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Pas encore édité votre génome ?

L’édition de génome est une technique de laboratoire dont les faibles coûts, la facilité d’usage et les possibilités vertigineuse ont donné un essor inédit à la communauté des biohackers.

Par Maël Lemoine.

MaelLemoine

 

Biohackers - Génome - CRISPR-Cas9

 

Il souffre d’une intolérance inédite aux rayons du soleil depuis son enfance. A l’âge de 43 ans, Malakkar Vohryzek lance un appel aux scientifiques pour éditer son génome. L’anomalie génétique dont ce Californien est porteur lui fait développer très rapidement des nævi à chaque fois qu’il s’expose. Il doit alors les faire retirer – ou les cautériser lui-même – avant que l’un d’entre eux ne tourne au mélanome. L’homme, qui vit dans la peur constante d’un cancer fatal, a lancé récemment un appel à la communauté des biohackers, ces pirates de la biologie qui expérimentent de manière sauvage les interventions biologiques et médicales les plus risquées sur leur propre corps avant d’en modifier le fonctionnement. Ayant appris qu’une espèce de tardigrade, cet étonnant micro-organisme capable de survivre aux conditions les plus extrêmes, porte un gène baptisé Dsup capable de réparer les dommages que les rayons X infligent à son génome, Malakkar voudrait qu’on intègre ce gène à son propre génome. Il se dit conscient des risques. Mais il n’a rien à perdre. D’ailleurs, soutient-il, le gène a déjà été intégré au génome de cellules humaines in vitro. Avec succès.

Qu’est-ce que l’édition de génome et que peut réellement cette technique qu’on appelle CRISPR-Cas9 ? CRISPR-Cas est à l’origine un système de défense des bactéries contre les virus qui les agressent : CRISPR est une forme de bibliothèque d’ADN dans laquelle la bactérie conserve des motifs de ses agresseurs pour les reconnaître à nouveau, et Cas est une famille de protéines capables de se servir de l’un de ces motifs pour le repérer sur l’agresseur et découper celui-ci. L’une de ces protéines, Cas9, a été modifiée pour un usage plus commode dans les techniques d’édition de génome. Pour faire court : Cas9 est maintenant utilisée pour supprimer ou remplacer une séquence d’ADN avec une précision inédite. Cette technique a été utilisée à d’innombrables reprise sur les organismes les plus divers. Elle est désormais fiable et bien maîtrisée. Néanmoins, les mythes auxquels elle donne naissance dépassent bien souvent la réalité de la technique… et de ses alternatives.

Disponible sous 24 à 48h

Un système opérationnel d’édition de génome peut être commandé et livré sous 24 à 48 heures. Les clients sont toujours, ou presque, des laboratoires de recherche institutionnels. L’offre comprend des systèmes d’édition développés par des compagnies, publiques ou privées, pour éviter les effets « hors cible », comprenez : les mutations non intentionnelles aussi induites par Cas9.

Le système est constitué de Cas9 et d’un « ANR guide » qui permet au complexe de repérer l’endroit où le brin d’ADN doit être coupé. L’usage quotidien n’est pas aussi sulfureux que la grande presse peut le suggérer en rapportant les pratiques du biohacking ou les promesses de thérapie génique. Il s’agit souvent de simplement marquer une protéine spécifique pour la rendre fluorescente et ainsi pouvoir la tracer dans la cellule, ou bien de procéder à un knock-out ou à une activation de gène, afin d’en établir l’implication dans le fonctionnement de la cellule.

L’édition de nouvelle génération

Comme n’importe quelle technique, l’édition de génome basée sur CRISPR-Cas9 a ses limites, notamment ces effets hors cibles, mais aussi, quelques difficultés de manipulation. Son avantage majeur est sa simplicité et son coût modique. D’autres techniques, plus onéreuses et plus avancés, sont disponibles sur le marché, comme les ZFN de la société Sangamo. Disponibles sous quinzaine, ces protéines chimériques, qui tiennent leur nom des deux « doigts » de zinc qui les caractérisent, sont à la fois plus maniables et plus précises. Il faut cependant en commander la manufacture à la société, qui détient le monopole de la technique : rien à voir avec le do-it-yourself qui auréole Cas9 et en a fait le succès populaire que l’on sait.

