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Les plateformes de rendez-vous médicaux : que du bon ?

La numérisation de notre système de santé est en marche. L’un des tournants marquants actuels est marqué par les plateformes de rendez-vous médicaux en ligne. Quels sont les points positifs et négatifs de cette petite révolution ? 

Par Carole Ivaldi 

Carole Ivaldi

Prise de RV médicaux digitalisée : un marché en plein boom

Loin de n'être l’apanage que d’une minorité de personnes férues d’internet, les sites de prise de rendez-vous médicaux constituent l’une des grandes priorités de la stratégie nationale e-santé 2022. Il y est mentionné qu’il faut « simplifier les démarches administratives des patients (admission, prise de rendez-vous en ligne, etc.) et outiller la démocratie sanitaire à l’aide d’une plateforme numérique facilitant la consultation et la participation des usagers. » (1)

Le marché de la prise de rendez-vous médicaux en ligne est en plein boom. Depuis cinq ans, une guerre acharnée sévit entre de nombreux acteurs : Doctolib, MonDocteur, PagesJaunesDoc, Rdvmedicaux, Rendez-vous Facile, KelDoc, Medicoclic, Docavenue etc. L’enjeu est de taille : 1,5 milliard de rendez-vous médicaux seraient pris chaque année en France, et 550 000 professionnels de la santé pourraient potentiellement être intéressés par ce type de services. Avec le rachat de MonDocteur par Doctolib, juillet 2018 aura sonné le glas pour une grande partie des petites entreprises de ce secteur. Depuis, Doctolib est non seulement numéro 1 en France, mais affirme même être la première plateforme de rendez-vous médicaux en ligne au monde, comptabilisant 20 millions de visites de patients par mois et 55 000 praticiens déjà abonnés.

En plus des professionnels de santé, près de la moitié des cliniques privées passeraient aujourd’hui par Doctolib, et depuis juin 2018, il faut y ajouter les 39 établissements de l’APHP.

 

1,5 milliard de rendez-vous médicaux seraient pris chaque année en France, et 550 000 professionnels de la santé pourraient potentiellement être intéressés par ce type de services

 

Comment ça marche ?

Le principe est le suivant : les sites de rendez-vous en ligne permettent au patient d’accéder aux plannings en ligne de tous les médecins abonnés à ces services et de sélectionner le créneau qui lui convient pour un RV le plus tôt et le plus près de chez lui possible. Il faut en effet renseigner la spécialité du médecin recherché, et sa localité. Ce service est gratuit pour le patient, payant pour le médecin (à partir de 109 euros par mois chez Doctolib). Ces plateformes fonctionnent 24h/24 et 7j/7. Par rapport au coût, pour le Dr Deroide, chirurgien spécialisé en chirurgie digestive et endocrinienne, PH à l'Institut hospitalier Franco-Britanique, « une consultation de second avis coûte 50 euros, tarif sécurité sociale. L’abonnement est donc rentabilisé en deux consultations, c’est gagnant-gagnant ».

Il faut souligner la simplicité d’utilisation de ces sites : il faut environ deux minutes pour trouver un rendez-vous en ligne. Si on désire annuler, on le fait d’un clic de son ordinateur, de sa tablette ou de son téléphone portable. Presque tous ces sites proposent la possibilité de l’envoi d’un SMS ou d’un mail de rappel du rendez-vous.

Les avantages des plateformes de rendez-vous médicaux en ligne

Un tel succès s’explique par de nombreux aspects positifs, autant pour les médecins que pour les patients.

