Chiens guides et malvoyants, une relation complice

Femmes enceintes, fauteuils roulants, poussettes, déambulateurs, rayons de magasins trop élevés… La 9e Journée mondiale des mobilités et de l'accessibilité, permet chaque année de faire le point sur l'évolution des mentalités et des aménagements mis en place pour faciliter les déplacements en milieu urbain. La Fédération française des chiens guides d'aveugles (FFAC) profite de cette journée mondiale pour dresser le bilan 2018 des risques, difficultés et incivilités subis par les personnes déficientes visuelles et leurs chiens guides. Zoom sur les difficultés rencontrées par les personnes déficientes visuelles avec Séverine, malvoyante, qui est accompagnée par un chien guide.

Par Laurent Joyeux.

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Malvoyante, Séverine fait partie des 1 % de personnes malvoyantes qui vivent avec un chien guide sur plus de 200 000 personnes souffrant de déficience visuelle en France (61 000 souffrent d'une cécité complète et 146 000 d'une malvoyance profonde*). Elle habite dans la banlieue de Toulouse, et, depuis six ans, Havane partage son quotidien. Une grande complicité est née entre la jeune femme qui est conseillère en ressources humaines et le croisé Golden-labrador. Elle est devenue un membre de la famille à part entière et une aide précieuse qui répond à une trentaine d’ordres : les principales directions (monter, descendre, en haut, en bas…), mais aussi des indications plus abstraites comme boîte aux lettres, banque ou siège. « Les difficultés que je rencontre sont souvent liées au comportement des gens. Soit ils ne voient pas la canne blanche, soit ils pensent qu’on a besoin d’aide. Heureusement il y a des gens délicats qui savent proposer sans s’imposer ! En centre-ville, on me coupe souvent la route à la sortie du métro. Alors je me mets sur le côté pour laisser passer la foule qui prend les escalators. Une belle perte de temps. »

Constat positif pour les acteurs officiels…

Dans l'ensemble la situation s'est améliorée. Les organisations professionnelles, celles des chauffeurs de taxis par exemple, se sont mobilisées pour sensibiliser leurs adhérents, voire sanctionner les refus de prise en charge. De la même façon les hôtels ont élaboré des listes de conseils pour adapter leur accueil et les musées font preuve de bonne volonté.

… contrasté dans le secteur privé

Le secteur privé s'en tire moins bien ! Certains chauffeurs de VTC s'esquivent en s'apercevant que leur client est déficient visuel, des propriétaires de gîtes et de maison d'hôtes profitent d'un flou légal pour refuser la présence du chien guide : en 2018, la FFAC a répertorié 86 cas de refus dont 5 dans des cabinets de professionnels de santé.
Rappelons-le : depuis 1982, les chiens guides ont le droit d'entrer dans tous les commerces d'alimentation et depuis 1987 dans tous les lieux publics. L'interdiction d'accès est sanctionnée par une amende pouvant aller jusqu'à 450 euros.

Pour sa part, Séverine ne rencontre pas trop de problème mais elle doit beaucoup expliquer : « Havane est plutôt bien acceptée. Certaines enseignes sont plus réticentes mais, pour moi, tout s’est toujours bien fini. Je la laisse à l’entrée du magasin « Tu restes » et elle m’attend. À moins qu’elle ne décide de me retrouver dans les rayons ! Pour les gîtes et les hôtels, j’anticipe, j’explique, je demande, et les choses se passent souvent bien »

Nouveaux facteurs de risques urbains

Les évolutions de la circulation urbaine, rendent les déplacements de plus en plus dangereux et multiplient les obstacles : voies réservées aux vélos à contresens, non-respect des sens interdits, moteurs électriques de plus en plus silencieux, trottinettes laissées au milieu du trottoir… autant de facteurs qui rendent le travail du chien de plus en plus compliqué.

« À côté de mon travail, il y a des pistes cyclables et un petit coin d’herbe où je promène Havane. Je sursaute souvent à cause des trottinettes qui vont à toute allure et que je ne voie pas. Je distingue mieux les vélos, explique la jeune femme qui conclut, il faudrait également plus de caniparcs en ville pour Havane, et des balises sonores dans le métro pour que nous puissions nous orienter plus facilement. »

Monter dans le bus : toute une aventure !

Les personnes malvoyantes connaissent leurs itinéraires, comme un GPS. Le chien est une aide précieuse pour les déplacements. Pourtant les bus électriques sont une difficulté nouvelle : comment faire signe si on ne les entend pas arriver ?

chien aveugle 02 INTERIEUR

Voilà comment Séverine prend le bus :

– Il faut d’abord trouver l’arrêt. À proximité je demande « Havane, le bus ! »
– Lorsque le bus arrive, elle se lève. « Havane, montre-moi la porte ! »
– Bien positionnée en face de la porte, je composte mon ticket
– Au milieu des passagers, je lui demande « Havane, cherche le siège ! » Au début, Havane avait un endroit préféré pour moi. S’il était occupé, elle poussait le voyageur de la tête. Il a fallu lui apprendre à repérer une place libre.
– Une fois arrivée, je lui demande « La porte » pour redescendre.

Une opération de street marketing inédite

Pour sensibiliser la population aux problèmes quotidiens des personnes mal- et non-voyantes, la FFAC a lancé en juin une campagne et un jeu immersif qui proposent aux passants d'aider une personne en situation de déficience visuelle coincée dans un autobus. L'autobus stationne devant le MK2 Bibliothèque à Paris. Les passants volontaires, en suivant les indications, prennent sans le savoir le rôle de guidance et la place du chien guide auprès de son maître.

Un site dédié pour aller plus loin

Le site www.avecmonchienguide.fr complète la campagne. En plus d'un jeu de rôle, l'internaute y découvre les témoignages de personnes vivant avec des chiens guides d'aveugles. Ils racontent leurs « premières fois » : premières difficultés, premières actions et comment ces fidèles compagnons leurs permettent de repousser les limites du quotidien.

Nul doute qu'en se connaissant mieux, on se comprend mieux : venez découvrir les associations de chiens guides d’aveugle, elles font portes ouvertes chaque dernier dimanche de septembre.

* Chiffres DRESS 2005 

Une belle vie de chien

De sa naissance jusqu'à sa retraite, la FFAC veille sur le chien guide tout au long de sa vie.
Né dans un des trois centres du réseau d'élevages de la FFAC, le chiot est placé à 2 mois dans une famille d'accueil bénévole. Jusqu'à 1 an, il y apprend la propreté et les règles de base en famille et dans les lieux publics. Ses frais sont pris en charge par les écoles de chiens guides affiliées à la Fédération. Il sera remis gratuitement à une personne malvoyante âgée de 12 ans minimum qui en aura fait la demande, mais il restera la propriété de l'école de chiens guides. L’élevage et l’éducation d’un chien guide revient à 25000 €. Une commission composée d'éducateurs, d'instructeurs en locomotion et de psychologues est chargée d'estimer le niveau de motivation de la personne et de son entourage. Maître et chiens seront contrôlés une fois par an pour vérifier si le chien travaille toujours aussi bien et lui apprendre de nouveaux trajets. « J’avais l’impression que Havane me guidait moins. L’éducatrice nous a observé discrètement et m’a fait remarquer que j’anticipais trop les mouvements du chien » explique Séverine. L'âge de la retraite sonnera pour le chien entre 8 et 10 ans. Il restera le plus souvent chez son maître mais peut être pris en charge jusqu'à la fin par des bénévoles si la présence de deux chiens au domicile pose des problèmes. 

par Laurent Joyeux