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Réforme des modes de financement et de régulation

Devant le constat du cercle vicieux de la course à l’acte qu’entraîne le mode actuel de financement à l’acte et au séjour, Jean-Marc Aubert, directeur de la Drees, a rendu son rapport définitif (1) sur la réforme des modes de financement et de régulation en début d'année. Quels ont été les changements préconisés par ce rapport ? Quelles sont les réactions des professionnels de santé ?

Vers un mode de paiement combiné

Agnès Buzyn a dénoncé les travers du paiement à l’acte qui favorise la quantité plutôt que la qualité des soins. Pour transformer le système de santé, le financement des professionnels de santé comme des établissements constitue l’un des leviers les plus puissants. Jean-Marc Aubert a cependant précisé qu’il ne s’agit pas de revoir le niveau de dépense à la hausse, mais de mieux allouer les ressources de notre système de santé. Son rapport vient proposer un modèle de paiement combiné s’articulant autour de cinq modalités, et dont l’objectif est de répondre à quatre enjeux principaux.  

Les enjeux

Notre système de santé jouit d'une réputation mondiale , il est cependant insuffisamment tourné vers la prévention qui reste à développer. De plus, le nombre de patients souffrant de pathologies chroniques est en constante augmentation, atteignant 20 millions de personnes en 2018. Les prises en charges des professionnels de santé doivent se renouveler pour mieux répondre à ces évolutions et aux besoins de la population. L’accent est également mis sur la qualité et la pertinence des soins qu’il faut désormais chercher à mesurer et à améliorer.

Cinq modalités de paiement

1/ Le paiement à l’acte et au séjour/ révision des nomenclatures

Le financement à l’activité (T2A, paiement à l’acte, à  la journée) qui représente 63 % du financement et des rémunérations en 2018, ne devra plus en  représenter que 50 % en 2022. Les milliards d’euros ainsi dégagés viendront financer les autres modalités de financement déclinées ci-dessous. Parallèlement, une révision des nomenclatures sur trois ans est envisagée pour que les actes médicaux et paramédicaux représentent la réalité des soins et leur évolution. Cette révision représente un chantier de taille incontournable puisque la T2A et le tarif de chaque acte sont déterminés par les nomenclatures.

2/ Le paiement groupé à la séquence de soins

Afin d’encourager les professionnels de santé à mieux se coordonner dans une séquence de soins impliquant une prise en charge commune, un paiement groupé va être instauré. Les différents acteurs devront se partager un montant forfaitaire global qui se substituera au paiement à l’acte et au séjour. L’assurance maladie espère diminuer ainsi les actes redondants et une partie des réhospitalisations non justifiées. La complexité de cette modalité de paiement repose sur la multiplicité des acteurs et le fait qu’ils soient très peu structurés. Ce nouveau mode de financement est déjà expérimenté dans le cadre de l’article 51 pour l’arthroplastie de hanche, la prothèse totale du genou, la ligamentoplastie du genou et la colectomie pour cancer.

3/ Le paiement au suivi des pathologies chroniques

Changement non moins notable dans le financement des soins à la ville comme à l’hôpital, cette modalité de paiement au forfait devrait monter en puissance pour représenter 15 % du financement et des rémunérations en 2022, soit 5 milliards d’euros. Financés par l’assurance maladie, le diabète et l’insuffisance rénale chronique sont déjà concernés par cette forfaitisation à l’hôpital en 2019.

Le montant des forfaits pour les prises en charge au long cours que se répartiront les équipes professionnelles en place dépendra de la maladie et de la gravité de l’état du patient. À terme, cette modalité s’étendra à la médecine de ville pour le diabète, la BPCO, les maladies coronariennes, les AVC et l’obésité morbide. Médecins généralistes et infirmières libérales seront rémunérées selon un forfait de prise en charge globale et non plus à l’acte comme actuellement. La question du partage équitable du forfait entre les différents professionnels n’est cependant pas encore résolue.

