L’intelligence artificielle à la rescousse des urgences

Amélioration de l’accès aux soins, renforcement de la sécurité, réduction des coûts… L’intelligence artificielle est-elle en train de changer le visage de la médecine d’urgence ?

par Carole Ivaldi.

Carole Ivaldi

Visionnez l'interview du Dr Agnès Ricard-Hibon (SFMU) et David Gruson membre du comité de direction de la chaire Santé de Sciences po et de l'initiative Ethik IA (Congrés 2019 Médecine d'urgence)

Comme le rappelle le Dr Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence (SFMU), « les urgences sont pionnières dans l’utilisation de la télémédecine puisque la régulation médicale utilise le téléphone, plus ancienne technique de la télémédecine. Cela va continuer à beaucoup se développer avec la vidéoconsultation. »

L’IA pour une meilleure gestion des flux de patients dans la régulation médicale

« Dans un futur proche, poursuit le Dr Ricard-Hibon, une aide à la prise d’appels par les assistants de régulation médicale (ARM) visant à mieux qualifier l’appel (degré de gravité) et mieux l’orienter, devrait voir le jour. Ce logiciel d’aide basé sur l’IA devrait ainsi aider à mieux faire le tri entre les patients qui relèvent de la médecine d’urgence et ceux qui dépendent de la médecine générale. » Cette étape sera fondamentale car elle permettra de réduire les temps d’attente aux urgences et par conséquent de sauver davantage de vies.

L’IA, une aide au diagnostique

Le Dr François Braun, président du Samu-Urgences de France, cite avec enthousiasme une start-up danoise qui a expérimenté avec succès Corti (1), une IA entraînée à détecter les arrêts cardiaques lors des appels aux urgences-centre15. L’IA qui repère certains mots et sons du langage non verbal, parvient à identifier plus rapidement un arrêt cardiaque que les ARM, et à guider pas à pas la personne au téléphone sur les gestes essentiels à accomplir avant l’arrivée des secours. L’IA pourrait repérer 93 % des crises cardiaques, contre 73 % pour les ARM. Certaines villes européennes devraient pourvoir l’utiliser prochainement.

Concernant l’avancée du big data dans le domaine de la santé et des urgences en particulier, le registre eMUST recueillant des données de patients ayant présenté un infarctus du myocarde, a remporté l’appel d’offre du Health data hub. C’est, selon le Dr Ricard Hibon, « une bonne nouvelle, car les données de ces patients, une fois analysées, pourraient améliorer la rapidité de la prise en charge et de l’orientation du patient, ce qui est vital pour les arrêts cardiaques. »

La réalité virtuelle pour lutter contre la douleur

Le service des urgences de l’hôpital Saint-Joseph (Paris, XIVe) fait figure de pionnier avec l’achat d’une licence du programme Healthy mind, dont le concept est d’utiliser la réalité virtuelle pour soulager la douleur et l’anxiété du patient aux urgences. A l’aide d’un casque adapté à la réalité virtuelle, le patient est plongé par des stimuli auditifs et visuels dans un environnement apaisant de son choix. Pour le Dr Oliver Ganasia, chef de service, « dans dix ans, la réalité virtuelle sera une pratique commune dans les hôpitaux. »


Deux types d’intelligences artificielles en médecine

→ IA, « branche pratique » : de la robotique à l’homme augmenté

Les nouvelles technologies révolutionnent également le domaine du handicap avec les exosquelettes qui permettent aux personnes myopathes et paraplégiques de pouvoir envisager une nouvelle mobilité de leurs membres. Le secteur des prothèses d’organes n’est pas en reste : tandis qu’elles évoluent vers une miniaturisation, certains organes greffés – comme le cœur – peuvent être artificiels.

« Pour les attelles, l’impression 3D a aussi changé la donne », explique le Dr Depil Duval, chef de service des urgences à l’hôpital d’Evreux. « Avant, il fallait trois jours pour obtenir une attelle de pouce. Aujourd’hui, grâce à l’impression 3D, il nous faut 20 minutes, et les coûts sont moins élevés ! Les drones vont également être amenés à jouer un rôle important, que ce soit en cas d’arrêt cardiaque, avec le transport de défibrillateurs, par exemple, ou pour le transport de traitements urgents. Cependant, il faut penser le pour et le contre de ces nouvelles technologies. Le droit aérien existe, il doit être respecté. Et puis le risque zéro n’existant pas, il faut considérer la possibilité qu’un drone puisse un jour vous tomber sur la tête ! Enfin, il faut absolument modifier notre façon de travailler, en intégrant l’IA. Et surtout, il faut mieux préparer nos étudiants à intégrer les nouvelles technologies dans leurs pratiques et à penser autrement. Nous sommes restés à Laennec dans notre manière de former, et c’est un véritable frein ! »

→ IA, « branche virtuelle » : pour une meilleure gestion de l’amont et de l’aval

Dès réception des appels par les ARM, l’IA peut optimiser les données des transports sanitaires disponibles les plus proches de la victime grâce à la géolocalisation et à une  réutilisation optimale de la ressource. Ensuite, l’IA peut constituer une aide précieuse à l’anticipation dans l’insertion des patients non programmés à l’hôpital.

En traumatologie et en polytraumatologie, la combinaison d’outils d’apprentissage basés sur le machine learning avec l’humain va être à l’origine de recommandations revisitées. Face au cas d’un enfant victime d’un traumatisme crânien, par exemple, et après lecture du dossier médical informatisé, une recommandation sera faite de procéder à un scanner, et s’il est préférable de se rendre à un trauma center plutôt qu’à l’hôpital généraliste le plus proche. La machine est plus rapide et plus fiable dans la prédiction que l’homme. On peut aussi avoir une prédiction d’un choc hémorragique et agir en fonction de cette donnée en amont.

Une nouvelle expérimentation mise en place en 2019 pour un an aux urgences du CHU d’Amiens-Picardie teste les avantages qu’apporte la mise en place d’une IA spécialisée dans la gestion de lits. L’algorithme de cette IA est en mesure d’anticiper dès l’arrivée d’un patient aux urgences s’il va être hospitalisé ou pas par la suite. Un second algorithme est ensuite chargé de prédire le nombre global d’hospitalisations et la durée de séjour, ceci pour décharger le soignant qui passe aujourd’hui un temps croissant à trouver un lit d’hospitalisation en aval pour son malade des urgences, au lieu de se consacrer aux soins.
Enfin, la réalité touche presque la science fiction avec les résultats d’une étude britannique (2) qui a récemment montré que l’IA était davantage en mesure d’anticiper avec précision si un patient pourrait avoir besoin de soins d’urgence dans un proche avenir que les meilleurs modèles statistiques traditionnels. Cette avancée pourrait permettre aux équipes soignantes de procéder à certains examens, puis d’être proactifs dans les soins dispensés au patient, ceci afin de diminuer le nombre d’admissions aux urgences.

Notes
(1)    https://www.youtube.com/watch?v=DfeDjtAQKRc
(2)    https://journals.plos.org/plosmedicine/article?id=10.1371/journal.pmed.1002695

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