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« No free lunch » : la campagne des jeunes médecins pour prévenir les dérives du marketing médical

Difficile de refuser l’invitation à un petit déjeuner ou au dîner-conférence de ce visiteur médical si sympathique… Internes et médecins risquent pourtant de se laisser influencer dans leurs prescriptions. Pour la deuxième année l’ISNAR-IMG, alerte sur des pratiques commerciales contestables. D'autant que la loi du 24 juillet 2019 "Ma santé 2022" a mis fin aux hospitalités accordées aux étudiants

par Laurent Joyeux.

LaurentJoyeux

Matthieu Thomazo, quel est le rôle de l’ISNAR-IMG et quelles sont vos fonctions ?

L’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (l’ISNAR-IMG) regroupe des syndicats locaux représentants des internes de médecine générale de toute la France. Notre mission est d’informer, de défendre les internes de médecine générale et de les représenter. L’année dernière, un décret a réaffirmé notre place d’acteur principal et représentatif pour défendre les droits des internes de médecine générale. Après avoir été chargé de mission en lutte contre les conflits d’intérêts, je suis depuis quelques semaines le porte-parole de la structure.

Quel est l’objectif de la campagne « No free lunch » ?

Nous voulons sensibiliser les internes et les étudiants à la différence entre l’information médicale et le marketing de l’industrie pharmaceutique. Le 24 juillet 2019 a été adoptée la loi « Ma Santé 2022 » qui a notamment interdit que toute hospitalité soit accordée aux étudiants par l’industrie du médicament. Nous ne devrions donc plus, théoriquement, être exposés aux sollicitations de l’industrie du médicament mais il faut rester vigilant.

Quelles sont les techniques d’accrochage des groupes pharmaceutiques ?

Dès les premiers stages à l’hôpital, nous nous faisons approcher par des visiteurs médicaux. Ils nous parlent de leurs médicaments, nous proposent un petit-déjeuner ou un repas. Certains nous invitent à des dîners thématiques dans des restaurants. Un médecin ayant une expertise sur une maladie ou un médicament particulier peut animer la soirée. C’est la technique du leader d’opinion dont le message va toujours dans le sens de l’organisateur.

Les médecins de ville reçoivent les visiteurs entre deux patients dans leur cabinet ou sur leur pause déjeuner.

Des pratiques jugées pernicieuses ?

Notre propos n’est pas de stigmatiser les laboratoires et il n’est pas question de diaboliser l’industrie du médicament. Leur fonction de recherche est indispensable et à ce titre le travail collaboratif est nécessaire. Cette campagne 2019 répond aux remarques qui nous accusent d’être anti-laboratoires.

Cependant, il est nécessaire de promouvoir le message qui dissocie marketing et formation avant tout dans l’intérêt des patients. Un comportement éthique du médecin ne peut qu’être profitable au patient.

Quand le médecin retire des avantages du marketing, le patient peut souffrir des effets indésirables. Le Mediator est un cas d’école et les dangers potentiels pour les patients nous paraissent clairs : les intérêts de l’industriel ne sont pas les mêmes que ceux du malade. Le conflit d’intérêts est manifeste quand le producteur assure la formation des prescripteurs.

Le conflit d’intérêts est manifeste quand le producteur assure la formation des prescripteurs.

En dehors de ce système, comment trouver l’information sur les médicaments ?

La sécurité des patients est de la responsabilité des médecins qui doivent se former et s’informer d’après des études indépendantes sur les produits de santé et des données objectives acquises de la science. La revue Prescrire répertorie ces études mais je suis à la limite du conflit d’intérêts car elle est notre partenaire. Il existe également d’autres sources d’informations indépendants dans la littérature.

L’ANSM et la HAS peuvent-elles vous aider ?

L’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament) se base sur des études « supposées » indépendantes pour valider les médicaments qui peuvent être prescrits. Mais si tous présentent un bénéfice-risque de qualité, beaucoup d’entre eux sont inutiles et ne sont que les copies d’autres produits dans une logique purement marketing. Quant aux préconisations de la Haute autorité de santé (HAS), on peut se demander si elles sont toujours indépendantes. Il y a quelques années, des recommandations ont été faites par des experts qui avaient de nombreux conflits d’intérêts. Cela a fait l’objet de la thèse de doctorat en médecine de Louis-Adrien Delarue en 2011. On peut consulter la base Transparence santé qui liste et donne un accès public aux liens d’intérêts des professionnels de santé qui sont à déclarer dés 10 euros d'avantages en nature ou en espèce. Il n’y a pas eu d’études sur le seuil nécessaire pour être influencé.

BaseTransparenceSante INT
La base Transparence santé donne un accès public aux conflits d’intérêts des professionnels de santé

Quels sont les arguments de vos détracteurs ?

Toujours les mêmes. « Nous sommes suffisamment grands pour ne pas nous laisser influencer … ». Pourtant, toutes les études montrent qu’une campagne de publicité associée à une « campagne de repas » amène une sur-prescription du médicament. Cela a été prouvé en double aveugle.

Comment les médecins perçoivent-ils cette campagne ?

Nous n’avons pas eu beaucoup de retours de la part des médecins seniors sur cette campagne précisément. Quand nous abordons avec eux l’indépendance de manière générale, un certain conflit générationnel est perceptible, nous nous heurtons souvent au fait que beaucoup d’entre eux ont l’habitude de recevoir régulièrement des démarcheurs publicitaires. C’est pourquoi il est primordial de sensibiliser les internes pour qu’ils ne prennent justement pas ces habitudes. Il y a encore quelques années, ces pratiques étaient normales et ne posaient de problème qu’à très peu de monde, cela a tendance à changer progressivement au sein de la nouvelle génération. 

Et les internes ?

Sur les réseaux sociaux, les réactions ont été nombreuses. Il est important de noter que les internes n’avaient pas forcément été informés de cette mesure prise par le gouvernement. Ils ont été privés de l’accès à certaines formations du jour au lendemain, faute de financement. Notre campagne de communication a ouvert le débat et il y a eu une forte confusion entre la ratification de l’ordonnance interdisant les cadeaux et notre campagne. Certains internes ont pu penser que nous étions à l’origine de cette mesure, ce qui est faux. Bien que nous ne puissions que saluer l’avancée provoquée par cette loi, nous regrettons fermement qu’elle ne se soit pas accompagnée de mesures permettant aux internes de financer leur formation indépendamment de l’industrie du médicament. Une anticipation était nécessaire et nous avions alerté nos interlocuteurs, il est urgent maintenant que des fonds puissent être débloqués

Les mentalités évoluent, et je suis convaincu que c’est un problème de forme. Les internes soutiennent globalement cette mesure mais regrettent l’absence de moyens permettant d’assurer un financement des formations annexes auxquels ils ne peuvent plus assister (congrès, journées de simulation…).

Où peut-on se renseigner sur l’Isnar-IMG et la campagne « No free lunch » ?

On peut trouver sur le site l’Isnar-IMG et sur http://nofreelunch.isnar-img.com/ les deux campagnes de 2018 et 2019, des vidéos que nous avons tournées et toutes les études sourcées. Il nous semble important de rappeler certaines limites éthiques et de nous préparer à cette confusion entre le marketing et l’information médicale, car nous y serons confrontés quand nous serons médecins séniors.

par Laurent Joyeux

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