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Soignants et vaccination : entre refus et attentisme

Menée en 2009, la première enquête sur la couverture vaccinale chez les soignants français révélait qu’ils étaient majoritairement à jour dans leurs vaccinations obligatoires, mais que les recommandations vaccinales étaient moins et inégalement suivies : de 20% pour les aides-soignants à 55% pour les médecins. C’est exactement la même distribution qui s’observe aujourd’hui dans la vaccination contre la covid-19. L’étude menée il y a dix ans rapportait la conviction que les maladies à vaccin recommandé étaient essentiellement tenues pour bénignes, ce qui n’est probablement pas la raison pour laquelle on retrouve les mêmes proportions dans l’adhésion vaccinale aujourd’hui. Ce que l’on observe n’est pas une résistance à la vaccination, mais, peut-on supposer, la résistance à un vaccin contre les autres. C’est sans doute au moins en partie la volonté de choisir son vaccin.

Par Maël Lemoine, professeur de philosophie des sciences médicales à la faculté de médecine de Bordeaux.

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Les irréductibles Gaulois

Pourquoi observe-t-on la même proportion de vaccinorésistants dans des contextes aussi différents que ceux de 2009 et de 2021 ? Deux hypothèses pourraient expliquer cette constance : le gradient de méfiance ou la confiance à l’égard des vaccins, et la sensibilité ou l’insensibilité à l’argument déontologique de protection des patients. Ces deux éléments jouent et, sans doute, jouent ensemble dans les mêmes personnes. Il est probable en effet que les mêmes personnes se méfiaient des vaccins, estimaient hier que la grippe est bénigne et rejetaient toute obligation professionnelle de vaccination. Ces irréductibles disent-ils « non » d’abord, pour se chercher de bonnes raisons ensuite ?

La situation est certainement plus complexe. Il faut probablement penser que ce sont les mêmes soignants qui sont aujourd’hui essentiellement sensibles à un facteur nouveau : la défiance à l’égard du vaccin d’AstraZeneca, dont 75% des doses disponibles n’étaient pas utilisées au 1er mars – contre 30 % en moyenne pour les autres vaccins. En d’autres termes, la même proportion de soignants qui ne voulait pas se faire vacciner contre la grippe en 2009, ne veut pas du vaccin d’AstraZeneca aujourd’hui – mais on ne sait pas vraiment combien d’entre eux voudraient d’un autre vaccin.

C’est d’ailleurs chose étrange de voir ce vaccin systématiquement attaqué pour des motifs différents : le vaccin est moins efficace que les autres, il ne protège pas nécessairement aussi bien les plus âgés, il ne protège pas contre les nouveaux variants, il produit fréquemment les effets secondaires d’un syndrome grippal, et à présent, il serait associé à des incidents de troubles de la coagulation sévères. C’est chose étrange de voir gouvernements, agences et comités réfuter tour à tour ces motifs. Une remarque s’impose : ces polémiques ne déterminent pas le choix de la vaccination contre la non-vaccination, mais le choix de la vaccination par AstraZeneca contre le choix de la vaccination par Moderna ou Pfizer – ou d’autres vaccins qui arrivent.

AstraZeneca probablement moins efficace mais certainement pas moins utile

Le degré de protection offert par le vaccin d’AstraZeneca est très bon comparé à des vaccins classiques contre des virus saisonniers, mais beaucoup moins bon que la plupart des autres vaccins contre le coronavirus pour lesquels des chiffres ont été communiqués. Tous ces chiffres doivent être pris avec prudence : ce sont des indications, des estimations plausibles, mais soumises à des limites méthodologiques. Ces estimations ont été produites à des moments différents de l’évolution du virus et dans des populations différentes.

Si l’on fait malgré tout l’hypothèse raisonnable qu’ils sont représentatifs, la vraie question n’est pas : « vaut-il mieux se faire vacciner par Pfizer/Moderna ou par AstraZeneca ? », mais « vaut-il mieux se faire vacciner maintenant par AstraZeneca ou attendre plus tard de pouvoir se faire vacciner par un autre vaccin ? ».

D’abord, parce que les autorités publiques jouent leur rôle en réservant les vaccins les plus protecteurs aux populations les plus vulnérables. L’effet le plus important d’un vaccin, on ne le répète jamais trop, est de limiter la circulation d’un virus. Dans toute la population, il faut limiter la circulation du virus pour le contrôler. Dans une partie de la population, celle où l’on meurt en nombre, il faut en plus protéger. Il est donc hors de question de protéger personnellement les soignants plus (ou moins) que les autres, à âge et état de santé égaux. On ne réserve pas le vaccin le plus mauvais pour les soignants : on donne en priorité aux soignants un vaccin qui limite la circulation du virus chez eux pour éviter qu’ils contaminent des publics vulnérables. Il n’y a donc pas de choix entre deux vaccins, et il serait inadmissible que les soignants aient ce choix.

On ne réserve pas le vaccin le plus mauvais pour les soignants : on donne en priorité aux soignants un vaccin qui limite la circulation du virus chez eux pour éviter qu’ils contaminent des publics vulnérables. Il n’y a donc pas de choix entre deux vaccins, et il serait inadmissible que les soignants aient ce choix.


Ensuite, parce que le vaccin n’est pas la baguette magique qui fait disparaître ce virus pour toujours de la vie de chacun. C’est une vaccination pour tenir jusqu’à la prochaine, dans un an si tout va bien. Le futur vaccin sera lui-même adapté à l’évolution du virus. Le choix des soignants est d’être vaccinés maintenant avec une couverture probablement un peu moins importante, ou bien avec un autre vaccin peut-être cet été, et peut-être plus efficace – si cet autre vaccin est toujours aussi efficace cet été, et s’il est disponible.

Les soignants sont-ils égoïstes ?

Beaucoup d’institutions et de responsables formulent des appels au devoir qui ressemblent à des rappels à l’ordre.

Il ne saurait être pour les soignants de devoir à l’égard de leurs patients qui implique directement leur propre santé. La vocation de soignant n’est pas une vocation religieuse ou sacrificielle. Elle implique des devoirs à l’égard des patients, mais ils ne sont pas prioritaires sur les devoirs que les soignants se sentent à l’égard de leurs enfants, conjoints, parents ou amis.

Cela ne signifie pas que ces devoirs n’existent pas : ils ne sont simplement pas de nature déontologique. Ils reposent sur la conception de leur métier que les soignants ont, ou n’ont pas légitimement. Il serait déplacé d’accuser d’égoïsme les soignants qui refusent de se faire vacciner. Autant les accuser de ne pas avoir du soin la conception qu’on voudrait qu’ils aient.

Il serait déplacé d’accuser d’égoïsme les soignants qui refusent de se faire vacciner. Autant les accuser de ne pas avoir du soin la conception qu’on voudrait qu’ils aient.


En revanche, il faut être clair sur ce que les soignants peuvent espérer. Ceux qui ne seront pas vaccinés aujourd’hui n’ont aucune légitimité à être vaccinés en priorité plus tard. Ils n’auront aucun accès privilégié aux autres vaccins que celui d’AstraZeneca. En d’autres termes, pour eux, il y a de grandes chances que le choix soit entre AstraZeneca maintenant et AstraZeneca plus tard. Ceux qui pensent qu’il se passera autre chose, qu’ils prennent leur pari !

par Maël Lemoine