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Qu'est-ce que l'effet placebo ? Application à la rhumatologie

L'effet placebo est devenu populaire, mais reste souvent mal compris, même par les soignants (1). Il garde par ailleurs une forte connotation péjorative, d'autrant plus surprenante que certains des traitements utilisés en rhumatologie ne soulagent pas ou guère plus que leurs placebos. En fait, il vaudrait mieux dire  que les simulacres de traitements (comme par exemple de fausses vertébroplasties, sans aucune injetion de ciment) peuvent induire une baisse spectaculaire et durable de la valeur du dolorimètre (2-3)... ce qui fâche beaucoup moins !

Par Dr Jean-Marie Berthelot, Service de Rhumatologie, Hôtel-Dieu, CHU Nantes (44).

L’effet placebo est très souvent confondu avec d’autres phénomènes

• Le retour à la moyenne

La plupart des patients qui s’améliorent dans les bras placebo des essais cliniques ne le font pas du fait d’un effet placebo, mais à cause du phénomène de retour à la moyenne. Les critères d’inclusion dans les essais cliniques requièrent en effet un niveau souvent élevé d’activité de la pathologie. Les patients, cueillis lors d’une poussée (et qui ont parfois péjoré leur état pour pouvoir satisfaire les critères d’entrée dans l’essai thérapeutique), vont ensuite retrouver durant l’étude leur état moyen, d’autant que les pathologies étudiées ont souvent une évolution cyclique (notamment en rhumatologie : rhumatismes inflammatoires, arthroses, etc.). De même, les patients consultent en général quand ils vont mal, et leurs améliorations et guérisons spontanées ont de tout temps fait beaucoup pour la réputation des praticiens, et pour la santé de l’industrie pharmaceutique.

Les effets Hawthorne

On appelle effets Hawthorne les modifications de la manière dont la douleur (ou un autre symptôme) est exprimé(e) et quantifié(e) par le patient, du seul fait de se savoir observé par une personne d’importance (en particulier dans le cadre d’un essai thérapeutique) (4). Certains joueurs de football peuvent se rouler par terre en cherchant l’arbitre des yeux, mais se relever ensuite d’un bond si celui-ci ne les observe pas, et/ou si une opportunité de but se présente. De même, certains patients peuvent coter la même douleur à 7 ou 3 selon que l’échelle analogique de douleur est tendue par un.e aide-soignant.e contrarié.e ou par un.e sémillant.e docteur dans le cadre d’un essai clinique. Beaucoup d’études réalisées en milieu hospitalier, en présence du corps médical ou d’attaché.es de recherche clinique intéressé.es par la bonne marche du travail, sont biaisées par la sollicitude des évaluateurs, comme l’atteste la remontée des scores d’activité des pathologies traitées lorsqu’on réévalue les patients en routine après la fin de l’essai clinique (5). L’utilisation croissante d’auto-questionnaires d’évaluation à remplir par les patients à leur domicile, à distance des médecins et infirmières, est un moyen de disposer de plus de mesures, mais aussi de diminuer la puissance des effets Hawthorne (même si certains patients peuvent encore minorer leur gène à distance, par gratitude envers le si attentionné Professeur qui leur a proposé de participer à l’essai).

Une distinction difficile entre vrais effets placebo et retours à la moyenne et/ou effets de Hawthorne

En pratique il est souvent très difficile de distinguer les vrais effets placebo, des phénomènes de retour à la moyenne et des effets Hawthorne, qui sont souvent bien supérieurs aux vrais effets placebo.Il faut en effet, pour distinguer les effets placebo des effets Hawthorne et retour à la moyenne tirer au sort les patients dans trois bras : un bras recevant le vrai traitement, un bras ne recevant qu’un simulacre de traitement, et un bras ne recevant pas même un placebo, mais étant évalué de la même manière que les autres. Quand ceci est fait, l’effet placebo paraît bien faible (amélioration moyenne de l’ordre de 5/100 pour la douleur)(7). Pourtant des améliorations bien plus marquées (comme des baisses de 40/100 des douleurs) peuvent être facilement obtenues en rhumatologie avec certains procédés présumés placebo, comme dans les sciatiques le recours à des injections péridurales ou péri-radiculaires de sérum physiologique, voire à une simple piqûre sans injection(8). Donc, soit l’effet placebo peut être bien supérieur à 5/100, soit les effets Hawthorne sont bien plus puissants que les effets placebo. Une des explications à l’importance des effets Hawthorne en rhumatologie pourrait être la levée de culpabilité de certains patients « de ne rien faire » face à leurs symptômes. Cette culpabilité est entretenue par les lobbies de santé, mais surtout par les proches ou employeurs : les affections de l’appareil locomoteur ont la particularité de frustrer assez vite l’entourage du patient.

