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Recherche médicale : les venins pourvoyeurs de nouvelles pistes thérapeutiques

Médecin en Santé publique, directeur de Recherche à l'Institut de recherche pour le développement, l'IRD, le Dr Jean-Philippe Chippaux travaille également au Centre de recherche translationnelle de l'Institut Pasteur. Herpétologue, il a passé une grande partie de sa carrière outremer à étudier les scorpions et les serpents, tant en Afrique qu'en Amérique du Sud. Le Palais de la découverte l'a invité à donner une conférence sur l'utilisation des venins en thérapeutique ainsi que sur les différences entre l'envenimation dans un pays comme la France et en Afrique. Il répond aux questions de M-Soigner.

par Laurent Joyeux.

LaurentJoyeux

DRJPChippauxDr Chippaux, en quoi consiste votre travail ?

De l'identification des espèces aux réactions de l'homme à la morsure, mon travail considère l'ensemble du processus de la rencontre entre l'animal et l'homme en fonction de leurs comportements et activités réciproques : écologie, territoire, épidémiologie, fréquence et gravité des morsures, dosage des quantités de venin injecté et prise en charge des blessés.
Dans les pays en développement, la moitié des personnes mordues vont à l'hôpital, l'autre moitié se tourne vers la médecine traditionnelle qui utilise des plantes efficaces pour calmer la douleur, diminuer les nécroses ou neutraliser la toxicité du venin. Des résultats mineurs car 50 % des morsures ne sont pas, ou faiblement, venimeuses et les plantes sont sans effet sur une morsure sérieuse. En France, la proportion de patients qui va à l’hôpital est nettement plus importante même si beaucoup ne souffrent pas d’envenimation : les fameuses « morsures blanches Â».

Quelles relations établit-on avec ces animaux ?

Les sentiments évoluent. Il y a une crainte naturelle et des décharges d'adrénaline mais quand on les étudie, on finit par s'attacher à ces bêtes belles et fascinantes, à leur mode de vie, à l'action des venins. Par habitude on peut devenir imprudent et risquer l'accident.

Y a-t-il des précautions spécifiques pour une exposition comme « Poison Â» en cours au Palais de la découverte* ?

Dans le cadre de l'exposition « Poison Â» au Palais de la découverte, les cages sont dotées de double vitrage et sont conformes à des normes de sécurité très strictes pour éviter toute fuite ; par ailleurs, une équipe médicale sur les lieux est en connexion avec l'hôpital d'instruction des armées Bégin où sont conservés les antivenins de tous les animaux exposés.

 Visionnez l'interview du Dr Jean-Philippe Chippaux du Centre de recherche translationnelle de l'Institut Pasteur.

Quelles sont les personnes concernées par ces antivenins ?

Le premier centre opérationnel de stockage des antivenins pour serpents exotiques a été le centre antipoison d’Angers, puis celui de Marseille, ensuite Lyon et enfin Paris où nous avons choisi l’hôpital Bégin (en raison de leurs compétences acquises en Afrique aussi bien dans les hôpitaux civils que lors des opérations extérieures), et non le Centre antipoison de Paris qui n’a pas souhaité faire partie du réseau… La Banque de sérums antivenimeux ou BSA (https://www.banque-antivenins.fr/) a été créée pour les propriétaires de serpents venimeux exotiques, les « nouveaux animaux de compagnie Â» ou NAC. Le Service de santé des armées bénéficie d’un autre réseau exclusivement militaire pour les soldats mordus en mission lointaine.

Certains venins de serpent associent 300 protéines différentes, chacune ayant une activité très spécialisée. Les pharmacologistes étudient ces structures moléculaires complexes et s'intéressent à l'effet du venin sur les processus cellulaires et thérapeutiques.

Comment se passe la recherche sur ces substances toxiques ?

On distingue les poisons des venins. Les poisons se rattachent aux plantes et aux minéraux. Ils ont des structures moléculaires simples et relèvent de la chimie organique. Les venins, d'origine strictement animale, sont des mélanges très complexes de protéines. Ils ont des activités beaucoup plus fines et ciblées. Certains venins de serpent associent 300 protéines différentes, chacune ayant une activité très spécialisée. Les pharmacologistes étudient ces structures moléculaires complexes et s'intéressent à l'effet du venin sur les processus cellulaires et thérapeutiques. Ils récupèrent les substances, les isolent et recherchent celles qui pourront antagoniser les venins avant d'essayer de les reproduire.

En Afrique subsaharienne,  il y a 1 million d'envenimations chaque année. En France : 250.

Et la fabrication des antivenins ?

Sur 2 500 espèces de serpents, 400 sont venimeuses sans être pour autant mortelles. Certaines espèces rares, pour lesquelles nous avons moins d'expérience, deviennent plus fréquentes pour des raisons écologiques. Très coûteuse, la fabrication des antivenins consiste à injecter du venin à un animal puis à récupérer ses anticorps pour les fractionner et les purifier. Une opération difficile à réaliser sur le plan industriel qui explique pourquoi les fabricants limitent la fabrication à ce qui va se vendre et générer un retour sur investissement. Par ailleurs certains antivenins sont fabriqués en Inde à partir de venins de serpents indiens et sont donc non pertinents pour l’Afrique subsaharienne où il y a 1 million d'envenimations chaque année. De plus, la purification des anticorps est souvent mal faite, ce qui les rend dangereux parce que mal tolérés.

On extrait des jolies petites grenouilles bleues de la famille des dendrobates une substance 200 fois plus puissantes que la morphine

 

Et les antivenins en France métropolitaine ?

Il y a chaque année 250 cas d’envenimations par serpent en France. Nos médecins sont bien formés et bien équipés en laboratoires, en médicaments et en services de réanimation. Toutefois le laboratoire Sanofi Pasteur qui fabriquait les antivenins a arrêté de les produire et le stock de doses restant doit être géré prudemment. Il est probablement suffisant pour l'année 2019 mais il n'y aura plus de produit disponible en 2020 et il faut 18 mois pour le fabriquer. Deux laboratoires étrangers, un Mexicain et un Britannique, se sont engagés à le produire pour l'Europe dans un délai raisonnable.

Poisons et venins au service de la santé

Parmi la trentaine d’espèces présentées dans l’exposition, sur les 4 900 espèces qui intéressent les pharmacologistes, de nombreuses présentent de l’intérêt pour la recherche médicale et sont étudiées en laboratoire. Par exemple on extrait des jolies petites grenouilles bleues de la famille des dendrobates une substance 200 fois plus puissantes que la morphine. Elle pourrait servir d’analgésique tout comme les mambalgines, deux protéines découvertes dans le venin du mamba noir. Le venin d’un scorpion cubain permet quant à lui de détruire sélectivement des cellules cancéreuses. Et que dire de la rainette singe dont le venin a des propriétés bactéricides, mutagène et agglutinante ?

* « Poison Â», Palais de la découverte, jusqu'au 11 août.

 

par Laurent Joyeux