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Le médecin interniste assure l’orchestration entre les spécialités

Reconnue comme spécialité depuis les années 1970, la médecine interne se situe en relais de la médecine générale et de la médecine spécialisée d'organe. Le Dr Eric Oziol, spécialiste en médecine interne au Centre hospitalier de Béziers et secrétaire général du Syndicat des internistes français (Syndif), fait le point sur cette discipline. 

Propos recueillis par Laure Martin.

LaureMartin

 

oziol INTEn quoi consiste la spécialité de médecine interne ?

Dr Eric Oziol : La spécialité est relativement jeune en France. Notre société savante date des années 1970. Cependant dans les pays anglo-saxons, elle existe depuis la fin du 19e siècle/début 20e.  

La médecine interne revendique une expertise et un exercice très hospitaliers. En France, nous avons une particularité puisque notre Diplôme d’études spécialisées (DES) s’intitule Médecine Interne et Immunologie clinique. L’immunologie clinique recoupe les maladies auto-immunes, auto-inflammatoires et un certain nombre de maladies génétiques qui peuvent se manifester dès l’enfance, pour lesquelles nous sommes en relais des pédiatres. Nous avons également une expertise reconnue sur les maladies rares, les polypathologies et les situations complexes.

Nous intervenons aussi pour la prise en charge des cancers généralisés ou de leurs manifestations inhabituelles comme les syndromes paranéoplasiques, voire en raison des complications des thérapeutiques notamment depuis l’avènement des immunothérapies en cancérologie. Enfin, nous sommes les spécialistes de maladies qui ne se voient pas toujours de façon directe sur les examens biologiques ou d’imagerie usuels, même répétés.

Les internistes ne s’intéressent pas aux organes en tant que tels mais aux patients qui ont des pathologies plus générales ou des maladies systémiques. Nous ne sommes d’ailleurs pas toujours facilement perçus par le public, car si les autres spécialités sont bien identifiables par leur cible anatomique (le cardiologue s’occupe du cœur, le pneumologue des poumons…), nous intervenons auprès des patients ayant une histoire particulière avec des pathologies intriquées. Nous sommes même de plus en plus fréquemment confrontés aux « survivants de la médecine moderne », ceux qui ont de nombreux antécédents, plus ou moins actifs, ou plusieurs maladies chroniques. Notre rôle est alors de définir la priorité entre les différents problèmes. 

En résumé, le médecin spécialiste en médecine interne est un médecin pratiquant à la fois la médecine hospitalière (à la manière des internistes d’Amérique du Nord qui pour certains exercent même exclusivement la sub-spécialité « d’Hospitalistes », équivalent de la « Médecine Polyvalente » en France), avec une expertise pluridisciplinaire, polypathologique et systémique sur des situations fréquentes plus ou moins complexes, mais également pratiquant plus spécifiquement un exercice de consultant expert des maladies rares, auto-immunes ou inflammatoires.. 

Comme l’aurait dit Aristote : « Qui peut le plus, peut le moins », telle pourrait être la devise d’excellence et d’humilité de l’interniste.

 

Quel est le mode d’exercice des médecins internistes ? 

Dr Eric Oziol : Nous sommes les spécialistes (par essence et même en partie par étymologie), de la médecine hospitalière. Parfois notre appellation déroute voire est confondue avec les internes. «Quoi ? Interniste ?  Vous êtes encore interne, à votre âge ?!... ». Notre activité est d’ailleurs très encadrante pour les internes et les futurs médecins que nous avons en formation continuellement à l’hôpital.  En début de carrière, le jeune médecin interniste, en plus de son activité d’hospitalisation très fournie, gère quelques patients en consultation. Puis, au fur et à mesure que son expertise grandit, sa file active augmente également. L’activité de consultation progresse avec la carrière, ainsi que la qualité de l’expertise complexe. 

Le médecin interniste ne fait pas de premier recours. En général, ce sont les médecins généralistes ou les médecins urgentistes qui orientent leurs patients dans notre service ou à notre consultation, en deuxième recours donc, lorsqu’ils ne savent pas de quelle spécialité le problème du patient relève ou lorsqu’il y a un problème de diagnostic. Nous prenons également en charge des patients qui nous sont envoyés en troisième (voire plus…) recours par des médecins spécialistes d’organe. Enfin, nous nous occupons des patients hospitalisés en post-urgence. L’interniste est donc un médecin diagnosticien et parfois, comme le disait le Pr Jean-Louis Dupond [ancien chef de service au CHU de Besançon, président d'honneur de la Société nationale française de médecine interne, NDLR], un « inexplicologue ». 

Vous exercez donc en pluridisciplinarité ? 

Dr Eric Oziol : Effectivement. Avec le vieillissement de la population, nous travaillons beaucoup avec les gériatres sur l’aspect polypathologique des patients, notamment en post-urgence. Dans notre établissement, par exemple, le service où nous exerçons s’appelle « Médecine hospitalière » et recoupe la médecine interne, la gériatrie aiguë, l’infectiologie, les pathologies auto-immunes et inflammatoires, la rhumatologie, la cancérologie, la néphrologie, l’endocrinologie et la médecine vasculaire.

Ce sont des spécialités qui touchent de façon un peu plus générale le patient. Dans le cadre de l’hospitalisation, nous travaillons avec toutes ces spécialités en bonne intelligence collective, mais également avec les équipes médicales des autres services spécialisés de l’hôpital. Le médecin interniste, au-delà de son rôle de diagnosticien, est amené à orchestrer des stratégies thérapeutiques complexes avec différentes spécialités médicales, voire chirurgicales. 