Recombinetics, une autre société américaine basée dans le Minnesota, a développé TALENs, un module qui a de meilleures chances de s’attacher à sa cible ADN. Les « meganucléases » sont la spécialité de Precision Biosciences, société basée en Caroline du Nord : 100 jours à la production, mais une précision incomparable. D’autres techniques, comme les recombinases site-spécifique, permettent de s’affranchir des aléas de la recombinaison par la cellule hôte elle-même – en effet, ce que Cas9 coupe est ensuite réparé par le système de maintenance interne du noyau de la cellule ciblée. Parfaitement. Ou pas…

Il existe également des techniques dérivées de Cas9 qui ne coupent pas l’ADN mais qui activent ou répriment la transcription, mimant ainsi la régulation génétique « naturelle » de la cellule par des mécanismes épigénétiques, sans « éditer » le génome grâce à des délétions-insertions.

Le biohacking est populaire aux Etats-Unis, l’Etat de naissance du transhumanisme. Suffisamment pour inquiéter, à juste titre, le reste du monde, tant l’influence de cette nouvelle culture grandit… même en France.


Des applications controversées

Le système d’édition du génome basé sur TALENs a été utilisé pour développer des vaches sans cornes – le but étant d’économiser du temps et des ressources pour décorner les vaches d’élevage. On est loin des essais de thérapie génique basés sur CRISPR pour soigner certaines formes congénitales de cécité. Mais il n’y a pas de limites aux applications que l’on peut imaginer pour ces techniques révolutionnaires.

Un enjeu important est en effet le « multiplexing », c’est-à-dire l’édition simultanée de plusieurs gènes impliqués ensemble dans un effet que l’on souhaite altérer ou introduire. Cela peut prendre en effet plusieurs cibles pour construire un système efficace de résistance à un pathogène pour une plante, par exemple.

Tous biohackers ?

C’est une erreur souvent commise dans les débats publics, notamment sur les OGM, de ne pas entrer dans le détail des techniques utilisées ou développées. Il est aussi irresponsable de tout rejeter que de tout accepter en bloc, sur la base d’exemples aussi spectaculaires que le biohacking.

En mai 2018, Aaron Traywick, figure de proue du mouvement des biohackers, a été retrouvé mort dans son spa, et les spéculations sont allées bon train sur la cause de sa mort. Quelques trois mois plus tôt en effet, le fantasque jeune homme s’était injecté en direct un traitement contre l’herpès développé par sa propre entreprise. La véritable cause de sa mort, révélée à l’autopsie quelques semaines plus tard, était probablement beaucoup plus banale. Des traces de kétamine ont été retrouvées dans son organisme. Cet anesthésiant, parfois utilisé pour des usages récréatifs et récemment mis sur le marché comme antidépresseur, aura provoqué l’assoupissement et la mort par noyade.

Cette fin d’histoire en queue de poisson n’a guère intéressé la grande presse. Le grand public retiendra sans doute que le biohacking est une pratique dangereuse, et que Traywick en est mort. C’est effectivement une pratique dangereuse. Mais il n’en est pas mort. Le plus probable est que le traitement « révolutionnaire » n’a pas marché

Interdire ?

Quant à Vohryzek, cet homme qui ne supportait pas le soleil, il pose un cas de conscience délicat. Il est peut-être le seul cas au monde d’une maladie qui n’intéresse personne. Ce profane a tiré les conséquences aventureuses de ses propres lectures, et semble n’avoir pas conscience de la série d’obstacles techniques qui se dressent sur la route d’une thérapie génique systémique. Sans parler des sources d’effets en cascade qui pourraient n’être pas observés dans une expérience in vitro, mais apparaîtraient in vivo. Le plus probable est, sans doute, que cette thérapie risquée n’ait aucun effet observable. Le simple fait qu’il soit prêt à prendre le risque maximum – mourir de cette expérience inédite de manipulation d’un organisme humain – pour un gain incertain, ne suffit-il pas, d’une certaine manière, à légitimer l’essai ? La loi californienne en a décidé autrement. Ces applications sauvages ont été purement et simplement interdites. Le biohacking est populaire dans l’Etat de naissance du transhumanisme. Suffisamment pour inquiéter, à juste titre, le reste du monde, tant l’influence de cette nouvelle culture grandit… même en France.

par Maël Lemoine