. Le test de la sueur montrait une concentration sudorale de chlore normale.

Le myélogramme réalisé en raison de la pancytopénie avec anémie non régénérative montrait une richesse normale de la moelle osseuse. Les sérologies virales contre les virus de l’hépatite A, B, C, CMV et parvovirus se sont révélées peu contributives, mais la sérologie EBV mettait en évidence une primo-infection avec des taux significatifs d’IgM anti VCA.

L’évolution dans le service a été marquée par l’aggravation de la pancytopénie 24 heures plus tard, avec 1 900 globules blancs, 6,2 g d’hémoglobine et 65 000 plaquettes, avec persistance d’un méléna de très faible abondance. F. est mis en arrêt alimentaire avec administration d’omeprazole par voie intraveineuse et reçoit une transfusion de culot globulaire pour un taux d’hémoglobine ayant baissé secondairement à 5,6 g/l. Une fibroscopie œsogastrique mettait en évidence sur la muqueuse œsophagienne plusieurs cordons variqueux de grade II et III, s’étendant de 15 cm des arcades dentaires jusqu’au cardia (Figure 1). L’échographie abdominale retrouvait l’hépatomégalie et mettait en évidence une thrombose de la veine porte, les veines splénique et mésentérique étant perméables. De plus, de multiples ganglions rétropéritonéaux et mésentériques étaient révélés. L’angio-scanner confirmait la thrombose portale et montrait de nombreuses dérivations porto-systémiques. Le bilan étiologique de la thrombose portale objectivait une absence de déficit en protéine C et protéine S, une absence de mutations des facteurs II et V de Leiden et une absence de déficit en antithrombine III.

L’évolution initiale était marquée par l’apparition d’une détresse respiratoire avec syndrome interstitiel bilatéral nécessitant une oxygénothérapie par voie nasale, sans perturbation du bilan inflammatoire biologique, associée à une souffrance myocardique liée à un bas débit et d’évolution rapidement favorable.

Après restauration et stabilisation de l’état hémodynamique, respiratoire et hématologique, une séance de ligature des varices a été réalisée sous anesthésie générale avec mise en place, initialement, de six élastiques puis de deux élastiques 15 jours plus tard lors du contrôle endoscopique. Le bilan complémentaire a permis de conclure à une hypertension portale par thrombose porte d’origine indéterminée. Compte tenu de l’évolution favorable, F. a pu regagner son domicile avec une contre indication à la prise d’aspirine et d’AINS.

L’évolution secondaire a été marquée par la nécessité de réaliser plusieurs phases de ligatures œsophagiennes sur une période de 13 mois. Et lors d’une hospitalisation programmée pour bilan de contrôle, des varices rectales remontant à 15 cm de la marge anale ont été mises en évidence. Il a donc été décidé de réaliser une dérivation porto-systémique. Celle-ci a consisté en une anastomose mésentérico-cave par greffon jugulaire interne, via une incision sous costale. Les suites opératoires ont été simples. Depuis la réalisation du geste chirurgical et avec trois ans de recul, F. n’a plus présenté d’épisodes d’hémorragie digestive et les contrôles endoscopiques réalisés à un rythme annuel n’ont mis en évidence aucune récidive de varice œsophagienne. Actuellement âgé de 7 ans, cet enfant présente un bon développement staturo-pondéral, pesant 23 kg (+1,5 DS) et mesurant 1,20 m (+1,5DS).

Cet enfant a donc présenté une pancytopénie d’origine virale due à l’EBV associée à une hypertension portale par thrombose de la veine porte d’origine indéterminée.

Questions essentielles

• En présence d’une hémorragie extériorisée par la bouche chez l’enfant, quelle est votre démarche diagnostique ?

• En présence d’une hématémèse, quels sont les diagnostics différentiels ?

• En présence d’une hématémèse chez l’enfant, quels examens demandez-vous ?