 

Rôle des neuromédiateurs

L’effet placebo correspond à la libération dans le cerveau de neuromédiateurs venant, soit freiner certaines sensations désagréables (dont surtout la douleur, mais aussi l’anxiété), soit moduler le fonctionnement du système nerveux autonome (effet placebo dans l’asthme, etc.).

La réalité de l’effet placebo a été attestée par sa « visualisation» en imagerie fonctionnelle cérébrale, qui a aussi montré que ce n’était pas un seul, mais plusieurs réseaux neuronaux, qui participaient à l’effet placebo en libérant des mélanges variés de neuromédiateurs( 6). On peut pour simplifier, distinguer deux variétés (qui se mélangent souvent) de réponses placebo :

la première est de type Pavlovien, et ne fonctionne en principe que si le patient a déjà expérimenté le procédé thérapeutique avec succès, cet effet passant surtout par la libération d’endor- phines. Certains athlètes ont pu, ou pourraient encore, prendre juste avant une compétition, des simulacres de puissants traitements antalgiques préalablement absorbés lors de phases d’entraînement, afin d’induire une libération d’endorphines sans risques de positivité des contrôles anti-dopage. Certains effets nocebos fonctionnent sur le principe inverse (vomissements à la seule vue de la perfusion de chimiothérapie) ;

la seconde variété d’effet placebo, qui passe par d’autres réseaux neuronaux, tient à l’attente optimiste d’un bon résultat, même si le patient n’a jamais tenté encore le traitement. Plus le patient souhaite guérir et a confiance dans le procédé, plus il peut libérer des substances dopaminergiques, hormones du plaisir qui vont à la fois diminuer les symptômes et leur ressenti (ce qui est différent de l’effet Hawthorne, qui a lui trait à l’expression de la douleur). Il n’est pas étonnant à ce sujet que la maladie de Parkinson soit une des pathologies où l’effet placebo est le plus fort. Effet Pavlovien et confiance dans le soignant expliquent pourquoi les animaux les plus domestiqués peuvent aussi s’améliorer sous placebos, y compris donnés à des doses « homéopathiques ».

La force des effets placebo + Hawthorne 

• La force des effets placebo + Hawthorne peut beaucoup varier selon les moments, patients, soignants, pathologies, topographies des atteintes, et nature des traitements

Si l’humeur du patient influe sur l’importance des réponses placebo et Hawthorne, et surtout son envie de guérir, certaines personnes sont génétiquement plus douées pour développer des réponses placebo (polymorphismes des enzymes contrôlant la synthèse des catécholamines) (9). La force des effets placebo + Hawthorne dépend aussi beaucoup de la confiance placée dans les soignants, laquelle peut être majorée par des tarifs de consultation élevés. Les améliorations placebos + Hawthorne peuvent être particulièrement marquées et rapides dans les pathologies rachidiennes dégénératives. Elles peuvent, dans le contexte des arthroses, beaucoup varier selon les articulations étudiées : l’amplitude des effets placebo + Hawthorne est ainsi bien plus forte dans les arthroses de la main que dans celles de la hanche. La force des effets placebo + Hawthorne varie aussi beaucoup selon le type de traitement. Les injections d’acide hyaluronique et l’acupuncture sont les procédés où les améliorations sont les plus marquées dans les bras placebo, au point que l’amplitude des améliorations observées sous fausse acupuncture (aiguilles ne traversant pas la peau et restant seulement collées sur l’épiderme) peut être supérieure à celle mesurée sous vrais traitements comme des AINS (10).