  • L’offre de soins rejoint mieux la demande

Côté médecins, « c’est incroyable ce que les plateformes comme Doctolib ont apporté, déclare le Dr Deroide. L’outil numérique a su palier une défaillance totale de l’offre de prise de rendez-vous gérée par les administrations. Cela fait des années que l’ensemble des médecins des hôpitaux ou des cliniques se plaignaient en CME de la problématique de la prise de rendez-vous téléphoniques. L’interface administrative choisie en fonction de critères économiques par les administrations des établissements de santé était totalement inadaptée à la demande. C’est d’autant plus surprenant quand on pense aux millions d’appels qui ne parviennent pas à être traités, que ce soit par le Samu-centre 15 ou par d’autres structures médicales. Il fallait ajouter à ce problème les nombreux oublis ou désistements de dernière minute. Les plateformes de rendez-vous en ligne constituent dans ce cas un outil précieux d’ajustement de l’offre à la demande de soins ».

L’AP-HP estime à 17% la part des rendez-vous non-honorés. Or la fonctionnalité du SMS ou du mail de rappel automatique du rendez-vous existant sur la plupart de ces sites permettrait une réduction de 75% du taux de non-présentation des patients. « Il peut arriver que des patients annulent leur rendez-vous au dernier moment. Quoiqu’il en soit, c’est mieux qu’avant où les patients n’avaient même pas accès aux rendez-vous. De plus, la simplicité d’utilisation de ces plateformes fait que la plupart anticipent l’annulation de leur rendez-vous, ce qui constitue aussi un progrès » ajoute le Dr Deroide.

 

[en AP-HP] la fonctionnalité du SMS ou du mail de rappel automatique du rendez-vous existant sur la plupart de ces sites permettrait une réduction de 75% du taux de non-présentation des patients.

 

  • Un schéma économiquement plus rentable

La perte financière que représente des plannings de consultations non remplis est notable. Pour les médecins libéraux, ce type de service, en plus d’augmenter leur nombre de consultations par mois, permettrait également de réduire les frais liés au secrétariat de 30%, de diminuer leur charge administrative donc de libérer du temps médical. « Avec l’ouverture des plateformes, ce fut surprenant de voir cette multitude de personnes prendre rendez-vous en ligne, souligne le Dr Deroide. Qui étaient ces personnes jusque-là invisibles ?... Comment comprendre cette demande ? Est-ce la traduction d’une surconsommation de soins ou la preuve que la demande n’était pas satisfaite auparavant ? Il est difficile de savoir où est positionné le curseur entre les deux. Concrètement, aujourd’hui, les plannings sont nettement plus remplis car dès qu’un créneau se libère, il est rempli rapidement. En résumé, c’est bien pour les médecins, et bien pour les patients, surtout à l’heure de la pénurie médicale en Île-de-France. » Autre petit plus : l’une des fonctions de Doctolib permet aussi aux médecins d’adresser leurs patients à l’un de leurs confrères en un clic, que ces derniers soient abonnés ou non à cette plateforme.

  • Diminution des délais d’attente pour les patients

Côté patients, en facilitant l’accès à un médecin localisé non loin de chez soi ou de son travail, ces plateformes sont un moyen d’obtenir facilement un rendez-vous, en réduisant souvent les délais d’attente. Or le renoncement aux soins est bien souvent engendré par des délais trop longs pouvant atteindre jusqu’à six mois pour certains spécialistes. Mme Dechatre vient appuyer cette avancée : « Pour certains spécialistes, les délais d’attente sont extrêmement longs. Grâce au système où l’on est informé automatiquement par message lors d’un désistement, on réduit beaucoup ce délai. J’ai par exemple réussi à trouver un rendez-vous chez l’ophtalmo du matin pour le soir pour ma fille. », Mme Simon partage également ce constat : « en cas d’urgence comme un enfant malade, j’arrive à trouver un rendez-vous chez un médecin à côté de chez moi dans les deux heures qui suivent. Cela permet d’élargir notre réseau de médecins et de faire parfois de belles découvertes ! Cela nous donne l’impression d’être davantage acteur de notre parcours de soins qu’avant. »