• Quelles sont les différentes causes d’hématémèse chez l’enfant ?

Dans le détail

• En présence d’une hémorragie extériorisée par la bouche chez l’enfant, quelle est votre démarche diagnostique ?

L’hématémèse se définissant comme un rejet de sang d’origine digestive par la bouche, il convient, dans un premier temps, de la confirmer par un interrogatoire précis, un constat clinique, ou un hémocult du liquide de rejet. Il faut établir l’origine digestive en éliminant toute autre cause, en préciser le diagnostic topographique et en rechercher la cause.

• En présence d’une hématémèse, quels sont les diagnostics différentiels ?

Les principaux diagnostics à éliminer sont :

- les saignements d’origine extra-digestive, ORL tels que les épistaxis dégluties ou les hémorragies bucco-pharyngées, ou pulmonaire (hémoptysie). Dans ces situations, l’interrogatoire peut être orienté par des antécédents particuliers ou des signes tels qu’une toux et des crachats sanglants

- les colorations anormales des vomissements par des colorants alimentaires (betterave)

- les colorations anormales des vomissements et/ou des selles par des prises médicamenteuses (fer).

• En présence d’une hématémèse chez l’enfant, quels examens demandez-vous ?

La fibroscopie œso-gastro-duodénale réalisée par un opérateur expérimenté chez l’enfant, après stabilisation de l’état hémodynamique et contrôle du risque hémorragique, permet de préciser la topographie d’éventuelles lésions digestives responsables du saignement.

Le bilan biologique (NFS, hématocrite, ionogramme sanguin, bilan hépatique, bilan d’hémostase, groupe sanguin) permet de préciser l’importance du syndrome hémorragique, d’évaluer ses risques et d’envisager de corriger l’anémie.

La radiographie de l’abdomen sans préparation peut orienter vers la perforation d’un organe creux (perforation d’ulcère).

L’échographie abdominale avec doppler peut servir à rechercher une hypertension portale, quand sont mises en évidence une hépato ou une splénomégalie.

Un bilan étiologique plus large peut être envisagé en cas d’orientation spécifique.

• Quelles sont les différentes causes d’hématémèse chez l’enfant ?

Ces causes varient en fonction de l’âge.

Chez le nouveau né, on doit rechercher :

- des vomissements de sang dégluti lors de l’accouchement ou provenant d’une mammite hémorragique

- une œso-gastrite néonatale, caractérisée par des lésions sévères et souvent étendues, qui en général évoluent favorablement sous traitement médical par anti-sécrétoires

- des lésions traumatiques dues à la mise en place d’une sonde gastrique

- une maladie hémorragique par carence en vitamine K chez un enfant allaité au sein

- un ulcère de stress (survenant le plus souvent chez des nouveau-nés admis en réanimation néonatale)

- une entérocolite ulcéro-nécrosante, de survenue plutôt rare

- une intolérance aux protéines du lait de vache, l’œsophagite peptique étant plus rare à cet âge.

Chez le nourrisson et l’enfant plus grand, d’autres causes doivent être recherchées :

A - Causes œsophagiennes :

L’œsophagite peptique due à un reflux gastro-œsophagien est plus souvent responsable d’hémorragies de faible abondance, à l’origine d’une anémie ferriprive. Les œsophagites ulcérées hémorragiques se rencontrent plus volontiers chez l’enfant encéphalopathe.

La rupture de varices œsophagiennes est à l’origine d’hématémèses souvent abondantes et elle est en rapport avec une hypertension portale (HTP). L’HTP est due à un obstacle à l’écoulement normal du sang veineux portal, splénique et/ou mésentérique vers le foie, cet obstacle pouvant se situer à trois niveaux :

- supra-hépatique, sur le réseau veineux sus-hépatique (syndrome de Budd-Chiari)

- intra-hépatique, tel qu’observé dans les cirrhoses (survenant après atrésie des voies biliaires, hépatite ou maladies métaboliques comme la tyrosinémie, la maladie de Wilson, le déficit en alpha 1 antitrypsine ou la mucoviscidose) et dans la fibrose hépatique congénitale

- sous-hépatique, par obstacle sur la veine porte suite à un cathétérisme veineux ombilical néonatal.

