Dorothye-Shoes une fabuliste atemporelle…

Quand l’homme veut comprendre, il va vers la science, de quoi a-t-il besoin quand il se tourne vers l’art ? Rencontre avec une artiste plurielle, qui vient d’exposer à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière.


Théâtre, écriture, mise en scène, photographie… aucun doute, les fées se sont penchées sur le berceau d’églantine, qui a choisi le nom d’artiste «Dorothy-Shoes» en référence au Magicien d’Oz. Tout à la fois sombres, poétiques et burlesques, ses photos ont voyagé partout dans le monde, fait la Une de Libération, et reçu de nombreux prix. La jeune femme a déjà derrière elle une œuvre puissante composée de séries de photos réalisées en prison, dans les milieux autistiques ou gitans. En 2008, la veille de son trente-troisième anniversaire, elle a mis un nom sur la cause de sa lassitude et de ses fourmillements incessants : sclérose en plaques. Un moment anéantie, elle s’est confrontée à ses propres angoisses et a conçu « ColèresS planquées », anagramme de sclérose en plaques. Elle a mis en scène des femmes de son entourage pour évoquer ses symptômes, ses peurs et sa vision intime de cette maladie invisible, imprévisible et sourde, qui affecte sa vie dans tous ses aspects privés et professionnels, et qu’elle défie bravement : « Montre-toi pour que l’on me croie ! » 


Laurent Joyeux : Comment est née l’idée de ColèresS planquées ?


Dorothy-Shoes : La sclérose en plaques est une maladie invisible, dite incurable, qui génère beaucoup de stress et d’angoisse. Les proches ne réalisent pas toujours à quel point vous êtes fatiguée. Assez rapidement je me suis dit « Tu sais ce que tu as à faire. Parler des symptômes, des peurs liées aux facteurs dégénératifs ». 


L. J. : Qui sont ces femmes sur vos photos ?


D. S. : Des femmes de mon entourage, plus ou moins proches. Cette série de photos a été exposée à la Triennale d’Art Contemporain de Vendôme puis lors des regards croisés France-Japon au festival Phot’Aix et à l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière. Nous avons organisé des visites commentées de l’exposition. Il y avait des malades avec leurs familles. C’était un exercice périlleux. Un équilibre intérieur à trouver : tout à la fois une immersion en maladie et une prise de recul nécessaire.


L. J. : La scénographie est importante ?


D. S. : J’ai commencé par le théâtre, seule sur scène. Puis je suis passée à la mise en scène et à la photographie. J’aime me cacher derrière mes images.


Je fabrique de toutes pièces des histoires vraies en créant des images, des mises en scènes. Parfois l’idée est inspirée par ce que vit le modèle. Comme j’utilise des cadrages assez serrés, la texture et la couleur sont très importantes. Il suffit d’un accessoire, d’un élément tracé à la craie pour ouvrir la porte du surréalisme et de l’imaginaire. Je préfère travailler dans la rue que dans un studio, et les visages qui « dégagent quelque chose » aux beautés plastiques.


L. J. : Une artiste indépendante ?


D. S. : Plutôt une artiste punk qui invente son art sans modèle ni pré-requis culturel. Je ne connais rien à la technique et j’aime faire beaucoup avec très peu. Le vide est une chance, un bel espace à remplir. Je déteste l’Art «recette» et les ronds de jambe auprès des institutions.


L. J. : Vous animez des ateliers ?


D. S. : J’ai suivi une formation d’art-thérapie pour pouvoir travailler en milieu carcéral et hospitalier. Entre 2008 et 2010, et plus récemment en 2016, j’ai animé plusieurs stages de photo dans les prisons, dans le cadre du service pénitentiaire d’insertion et de probation. Un travail avec des jeunes autour de leur perspective de libération. Pour conclure ces ateliers, ils ont dessiné leur autoportrait imaginé le Jour J.


En 2010, la violence de l’actualité sur les gens du voyage m’a émue. Je suis partie à la rencontre de la communauté gitane qui a inspiré la série Django du voyage, rencontre en terre nomade, dont les éditions du Rouergue ont tiré un livre.


Pour le projet « l’art et la manière » , j’ai travaillé avec un groupe d’handicapés mentaux et moteurs, et sur leur relation forte avec leurs éducatrices spécialisées.

L. J. : Comment vivez-vous votre maladie ?


D. S. : La sclérose en plaques est une maladie bizarre. Elle est difficile à vivre aussi pour les conjoints, la famille, et les missions pro-fessionnelles en pâtissent… 


Pourtant je me considère assez chanceuse car, en tant qu’artiste, j’ai la possibilité de m’exprimer, de transformer la maladie en matériau. Et je me dis aussi que cette maladie est grave mais pas mortelle…


L. J. : On vous a reproché la noirceur de certaines photos


D. S. : Toutes ces photos sont des autoportraits. C’est moi que je mets en scène à travers ces femmes et ces situations…


L. J. : Quel avenir pour ColèresS planquées ?


D. S. : Un livre doit paraître bientôt chez Actes Sud. Je suis en train de rédiger des textes pour accompagner les photos. ColèresS planquées poursuit son chemin… 


http://www.dorothy-shoes.com/


Le regard du médecin


Neurologue à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, Catherine Lubetzki est professeure à l’université Pierre et Marie Curie et présidente du comité médico-scientifique de l’Association pour la recherche sur la sclérose en plaques (l’ARSEP). Elle évoque le travail de Dorothy-Shoes…
« Ses photos me touchent beaucoup. Ce sont des photos de symptômes qui représentent différentes formes d’altérations provoquées par la sclérose en plaques : troubles sensitifs des membres inférieurs, troubles de la vision, de l’équilibre… elles évoquent les fourmillements, le sentiment de marcher sur du coton que j’entends à travers ce que disent les patients. Bien sûr, elles ne sont pas gaies mais elles me parlent beaucoup et traduisent parfaitement la colère et la frustration de Dorothy. Elles sont très vraies et très belles. » 


Propos tirés d’une interview diffusée le 23 février 2016 sur France Inter


L’ICM et Groupe Pasteur mutualité


Fondation privée reconnue d’utilité publique implantée au cœur de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM), créé en 2010, s’est donné pour but de comprendre et traiter les maladies du cerveau, qui touchent actuellement 1 personne sur 8 en Europe.
De dimension internationale, l’ICM réunit en un lieu unique malades, médecins et chercheurs du monde entier. Les recherches multidisciplinaires les plus innovantes sont engagées dans une course contre la montre afin de trouver des traitements et de les appliquer aux patients dans les meilleurs délais.
Douze avancées majeures sur la compréhension du cerveau ont ainsi pu voir le jour grâce aux 650 chercheurs qui composent l’Institut, ainsi que des résultats prometteurs pour de futurs traitements.
Groupe Pasteur mutualité est mécène l’ICM pour permettre aux chercheurs d’avancer plus vite dans leurs travaux.