Interview

Santé numérique : la France doit donner un coup de collier pour rattraper son retard

En avril 2016, l’opérateur de télécommunication historique Orange a créé une unité dédiée à la santé : Orange Healthcare. Entretien avec son directeur général, Elie Lobel, sur l’avenir de la santé numérique en France.


Selon vous, la France est-elle un pays pionnier dans le domaine de la santé numérique ?


Elie Lobel : C’est partiellement vrai. En tout cas, la France était partie avec une bonne avance quand elle a lancé le premier programme national de dossier médical personnel, il y a dix ans. Malheureusement, souvent dans notre pays, on a des bonnes idées mais on met du temps à les mettre en œuvre. Aujourd’hui, nous sommes rattrapés voire largement dépassés par des pays comme le Danemark, la Suède ou la Grande-Bretagne. Aux États-Unis, on réalise désormais un milliard de prescriptions électroniques par an, alors que chez nous, on est encore à zéro. Il va falloir donner un gros coup de collier dans les prochaines années pour pouvoir revenir dans le peloton de tête.


Quels sont les enjeux de la e-santé pour notre pays aujourd’hui ?


E. L : Il y a tout d’abord un enjeu de santé publique. Je suis intimement convaincu que la e-santé ne va cesser d’apporter des outils qui pourront aider à résoudre les problèmes liés à l’accès aux soins, au vieillissement de la population et à la prise en charge des pathologies chroniques. Le retard que l’on est en train de prendre a nécessairement un impact sur la qualité des soins. En outre, il y a également un enjeu industriel car les pays qui font la course en tête permettent à leurs innovateurs de prendre de l’avance dans la compétition internationale.


 Comment ces pays créent-ils un environnement favorable ?


E. L : Cela passe souvent par la mise en place de programmes de e-santé au niveau national qui permettent aux industriels de mettre au point des solutions de façon durable. Ce sont des expériences qu’ils pourront valoriser ensuite sur d’autres marchés, à l’international.


Les professionnels de santé sont-ils moteurs pour le développement de la e-santé ?


E. L : Dans tous les pays, on constate que les professionnels de santé sont plutôt méfiants. Mais on peut tout à fait le comprendre car ils ont une responsabilité professionnelle importante et ils gèrent des situations qui peuvent être vitales. Les médecins sont d’accord pour mettre en œuvre une solution à partir du moment où il y a une démonstration affirmée de la valeur de celle-ci. Je considère que ce n’est pas au professionnel de santé d’assumer la prise de risque liée à une nouvelle technologie mais que c’est au système de santé de favoriser le développement de nouvelles technologies. Un des freins de notre système est qu’il est inséré entre une assurance maladie obligatoire et des assurances maladies complémentaires. Ce schéma ne pousse pas assez à l’innovation car on a tendance à surévaluer les risques au détriment des bénéfices. En France, l’Assurance maladie est en train de lancer quelques initiatives sur le diabète ou l’asthme mais on est encore loin du compte.


T. P : Quels sont produits et les services que propose Orange Healthcare ?


E. L. : Orange Healthcare est une unité de Orange qui a été créée en avril 2016 et qui s’appuie sur plus de dix ans d’expérience du groupe dans le domaine de la santé. Une de nos toutes premières expériences a été l’opération Lindbergh, une des premières opérations de téléchirurgie entre Strasbourg et New York en septembre 2011. Nous sommes d’abord des fournisseurs de solutions technologiques au service de la santé. Nous avons d’ailleurs dans nos équipes des médecins, des infirmiers, des diététiciens… Mais avant cela, c’est notre savoir-faire historique d’opérateur de télécommunication qui nous permet de proposer une offre solide en matière de connectivité. Orange Healthcare peut également s’appuyer sur le savoir-faire de la filiale d’Orange dédié à la cyberdéfense pour offrir une expertise en matière de cybersécurité des données de santé. Ainsi l’atout d’Orange est d’être un opérateur de télécommunication capable de détecter très en amont tous les comportements anormaux dans les réseaux et de pouvoir ainsi anticiper les attaques.


 On a assisté récemment à une attaque informatique d’ampleur mondiale qui a notamment touché les hôpitaux britanniques. Le risque est-il aussi fort dans les hôpitaux français ?


E. L. : La cybersécurité est aujourd’hui un enjeu majeur pour les établissements de santé. Il faut savoir qu’un groupement hospitalier de territoire comme celui de Troyes subit en moyenne 600 attaques informatiques par jour. Évidemment il s’agit essentiellement d’attaques automatiques provoquées par des robots qui explorent les failles informatiques dans les systèmes de manière automatique. Néanmoins, si un système de cyberdéfense n’est pas assez performant, il suffit d’une attaque réussie pour que cela se transforme en catastrophe. Les pirates informatiques savent que les hôpitaux ont souvent sous-investi dans le domaine de la cybersécurité. Quand des hackers essayent de s’introduire dans un système d’information hospitalier, ce n’est pas pour voler des données des patients et essayer de les revendre ensuite. En réalité, ils préfèrent crypter tout le système d’information d’un hôpital pour que plus rien ne fonctionne dans l’établissement, ce qui leur permet ensuite d’exiger une rançon pour tout débloquer. Les directeurs d’établissement n’hésitent en général pas très longtemps. Le ministère de la Santé a d’ailleurs envoyé une circulaire à tous les hôpitaux à la fin de l’année dernière pour les encourager à investir davantage dans la sécurité informatique.