Au niveau de l’œsophage, un endo-brachy-œsophage peut également être responsable d’anémie persistante ou d’hématémèse macroscopique. Ce diagnostic justifie un suivi prolongé et l’usage d’IPP au long cours.

B - Causes œso-cardiales :

Elles sont dominées par le syndrome de Mallory-Weiss : il est dû à des efforts violents de vomissements qui provoquent une déchirure de la muqueuse au niveau de la jonction entre l’œsophage et l’estomac. La rupture de veinules et d’artérioles dans la profondeur de la muqueuse explique la survenue des saignements. Son évolution est favorable sous traitement médical.

C - Causes gastriques ou duodénales :

Les ulcères et les gastrites hémorragiques sont parmi les causes les plus fréquentes d’hématémèses. Les ulcères siègent le plus fréquemment dans le duodénum (deux tiers des cas).

L’ulcération d’un vaisseau sanguin dans le fond de l’ulcère ou l’inflammation de la muqueuse entourant l’ulcère expliquent la survenue de l’hémorragie.

Les ulcères primitifs, gastriques ou duodénaux, peuvent être secondaires à une infection à Helicobacter pylori. Ils ne sont habituellement pas hémorragiques mais à l’origine de douleurs abdominales récidivantes.

Les ulcères secondaires sont dus à des facteurs gastro-toxiques tels l’acide acétyl salicylique, les AINS, les stéroïdes et le stress.

Les gastrites sont plus souvent responsables de douleurs abdominales, de vomissements et de troubles dyspeptiques que de saignements. Un aspect de gastrite d’aspect macroscopique nodulaire est souvent imputable à Helicobacter pylori.

Les causes avec atteintes multiples peuvent être en rapport avec une prise de caustiques, des malformations vasculaires à type d’angiomes diffus, un purpura rhumatoïde ou des polypes gastro-duodénaux (Peutz-Jeghers). Plus rarement, des malformations digestives (duplications gastrique ou duodénale, volvulus du grêle) peuvent provoquer des hématémèses.

Selon les séries, dans des proportions non négligeables de cas, aucune étiologie particulière n’est parfois identifiée.

SOURCE : cas publié dans Tout Prévoir — L’Espace DPC — septembre 2012 n° 434

Hématémèse chez l’enfant : quels traitements ?

Le traitement est étiologique, après avoir évalué l’importance de l’hémorragie, stabilisé l’état hémodynamique et contrôlé le syndrome hémorragique. En cas de saignement important, la prise en charge doit être réalisée dans un centre adapté à la prise en charge des urgences de l’enfant.

Le lavage gastrique à l’eau glacée et la mise en place d’une sonde de Blackmore peuvent permettre de stopper l’hémorragie.

L’usage d’antisécrétoires est indiqué en cas d’œsophagite ulcérée ou d’ulcère gastro-duodénal, associé à une antibiothérapie en cas d’infection à Helicobacter pylori.

L’endoscopie pratiquée pour établir le diagnostic topographique des lésions hémorragiques permet également de réaliser des gestes thérapeutiques tels que la sclérose des varices ou la mise en place de ligatures de varices en cas d’HTP. Une laparoscopie est parfois utile pour établir un diagnostic ou réaliser des dérivations porto-systémiques en cas d’HTP. L’utilisation d’aspirine et d’anti-inflammatoires non stéroïdiens est en général contre indiquée dans ces situations hémorragiques.

par Dr Patrice Serge Ganga-Zandzou ;Fédération médico-chirurgicale de Pédiatrie. Centre hospitalier de Roubaix (59)