• Les gestes chirurgicaux peuvent induire de très fortes réponses placebo + Hawthorne

Comme la rhumatologie interventionnelle, la chirurgie de l’appareil locomoteur procure de forts effets placebo + Hawthorne, mais leur objectivation et quantification restent délicates. Presque tous les chirurgiens se réfugient en effet derrière le caractère présenté comme non éthique des randomisations (dans des bras « abstention chirurgicale » ou, mieux, « simulacre de chirurgie, avec anesthésie et cicatrice sans réelle intervention ») pour ne pas évaluer de manière idéale certaines de leurs pratiques. Il n’est certes pas nécessaire de faire une étude randomisée en double insu avec vrai-parachute versus faux-parachute pour démontrer que le premier permet de réduire le nombre de décès des personnes larguées d’un avion. Il serait par contre bienvenu de pratiquer des études randomisées en double-insu versus un simulacre de geste pour démontrer que certaines interventions ont une efficacité intrinsèque, même quand tous les opérateurs sont convaincus de leur grande efficience. L’exemple des études randomisées menées par des radiologues expérimentés en Australie et aux Pays-Bas pour évaluer les vertébroplasties est édifiant : alors que dans les études ouvertes ce geste avait été souvent qualifié de spectaculairement efficace, deux études en parfait double-insu versus placebo (les patients sentant l’odeur du ciment fabriqué de manière extemporanée dans tous les cas, même lorsque rien n’était ensuite injecté dans leurs vertèbres) ont montré que des améliorations tout aussi spectaculaires et durables ont été obtenues lorsque les opérateurs se contentaient de placer des aiguilles au contact des pédicules, sans rien injecter (2-3).

• Il ne faut pas jeter le bébé (l’effet global du procédé) avec l’eau du bain (les données d’evidence-based-medicine)

Faut-il pour autant abandonner la pratique des procédés n’ayant pas d’effet supérieur à un placebo, si les effets placebos + Hawthornes induits chez les patients améliorent beaucoup ceux- ci ? Par exemple, faut-il abandonner la pratique d’infiltrations rachidiennes sous prétexte que la simple implantation d’une aiguille en inter-épineux ou l’injection de sérum physiologique fait (presque) aussi bien (8) ? Les rapports bénéfices-risques et coût-efficacité de ces procédures devraient être en fait aussi importants à considérer que le ratio efficacité intrinsèque du traitement sur force des effets placebo + Hawthorne induits par le traitement.

 

Les effets placebo et Hawthorne resteront longtemps un sujet conflictuel

L’effet placebo reste un sujet conflictuel, riche en paradoxes, contradictions et conflits d’intérêts. La médecine traditionnelle n’a pas tort de dénigrer les procédés placebo utilisés par les thérapeutiques alternatives, quand leurs promoteurs font payer chers leurs services ou s’aventurent à poser des diagnostics. Doit-elle pour autant priver ses propres patients de la force des effets placebo et Hawthorne, même si les bénéfices de ce type de prescriptions peuvent encourager certaines firmes à faire plusde marketing que de recherche ? Le principal conflit d’intérêt entre médecins et firmes pourrait en fait tenir aux effets Hawthorne : les industriels du médicament ont tout intérêt à faire baisser le seuil de douleur considéré comme supportable par nos contemporains, alors que les médecins devraient au contraire inciter leurs patients à ne pas prendre l’habitude de se plaindre de manièreexcessive.

 

Mais faut-il rembourser des quasi-placebos à des prix très supérieurs à ceux d’un placebo ?

La force possible des effets placebo + Hawthorne coûte cher à l’industrie pharmaceutique, car il faut souvent inclure de grands nombres de patients dans les coûteux essais cliniques pour démontrer qu’un traitement est plus efficace qu’un placebo. Toutefois ces effets lui rapportent encore bien plus. Bon nombre de ‘quasi-placebos’ ont en effet été commercialisés, et à des prix parfois élevés, grâce entre autres à des biais méthodologiques faisant conclure à une petite supériorité de la molécule testée par rapport au placebo. Les deux principaux biais permettant de faire passer un quasi-placebo pour un produit efficace sont d’une part le caractère incomplet de l’insu, et d’autre part les biais de méta-analyses quand celles-ci ne tiennent pas compte des études négatives, souvent non publiées (1). In fine, c’est l’industrie qui engrange le plus de bénéfices financiers de l’effet placebo, même s’il faut un médecin pour le renforcer.

 

La principale erreur : prendre une forte réponse à un placebo pour un signe d’inorganicité

Une très forte réponse à un placebo signifie seulement que le patient avait envie d’aller mieux et qu’il n’attendait que ce « catalyseur » pour s’améliorer. Ceci n’élimine pas la possibilité d’une inorganicité, mais n’est pas la preuve d’une fragilité psychologique : la foi, l’espérance et la charité ne sont pas encore considérées comme des symptômes (13) !

