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INTERVIEW

Transfert de microbiote fécal : un traitement à venir pour l’homme

La France fait figure de précurseur dans la recherche sur le microbiote côté européen. MaaT Pharma, biotech française pionnière dans le transfert de microbiote fécal (TMF) a mis en place la première plateforme européenne de TMF standardisée répondant aux Bonnes pratiques de fabrication (BPF), pour traiter les infections et les dysfonctionnements intestinaux. La société poursuit actuellement trois essais cliniques et ambitionne de mettre sur le marché son premier médicament à administration par voie orale à l’horizon 2022. Hervé Affagard, CEO et co-fondateur de MaaT Pharma, nous éclaire sur le sujet.

Qu'est- ce que le microbiote fécal ?

 Hervé Affagard © DR

Hervé Affagard, CEO et co-fondateur
de MaaT Pharma © DR

Le microbiote fécal est un écosystème de micro-organismes contenus dans l’intestin qui vivent ensemble. Auparavant, on parlait de flore intestinale. Ce microbiote, qui pèse environ 1 kg, contient cent mille milliards de bactéries et un certain nombre de gènes - entre 200 000 et 800 000 en fonction des individus. Il remplit des fonctions déterminantes pour le bien-être et la santé de chacun. Les fonctions métaboliques essentielles à la digestion sont en effet régies par ce qui se passe dans notre intestin. Le microbiote intestinal assure aussi un effet barrière en s’opposant à l’implantation et à la multiplication de bactéries exogènes, souvent pathogènes. Il assure également une stimulation de notre système immunitaire. Enfin, via le système nerveux entérique, c’est aussi un véritable axe de communication d’informations allant de l’intestin vers le cerveau. A titre d’exemple, une bactérie intestinale a été identifiée comme régulateur de la satiété dans le cerveau. Cette découverte fait l’objet d’un développement de compléments alimentaires pour lutter contre l’obésité. La nourriture, le style de vie, la pollution, l’hygiène, influencent la composition du microbiote. Bien que plusieurs « enterotypes1» existent, notre microbiote nous est propre et dépend de notre propre histoire.

 

Comment la recherche a-t-elle avancé dans ce domaine ?

Pendant longtemps, nous avons manqué d’outils pour observer le microbiote. En effet plus de 70% des bactéries ne résistent pas à l’oxygène et ne sont donc pas cultivables avec les méthodes classiques, ce qui rendait impossible son étude complète. L’avènement des nouvelles technologies omiques2, consécutif au développement des recherches sur le génome humain, a permis le développement des recherches sur les bactéries. En France, c’est l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) qui a publié le premier catalogue de 10 millions de gènes, une avancée majeure qui a permis de comprendre l’écosystème de notre corps.

En quoi le microbiote fécal est-il une solution thérapeutique pour les patients ?

Aujourd’hui, il s’agit encore d’un marché naissant. Les premiers produits devraient être disponibles d’ici trois à quatre ans. Au sein de notre entreprise, nous sommes en phase d’essai clinique sur l’homme dans le domaine des maladies infectieuses et de l’oncohématologie.

L’usage du microbiote fécal comme traitement médical est notre objectif. Pour des leucémies par exemple, les patients sont traités avec des chimiothérapies intensives et des antibiothérapies. Les médicaments mettent à plat les systèmes immunitaires et les antibiotiques apportent des bactéries multi-résistantes et diminuent drastiquement notre microbiote intestinal ce qui a pour effet d’en altérer le fonctionnement. Nous pouvons donc, en amont des soins, prélever du microbiote fécal pour reconstruire, post-traitement, les fonctions métaboliques et réduire les co-morbidités infectieuses. Nous utilisons notre plateforme de transfert de microbiote fécal BPF pour fabriquer un médicament qui sera réinjecté pour protéger contre les infections.

Pour traiter les problématiques d’altération du microbiote intestinal, il est possible d’effectuer un transfert de microbiote pour une reconstruction complète ou alors de faire des cocktails de probiotiques pour une reconstruction partielle. A ce stade de notre développement, nous produisons des poches de 150 ml d’administration intrarectale. Nous développons aussi une forme orale, plus douce et moins invasive, mais elle n’est pas toujours adaptée au patient. Sous chimiothérapie, les patients sont très immunodéprimés, aussi est-il est préférable de privilégier l’autre solution, qui permet une recolonisation plus rapide.

Le microbiote peut également avoir un rôle dans le diagnostic. Par exemple, lorsque des patients ont des problèmes intestinaux, ils doivent généralement faire une coloscopie. Afin d’éviter cet examen invasif, il est possible de détecter au plus tôt les maladies en analysant leur microbiote fécal.

Y a-t-il des effets secondaires ?

Dans les hôpitaux, le recours au microbiote est fait de manière empirique. Entre 2 et 6 % de complications plus ou moins significatives sont constatés car la procédure est allogénique.

Dans notre entreprise, nous avons monté une plateforme qui répond aux BPF. Nous avons fait des démonstrations sur les souris et les cochons avant de passer aux essais sur l’Homme. Aujourd’hui, on ne rapporte aucun effet indésirable lié à notre traitement.

1 Il existe trois groupes de signatures bactériennes intestinales.
2 Le terme omique regroupe les technologies qui permettent d'étudier un grand nombre de données concernant un ensemble d'objets biologiques, telles qu'un ensemble de gènes (génomique), d'ARN (transcriptomique), de protéines (protéomique), de métabolites (métabolomique), etc.

par Laure Martin