La mise en place des groupements hospitaliers de territoire (GHT), qui prévoit notamment une mutualisation des systèmes d’information, aura-t-elle un impact sur le niveau d’informatisation des établissements ?


E. L. : Oui. Pour nous c’est un enjeu clé car cela va faire monter le niveau d’exigence et de compétences des hôpitaux publics en matière d’informatique. Ils vont disposer des compétences et de ressources significatives. C’est une évolution majeure que nous souhaitons accompagner. Dans le cadre des GHT, les petits hôpitaux vont pouvoir bénéficier des moyens technologiques au même niveau que l’établissement de référence grâce à la visioconférence et la transmission de données de manière sécurisée.


Votre offre s’adresse-t-elle uniquement aux hôpitaux ?


E. L. : Notre premier marché est l’hôpital mais nous travaillons aussi au service de l’industrie pharmaceutique, de l’industrie des dispositifs médicaux, des grandes institutions de santé publiques ainsi que des assureurs. Nous sommes d’ailleurs hébergeur agréé depuis 2010, ce qui nous a permis de développer cette offre très rapidement. Aujourd’hui, notre offre est en train d’évoluer pour pouvoir toujours répondre aux gros hôpitaux avec des besoins d’hébergement importants mais aussi aux acteurs plus agiles qui ont besoin de solutions plus flexibles et offrent des capacités d’investissements plus légères.


Comment voyez-vous le développement des objets connectés ?


E. L : Orange gère 12 millions d’objets connectés dans le monde, dans tous les secteurs. Dans le domaine de la santé, il faut bien faire la différence entre les objets qui relèvent du bien-être et les dispositifs médicaux qui sont embarqués dans un protocole médical. Pour le suivi de maladies chroniques comme l’insuffisance cardiaque ou respiratoire et le diabète, des objets connectés, dont certains sont relativement simples comme les tensiomètres ou les balances, permettent de suivre des patients à domicile de façon fiable et sécurisée. Nous travaillons également au développement d’applications mobiles car nous avons chez Orange des équipes de développeurs très pointus capables de mettre au point des applications parfaitement sécurisées. Nous développons par exemple actuellement une application sur le parcours de soins en chirurgie ambulatoire que nous avons déjà testée dans une clinique à Nantes. Dans ce domaine, notre atout est également de pouvoir proposer notre savoir-faire en matière d’analyse de données.


Comment mettez-vous en avant l’innovation ?


E. L. : L’innovation est très importante au sein du groupe Orange. Nous pouvons nous appuyer sur toutes les capacités de R & D du groupe dans les différents secteurs. Le groupe travaille également beaucoup en « open innovation », c’est-à-dire en partenariat avec des entreprises innovantes que nous pouvons accélérer. C’est toute cette démarche que nous souhaitons mettre au service du secteur de la santé. 


SOURCE : 1ere publication - Tout Prévoir — juin-juillet-août 2017 n° 479

La nouvelle base de données de santé publique sur les rails


Depuis début avril, le Système national des données de santé (SNDS) est en train de se mettre en place. En effet, la convention constitutive du nouvel Institut des données de santé (INDS) qui en a la responsabilité a été publiée au Journal officiel le 23 avril dernier. « L’INDS devient notamment le guichet unique par lequel transiteront toutes les demandes d’accès sur projets à des bases de données déjà constituées, notamment le SNDS », précise cette convention. Le SNDS rassemble à la fois toutes les données hospitalières (base PMSI), les données de remboursement de l’Assurance maladie (base Sniiram), les causes médicales de décès (base du CépiDC de l’Inserm), les données relatives au handicap et un échantillon de données en provenance des organismes d’assurance maladie complémentaire. L’INDS devra également faciliter la mise à disposition d’échantillons ou de jeux de données agrégées. « Cette base de données vise à améliorer les politiques de santé publique, l’information des patients, et faire progresser la recherche médicale », a rappelé le ministère de la Santé dans un communiqué. L’INDS comprend, pour l’instant, 15 membres fondateurs dont l’État, les caisses d’assurance maladie obligatoire et complémentaires, le Conseil de l’Ordre des médecins, l’Inserm, l’Union nationale des professionnels de santé ou la nouvelle Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé (Unaass).
Cependant, il a déjà un petit caillou dans sa chaussure : alors que les représentants des industries de santé (Snitem, Leem et France eHealth Tech) ont accepté d’être membres constitutifs de l’INDS, les quatre fédérations hospitalières ont claqué la porte. En effet, la FHF, la FHP, la Féhap et Unicancer ont souligné que « des restrictions à l’accès aux données de santé sont imposées aux fédérations hospitalières » et que « la création de l’INDS ne peut être vue que comme une restriction excessive de l’accès à ces données par les services de l’État dans le but d’en contrôler l’usage et ses utilisateurs ». En effet, certains organismes ont un accès permanent aux bases de données, notamment l’État, les grandes agences sanitaires et l’Assurance maladie, tandis que d’autres ont un accès limité à un échantillon au centième de la population, en particulier les équipes de recherche des CHU, de l’Inserm et des centres de lutte contre le cancer.
D’autres organismes, publics ou privés, à but lucratif ou non lucratif, auront accès aux bases à condition que leurs recherches, études ou évaluations aient un caractère d’intérêt public. La loi de janvier 2016 a en effet instamment précisé qu’il y a deux finalités interdites dans l’usage des données disponibles dans le SNDS : la promotion commerciale de produits de santé et la modulation des contrats d’assurance. En savoir plus : www.snds.gouv.fr

 

par Véronique hunsinger