4/ Le paiement à la qualité et à la pertinence

Basé sur des indicateurs de qualité cliniques et de résultats rapportés par les patients, ce mode de paiement tend à devenir un compartiment de financement à part entière pour améliorer les résultats du système de santé. En 2019, 300 millions d’euros lui sont alloués dans la loi de financement de la sécurité sociale et bénéficieront aux activités de MCO à l’hôpital, aux SSR et à la HAD. Cette enveloppe devrait  atteindre 2 milliards d’euros en 2022. Un système de malus sera lancé en 2020 pour les hôpitaux et cliniques qui ne respectent pas les objectifs. À ce jour, ces indicateurs n’existent pas.

5/ Le financement de la psychiatrie

Aujourd’hui financée par la DAF (dotation annuelle de financement pour la psychiatrie publique) ou par le prix de journée (psychiatrie privée), la psychiatrie devrait désormais bénéficier d’un mode de financement combiné. Plusieurs modalités seront associées : une dotation régionale versée aux ARS qui variera selon la taille de population, la précarité et la part des mineurs, ainsi qu’un financement à la qualité, à la réactivité. Une autre partie des financements, minoritaire, sera fonction des activités nouvelles développées en lien avec les plans de santé régionaux, le niveau de qualité et de réactivité, et la recherche.

graphique aubert
Source
: Rapport « Réforme des modes de financement et de régulation ».
Vers un modèle de paiement combiné

Rôle des complémentaires de santé

Une interrogation importante se pose quant au rôle que vont jouer les organismes complémentaires dans le cadre des nouvelles modalités de paiements aux forfaits.



Réactions des syndicats médicaux

Le rapport Aubert a suscité de nombreuses réactions des fédérations et des syndicats de professionnels de santé.

Une réforme plus ou moins appréciée

ReAGJIR, le syndicat qui représente les jeunes médecins généralistes, est l’une des voix les plus favorables au rapport Aubert. Sur les différentes modalités de paiement, il préconise plutôt la diversification des modes de rémunération en complétant par l’existant. « Pour que chaque patient, en fonction de sa situation (pathologie, terrain familial, environnement, etc.), soit pris en charge de la manière la plus adaptée. », explique le Dr Yannick Schmitt, président du syndicat. La ROSP, selon lui, va déjà dans ce sens en prenant en compte la prévention, le suivi, la non-prescription d’actes inutiles. Et il en est de même pour la rémunération au forfait, ce mode de financement qui permet notamment la prise en compte du temps de travail du médecin en l’absence du patient, comme les multiples démarches administratives. Les différents types de financement sont d’autant plus importants, pour ce syndicat, qu’aujourd’hui l’échelle de soins a changé : «  désormais ce sont les regroupements de professionnels de santé qui sont appelés à s’organiser pour prendre en charge les patients d’un territoire ».

De son côté, la FHF salue la proposition d’instituer un Ondam pluriannuel, mais déplore le fait qu’il n’augmente pas, or seule son augmentation aurait pu soulager les hôpitaux qui connaissent aujourd’hui de grandes  difficultés financières.

Pour la FEHAP (2) le changement de paradigme envisagé dans le rapport Aubert prônant un système de santé plus préventif, construit autour de la personne et de son parcours de santé, est un point positif. Elle partage la préconisation du rapport sur la nécessité d'une régulation plus équitable de l'Ondam ainsi qu’une vision pluriannuelle d'évolution des tarifs visant à améliorer la lisibilité pour les établissements. Cependant, si l'objectif d’une meilleure qualité et de pertinence des soins par un renforcement du financement à la qualité est vertueux, elle réclame la création d’indicateurs de résultats validés et connus préalablement par les professionnels. Or, le problème pour la FEHAP, est que ces indicateurs ne sont toujours pas validés à ce jour.

