Résilience #5 « La culture du care ne peut plus être mise de côté »

Quelle place pour les approches humanistes dans les études en santé ? Pour ce 6e et dernier webinaire organisé par le Groupe Pasteur Mutualité sur la résilience et la prévention des traumatismes chez les professionnels de santé, le Pr Corinne Isnard Bagnis, néphrologue et spécialiste de la méditation de pleine conscience, a échangé avec le Dr Cloé Brami, oncologue médicale centrée sur les soins de support. Elle développe un parcours d'accompagnement des jeunes soignants à l'université Paris Descartes, leur faisant découvrir la méditation de pleine conscience. Un accompagnement bénéfique pendant la crise sanitaire.

Synthèse réalisée par Laure Martin

LaureMartin

Pour visonnez le webinaire : cliquez ici

Temps de lecture :

cloe brami INTOK« Les jeunes soignants ont été mis à rude épreuve pendant la crise sanitaire, rappelle le Dr Isnard Bagnis. Ils ont été mis en première ligne pour aller aider les équipes. C’était certainement très intéressant pour eux mais je pense qu’ils ont été confrontés à des difficultés importantes. »

Dans ce contexte, le Dr Brami, qui travaille à mettre en lien sa formation en oncologie avec un programme de méditation pleine conscience, a proposé aux étudiants en médecine et aux internes, de poursuivre les séances de Mindulness-Based Stress Reduction (MBSR) chaque semaine. Ces échanges avec les étudiants lui ont permis d’obtenir des retours terrains sur leur ressenti en cette période particulière. « Il en ressort une notion de culpabilité prégnante chez les étudiants qui n’ont pas pu être sur le terrain pendant la crise », explique-t-elle. C’est le cas notamment de ceux qui passent cette année leurs épreuves classantes nationales. « Ils étaient chez eux à préparer leur concours pendant qu’en parallèle la population a donné aux soignants une image de héros, ce qui les a interrogés sur leur place dans cette situation », rapporte le Dr Brami. Cette notion de culpabilité a été abordée pendant les séances, dans un contexte de pleine conscience. « Dans ce cadre, il est fondamental de nommer cette émotion, de laisser un espace où la personne peut dire qu’elle ressent de la culpabilité, ajoute le médecin. C’est déjà un grand pas, car la fonction même du métier que nous exerçons donne peu de place à l’expression des émotions. »

Réfléchir au sens du soin

Autre élément beaucoup partagé : la confrontation à la mort, à la fin de vie, de façon imprévue, inhabituelle qui a placé les étudiants face à des situations de soins ne leur permettant pas d’agir comme ils l’auraient souhaité. « C’est intéressant de réfléchir à cette question du soin dispensé qui ne correspond pas nécessairement au soin que l’on souhaiterait donner en tant que soignant », pointe du doigt le Dr Isnard Bagnis. Comment les jeunes soignants l’ont-ils vécu ? « Face à des situations où les patients étaient très rapidement en situation de détresse, l’urgence était la seule réponse qu’ils pouvaient apporter, résume le Dr Brami. A cet instant, il n’y avait plus de main tendue possible. Ils étaient aussi face à des patients sans leur proche et ont ressenti un vrai sentiment d’impuissance. »

La confrontation à la mort, à la fin de vie, de façon imprévue, inhabituelle qui a placé les étudiants face à des situations de soins ne leur permettant pas d’agir comme ils l’auraient souhaité.


Les médecins sont formés à lutter contre la mort mais « il faut selon moi donner de la place dans le soin à cette possibilité de mourir », soutient l’oncologue. Ne pas former les soignants comme étant ceux capables de repousser la mort permettrait également de lâcher une certaine pression. Aujourd’hui, la fin de vie, les soins palliatifs, sont abordés de façon très rationnelle dans les études de médecine. « Mais dans cette volonté de donner de la place à la méditation ainsi qu’aux pratiques et outils réflexifs, il y a cette intention de mobiliser notre intelligence émotionnelle et de pouvoir réfléchir au sens de notre métier, au sens du soin, à la façon de prendre soin de soi, des autres, estime le Dr Brami. Lorsqu’on s’interroge sur ces questions, la notion de vie et de mort prend une autre dimension. » D’ailleurs, au cours de ses échanges avec les étudiants, l’un des aspects positifs mis en exergue est cette redécouverte du sens chez ceux qui ont pu participer aux soins, une approche à cultiver pendant les études.

Rendre l’enseignement du care obligatoire

Qu’en est-il du déploiement de la méditation pleine conscience dans les enseignements de médecine ? « Je crois que la culture du care pour soi en tant que soignant ne peut plus être mise de côté, analyse le Dr Brami. Je pense que l’université à un rôle à jouer dans l’apprentissage qui peut être offert aux étudiants à prendre soin des autres tout en mobilisant leurs ressources internes. Il me semble nécessaire de rendre obligatoire la possibilité pour les futurs soignants de bénéficier d’actions en prévention primaire. »

Si l’apport théorique doit être accessible à tous, en revanche, « pour les programmes plus longs, je trouve cela sensible de laisser à l’appréciation de chacun la possibilité d’y avoir recours au moment opportun, lorsque la personne aura envie d’y participer, fait savoir le Dr Brami. C’est tellement engageant… Et on peut ne pas avoir envie de méditer. » Elle conclut : « Néanmoins, méditer connecte au cœur, à l’humain en face de soi, au-delà de la blouse blanche. Cette posture horizontale de cœur à cœur se cultive avec ces pratiques contemplatives. »

par Laure Martin