Éthique du recours au placebo

Beaucoup de médecins, et en particulier les universitaires impliqués dans la recherche clinique, ont une vision péjorative des placebos, et considèrent sa prescription comme une « tromperie ». En fait, cette prescription reste licite, si les autres procédés ont échoué, ou s’il n’y a pas de traitement validé, à condition que le rapport bénéfice (global) versus risques, soit très favorable, et que le rapport coût-efficacité de la procédure soit également avantageux (11). Le mensonge (qui n’est le plus souvent que par omission) sur l’efficacité du traitement n’est sans doute pas plus condamnable que le déni du caractère surtout placebo de certains procédés pourtant couramment pratiqués. Nombre de thérapeutes admettent d’ailleurs se mentir à eux-mêmes, sous prétexte que leurs doutes pourraient empêcher les patients de profiter de l’effet du procédé. En fait, l’effet placebo peut perdurer, même si le médecin sait que le produit n’a aucun effet intrinsèque, pour autant qu’il entretienne l’état d’attente optimiste du patient (1). Une enquête auprès de 300 patients a par ailleurs montré que la plupart des patients acceptaient l’idée d’être traités par un pur placebo, et qu’une très grande majorité d’entre eux pensaient que le médecin ne devait alors pas préciser qu’il s’agissait d’un pur placebo (12). Il est frappant que la prescription de purs placebos suscite autant de réticences de la part des médecins, du fait du climat d’hypocrisie qui l’entoure, alors que cette prescription se fait avec beaucoup moins de gène quand il s’agit de quasi-placebos présentés avec force conviction et sourires par la visite médicale, les firmes ayant beaucoup moins de scrupules à encaisser les bénéfices du doute.

Références bibliographiques

(1) BERTHELOT JM. L’effet placebo en Rhumatologie : des nouveautés. Revue Rhum 2011 ; 78 : 32–36.
(2) KALLMES DF, COMSTOCK BA, HEAGERTY PJ, et al. a randomized trial of vertebroplasty for osteoporotic spinal fractures. N Engl J Med 2009 ; 361 : 569–79.
(3) BUCHBINDER R, OSBORNE RH, EBELING PR, et al. 
a randomized trial of vertebroplasty for painful osteoporotic vertebral fractures. N Engl J Med 2009 ; 361 :557–68.
(4) BERTHELOT JM, LE GOFF B, MAUGARS Y. L’effet Hawthorne : plus important que l’effet placebo ? Rev Rhum ; 78 :301-2.
(5) WOLFE F, MICHAUD K. The The Hawthorne effect, sponsored trials, and the overestimation of treatment effectiveness. 
J Rheumatol 2010 ; 37 :2216-20.
(6) QLU YH, WUXY, XU H, et al. Neuroimaging study of placebo analgesia in humans.Neurosci Bull 2009 ; 25 :277–82.
(7) HROBJARTSOON A, GOTZSCHE PC. Is the placebo powerless ? an analysis of clinical trials comparing placebo with no treatment.
N Engl JMed 2001;344:1594–602.
(8) IVERSEN T, SOLBERG TK, ROMNER B, et al. Effect of caudal epidural steroid or saline injection in chronic lumbar radiculopathy : multicentre, blinded, randomised controlled trial. BMJ 2011 ; 343 :d5278. doi : 10.1136/bmj.d5278.
(9) HALL KT, LEMBO AJ, KIRSCH I, et al. Catechol-O-Methyltransferase val158met Polymorphism Predicts Placebo Effect in Irritable Bowel syndrome. PLos One 2012 ; 7 :e48135.
(10) ZHANG W, ROBERTSON J, JONES AC, DIEPPE PA, et al. 
The placebo effect and its determinants in osteoarthritis : meta-analysis of randomised controlled trials. ann Rheum Dis. 2008 ; 67 :1716-23.
(11) MILLER FG, COLLOCA L. The legitimacy of placebo treatments in clinical practice : evidence and ethics. am J Bioeth 2009 ; 9:39–47.
(12) BERTHELOT JM, MAUGARS Y, aABGRALL M, et al. Interindividual variations in beliefs about the placebo effect : a study in 300 rheumatology inpatients and 100 nurses.
Joint Bone spine 2001 ; 68 :65–70.
(13) KOHLS N, SAUER S, OFFENBÄCHER M, Spirituality : an overlooked predictor of placebo effects?
Philos Trans R soc Lond B Biol sci 2011;366:1838-48.

par Dr jean-Marie Berthelot

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