Le président de la FHP, trouve lui-aussi, que la qualité est un critère important à prendre en compte, et il réaffirme son attachement au caractère incitatif de la rémunération à la qualité (IFAQ). « Cette enveloppe doit être un bonus et non un simple compartiment tarifaire venant minorer les tarifs des établissements de santé. En outre, la proposition d’un malus n’est pas un bon moyen d’améliorer la qualité. » prévient-il. Pour autant, certains points du rapport l’inquiètent.

… Franchement décriée par d’autres

La FHP (3) s’oppose à un objectif arbitraire et excessif de réduction de la part du financement lié à l’activité à 50 %. « La part du financement liée à l’activité doit évoluer en fonction de la montée en charge des nouveaux dispositifs proposés et surtout s’adapter à la réalité de l’activité des établissements » explique Lamine Gharbi, président de la FHP. Le président du CSMF, Dr Jean-Paul Ortiz, partage cette analyse et dénonce également le mode de rémunération par forfait,  car il induit un abonnement du patient à un médecin, ce qui réduit sa liberté et peut  entrainer une  sélection des patients.  Le paiement groupé à la séquence de soins inquiète réellement la CSMF : qui va gérer ce forfait et sur quelles bases de répartition vont être attribués les éléments qui le composent ? Si cette rémunération à l’épisode de soins s’accompagne de gains d’efficience, comment ceux-ci seront-ils répartis ? Qui en bénéficiera ?  Le SML est vent debout contre cette réforme des modes de financement. Le rapport est même qualifié « d’entreprise de destruction massive » car « il dynamite le mode de rémunération des médecins libéraux et de la médecine libérale ». Le SML dénonce les dangers de l’introduction de formes de rémunérations telles que la rémunération collective à l’épisode de soins ou pour les pathologies chroniques, ce qui revient à étatiser le secteur libéral. « Le système de soins qui se dessine à travers ce rapport est collectiviste et planificateur avec à la clé le contrôle et la limitation des prescriptions, l’encadrement des tarifs par l’État, et le passage d’une médecine fondée sur une obligation de moyens à une médecine fondée sur une obligation de résultats. »

Tout comme le SML, la Fédération française des praticiens de santé qui se compose des principaux syndicats d’infirmiers libéraux, de masseurs-kinésithérapeutes, d’orthophonistes, d’orthoptistes et de pédicures-podologues, estime que « le paiement à l’épisode de soins n’était pas un gage de qualité et de pertinence mais plutôt une volonté d’exclusion des patients les plus fragiles et une source de conflit dans les équipes soignantes. Ce modèle n’est que le début d’une sélection des usagers excluant de fait les patients les plus lourds induisant un recours à des systèmes privés de prise en charge très coûteux. En outre, les questions de responsabilités n’ont pas été traitées. Que faire si le patient décide de changer de praticien durant l’épisode de soins? Comment répartir le forfait sur de nouveaux praticiens ? Sans parler de quel professionnel ou quelle structure sera le dépositaire du forfait et sur quels critères ce dernier sera réparti ? Ce « bundle payment » qui vise à optimiser la pertinence des actes trahit un manque de confiance et d’estime de la part du ministère envers les professionnels de santé. »

Enfin, concernant la psychiatrie privée, la FHP alerte aussi sur le modèle de financement proposé dans le rapport, « totalement inapproprié, qui risque de pénaliser le dynamisme des établissements et ne résoudrait pas la question de la réduction des files d’attente. »

En effet, ce modèle prévoit un financement majoritairement lié à une enveloppe globale sans préciser son poids dans la rémunération des cliniques psychiatriques.


Notes

(1)    https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dicom_rapport_final_vdef_2901.pdf
(2)    http://www.fehap.fr/jcms/la-federation/toute-l-actualite/rapport-aubert-la-reforme-du-financement-doit-d-abord-permettre-de-passer-d-un-systeme-de-soins-a-un-systeme-de-sante-avec-une-visibilite-pluriannuelle-fehap_280792
(3)    https://www.fhp.fr/1-fhp/841-/841-/15692-rapport-aubert.aspx

par Carole Ivaldi (mars 2019)

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