  • Praticité et un gain de temps

Un avantage supplémentaire de taille, ce service est entièrement gratuit pour les utilisateurs. Audrey Simon, Parisienne mère de deux enfants utilise Doctolib depuis trois ans déjà. Elle se souvient : « J’ai commencé à utiliser Doctolib car mon médecin traitant était sur cette plateforme qu’il utilisait pour la prise de rendez-vous. J’ai tout de suite accroché pour sa facilité d’utilisation, son ergonomie. C’est pratique de pouvoir prendre un rendez-vous à toute heure du jour ou de la nuit. Cela révolutionne la prise de rendez-vous qui devient adaptée à nos vies bien remplies où l’on court toute la journée après le temps. » Le Dr Sami Houhou, médecin généraliste insiste, en tant qu’utilisateur, sur la fiabilité de ce service : « la plage de rendez-vous a été confirmée et respectée ».

Même son de cloche pour Marie-Laure Dechatre, qui figure parmis les utilisatrices pionnières de Doctolib, car l’un de ses médecins traitants y adhérait. « C’est vrai que c’est très pratique car on ne passe pas sa vie au téléphone pour obtenir un rendez-vous. Pratique aussi, le fait que Doctolib se rappelle de notre profil que l’on peut compléter avec le nom de nos enfants, de notre conjoint, et même de nos parents, ce qui permet de prendre rendez-vous pour l’un des membres de sa famille en deux ou trois clics. D’ailleurs, on se rend compte de la praticité de Doctolib lorsque les médecins n’y sont pas… C’est nettement plus compliqué de prendre rendez-vous avec eux ! »

  • Centralisation des informations pour chaque praticien

La mention de la formation, de la spécialité, de l’expertise et des différents actes pratiqués par chaque médecin sont autant d’éléments permettant de faire un choix pertinent du médecin recherché en fonction de ses besoins. Les mentions des tarifs et du secteur sont également appréciables pour les utilisateurs interviewés. Enfin la carte et les informations d’accès présentent un autre petit plus. Pour Mme Simon, « en résumé, pour chaque médecin inscrit, toutes les informations sont centralisées, ce qui permet de bien s’aiguiller et d’obtenir un rendez-vous rapidement. En comparaison, lorsqu’on appelle les hôpitaux, on s’arrache les cheveux. Après une attente interminable, le standard ne nous passe pas le bon correspondant, et on est reparti pour un tour : standard saturé, attente, mauvaise orientation… »

  • Message de rappel du rendez-vous

La possibilité d’avoir un SMS ou un mail de rappel et l’historique des rendez-vous est une avancée. Pour Mme Dechatre, « le sms, c’est bien, mais il en faudrait presque un autre une heure avant le rendez-vous. 48 h avant, ça nous laisse quand même le temps d’oublier ! ».

Dans l'offre de prise de rendez-vous via plateformes numérique certains points restent discutables

Pour commencer, seule une petite partie des médecins est référencée sur ces plateformes. L’offre proposée est donc loin d’être exhaustive. Or, le Dr Deroide souligne que le quasi monopole de la société Doctolib sur ce marché peut poser problème aux médecins qui n’y sont pas référencés… Mme Simon précise à ce propos : « J’ai l’impression que peu de psychiatres y sont inscrits. Peut-être ont-ils besoin de poser des questions spécifiques avant de donner un rendez-vous au patient ? » Le Dr Sami Houhou constate pour sa part que l’existence de ces plateformes n’a pas eu d’effet sur l’engorgement du service des urgences alors qu’elles sont aujourd’hui constituées à 80% de consultations.