Cette médecine hospitalière nécessite une certaine transversalité. Nous ne voulons pas qu’il y ait de rupture dans la prise en charge des différents problèmes du patient, ce qui pourrait lui être délétère. Nous voulons aussi éviter qu’il soit balloté inutilement d’un service à un autre. Nous faisons donc une orchestration entre les spécialités, nous organisons l’expertise, l’harmonie de l’ensemble, le tempo et la temporalité propres au patient. Nous recherchons la prise en charge prioritaire pour lui. Si des pathologies nécessitent des traitements spécifiques à certaines spécialités, les patients vont alors être sous la responsabilité directe de chaque expert. S’ils relèvent de traitements d’immunothérapie ou de pathologies inflammatoires, c’est alors l’interniste qui va le suivre, plus particulièrement en hôpital de jour ou en consultation externe. 

Nous ne voulons pas qu’il y ait de rupture dans la prise en charge des différents problèmes du patient,
ce qui pourrait lui être délétère. Nous voulons aussi éviter qu’il soit balloté inutilement d’un service à un autre. Nous faisons donc une orchestration entre les spécialités, nous organisons l’expertise, l’harmonie de l’ensemble, le tempo et la temporalité propres au patient.


Nous essayons d’adapter notre spécialité à l’évolution de la médecine moderne. Nous devons communiquer avec tout le monde. Le véritable enjeu, c’est l’intelligence collective. Nous devons créer une œuvre harmonieuse tous ensemble. Parfois, il est difficile d’être accepté comme chef d’orchestre. Certains préfèreraient jouer la partition en solo. Mais malgré tout nous devons toujours veiller à ce que la partition soit jouée ensemble, ce qui requiert politesse, respect et bienveillance entre médecins et entre équipes médicales.

Des revendications ?

Dr Eric Oziol : La médecine est aujourd’hui devenue très complexe voire fragmentée par l’hyperspécialisation. Nous sommes donc devenus les experts des conséquences de cette complexité. Les internistes font cinq ans d’internat, c’est l’un des plus longs, c’est le plus diversifié, avec un certain nombre de formations complémentaires et un post-internat souvent dans des hôpitaux universitaires. Pourtant, aujourd’hui, la valorisation de nos actes n’est pas à la hauteur de notre travail, ni de notre investissement. Nous recevons les patients en consultation au cours de laquelle nous reprenons l’intégralité de leur dossier et de leurs examens. Nous refaisons tout l’historique pendant en moyenne 30 à 45 minutes, plus le temps consacré à la récupération de certaines pièces du dossier et à la rédaction/correction de la synthèse. Cette consultation d’expertise médicale et celles du suivi spécialisé, sont très peu rémunérées en comparaison à la plupart des actes techniques. Lorsque l’interniste est salarié de l’hôpital, c’est gérable, mais alors c’est l’hôpital qui n’est pas bien rémunéré du temps de son médecin expert. Et pour une consultation libérale, le modèle économique est beaucoup plus complexe et contraint.

Les collègues internistes libéraux ont des soucis de valorisation de leur acte de consultation « intellectuelle ». Nous avons la volonté de faire reconnaître à la fois, la valeur de la consultation et de l’expertise spécifique, et également du rôle hospitalier de la médecine interne. Mais il est actuellement difficile de discuter avec les pouvoirs publics et de plaider pour une revalorisation de nos actes médicaux non techniques alors que l’Objectif national des dépenses de l’assurance maladie (Ondam) est très en-dessous de ce qu’il devrait être pour répondre aux besoins du système de santé. Obtenir une revalorisation de l’acte de réflexion médicale serait un investissement pertinent pour une médecine de qualité générant moins d’actes et peut-être moins de dépenses inutiles ou redondantes.

Cette spécialité est-elle choisie par les étudiants ? 

Dr Eric Oziol : Nous sommes aujourd’hui peu représentés. Les internistes restent rares et peu formés en nombre, malgré les demandes de notre spécialité. Les étudiants les mieux classés ont longtemps choisi cette spécialité par goût de la médecine. Mais ces deux dernières années, les interrogations sur l’avenir hospitalier et le peu de valorisation de cette médecine, les amènent à choisir d’autres spécialités. Tout d’abord parce qu’en raison de la réforme, ils ne peuvent plus faire de spécialités complémentaires, comme la cancérologie, la réanimation médicale, la gériatrie, la médecine vasculaire, l’infectiologie par exemple, qui étaient possibles par la voie des Diplômes de spécialité complémentaire (DESC). De plus, entre les interrogations sur les évolutions de carrière à l’hôpital ou dans les établissements hospitaliers privés ou privés à but non lucratif, lieux privilégiés d’exercice de la spécialité, et le fait que la consultation experte soit peu valorisée, en dehors des internes qui vont choisir la spécialité par goût de la médecine, les autres font le choix d’une autre spécialité mieux valorisée et offrant un meilleur confort de vie potentiel.  

Aujourd’hui, notre spécialité regroupe un peu plus de 1 000 médecins. Mais les effectifs de formation sont largement insuffisants pour permettre le renouvellement des départs en retraite et les besoins actuels et futurs de tous les établissements hospitaliers, en réponse à l’évolution des besoins de ces patients « survivants de la médecine » devenus de plus en plus complexes.

par Laure Martin

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