  • Ni messages, ni cotation des médecins

Également déploré par la patiente utilisatrice Mme Simon : l'impossibilité de laisser un court message sur la plateforme au médecin expliquant le motif précis de son rendez-vous, et de  ne pas être invités à laisser un avis ou des notes sur les médecins référencés sur Doctolib. « C’est vraiment dommage, car les commentaires aident aussi à faire son choix. Du coup, je recherche sur d’autres sites des commentaires sur un médecin trouvé sur Doctolib, avant d’y revenir pour prendre rendez-vous… Enfin, les tarifs des praticiens ne sont pas toujours à jour, une "mauvaise surprise"  survient parfois »

Côté médecins, lorsqu’ils existent, les avis et système de cotations des médecins sur les plateformes sont un point négatif. Le Dr Deroide argumente : « certaines plateformes nous référencent sans notre accord, et proposent également des évaluations par les patients, ce qui n’est pas soutenu par l’Ordre des médecins ». Et le Dr Sami Houhou d’ajouter : « c’est le contact, la relation avec le patient qui prime. S’il y a un avis, il faut qu’il soit vérifié, ou qu’il y ait une réponse. Va-t-on bientôt choisir un médecin comme on choisit un restaurant sur le site lafourchette, en fonction des notes ou des avis laissés ? Le risque étant que l’on arrive bientôt à une marchandisation de la médecine et des médecins. A quand les réductions et offres spéciales sur les prix des consultations ? » 

 

Va-t-on bientôt choisir un médecin comme on choisit un restaurant sur le site lafourchette, en fonction des notes ou des avis laissés ?

 

  • De moins en moins de secrétaires médicales

Avec ces nouveaux outils, les postes de secrétaires médicales des médecins de ville pourraient à terme être  menacés. Le Dr Houhou remarque qu’à l’Institut hospitalier franco britannique, depuis la mise en place d’un call center, qui se caractérise par une plateforme externalisée où de nombreux standardistes prennent les rendez-vous par téléphone, il y a davantage de difficultés qu’à l’époque des secrétaires médicales : « des rendez-vous de consultations se chevauchent, d’autres disparaissent sans que personne ne sache pourquoi... » Il ajoute qu’il y a plus de problèmes quand les plateformes de prises de rendez-vous sont gérées par des humains au téléphone que par des algorithmes en ligne…

  • Mauvaise orientation des utilisateurs

Il arrive enfin que certains patients méconnaissant les spécialités médicales et prennent rendez-vous avec le mauvais médecin. « C’est le risque : je reçois  en moyenne 1 patient sur 20 qui est mal adressé. Dans ce cas je les réoriente vers le bon médecin. » déclare le Dr Deroide. Le Dr Sami Houhou est du même avis « l’inconvénient de ces plateformes finit par être que certains spécialistes reçoivent des patients qui ne relèvent pas strictement de leur spécialité. Les chirurgiens, à l’Institut Franco-Britannique, reçoivent souvent via Doctolib des patients qui viennent pour des pathologies qui ne sont pas chirurgicales. La dérive provient du fait qu’avant, les médecins traitants procédaient à un " tri " avant d’envoyer leurs patients vers un spécialiste. Ils appelaient leur correspondant en leur expliquant le cas de leur patient pour l’aiguiller le mieux possible.  Avec ces plateformes, le tri n’est plus fait. »

 

Va-t-on bientôt choisir un médecin comme on choisit un restaurant sur le site lafourchette, en fonction des notes ou des avis laissés ?

  • Quid du devenir des données collectées

Une grande inconnue jette une ombre au tableau : que vont devenir toutes les données collectées par ces plateformes ? « C’est un gros point d’interrogation, poursuit le Dr Deroide. Qui est vraiment derrière Doctolib ? Quelle assurance a-t-on que toutes les données collectées sont bien sécurisées et/ou qu’elles ne seront pas utilisées à des fins commerciales ? » Pour Mme Dechatre, « on peut être un peu paranoïaque quant à la collecte des données médicales par ces plateformes. Je me doute bien qu’un jour, je risque de recevoir une publicité pour un opticien après avoir pris rendez-vous chez un ophtalmo… Nous sommes déjà noyés dans cette problématique avec Google, Facebook et les différents réseaux sociaux. C’est un système qui est certainement très dommageable du point de vue des libertés, pouvons-nous y quelque-chose ? ».


Notes

(1) https://www.ars.sante.fr/la-strategie-nationale-e-sante-2020

 

 

par Carole Ivaldi