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L’Ordre infirmier réclame une plus grande reconnaissance de la profession

Le Conseil national de l’Ordre des infirmiers (Cnoi) a remis son livre blanc, Reconnaître la contribution infirmière au système de santé, le 8 novembre dernier à la ministre de la Santé avant de le rendre public courant novembre. Vingt-six propositions, expression de la volonté de la profession, organisent ce document pour une quête de reconnaissance.

 Par Laure Martin.

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Le Livre blanc est le résultat de la grande consultation infirmière lancée en février 2019 et organisée dans toute la France au travers de 16 forums régionaux et d’un site Internet dédié. 3 880 participants dans les forums, environ 20 000 répondants et un demi-million de réponses sur le site Internet. « Lors des différents forums, nous avons eu un vrai échange avec la profession, s’est félicité Patrick Chamboredon, président du Cnoi, lors de la présentation du livre blanc. Ces forums ont été l’occasion de rassembler les professionnels qui ont généralement des difficultés à se mobiliser et à reconnaître le Cnoi. Il était important de recréer du lien avec la profession. » Ces moments d’échanges ont aussi été l’occasion pour l’Ordre de « prendre le pouls » de la profession qui, sans surprise, est à bout de souffle. « Trop souvent les infirmiers se retrouvent dans l’incapacité de mener leurs missions comme ils le souhaiteraient, a rappelé le président de l’Oni. La profession n’est pas reconnue ni valorisée », a rappelé le président de l’Oni.

Les propositions

Le livre blanc est organisé autour de 26 propositions élaborées par le Cnoi. « Des questions ouvertes ont permis d’amender les champs que nous avons présenté, a précisé Patrick Chamboredon. Nous avons confronté nos idées à la profession. »

Les axes forts ? Faire évoluer la profession pour permettre une adéquation entre les textes réglementaires et les pratiques car outre le fait que cette inadéquation fait peser un risque juridique croissant sur les professionnels, elle témoigne aussi d’un manque de reconnaissance à leur égard. Alors que les besoins en santé explosent, de nombreux infirmiers se retrouvent tiraillés entre le respect du cadre juridique de la profession et la nécessité de garantir aux patients un soin de qualité. Ce dilemme est à la source d’une forte perte de motivation des professionnels infirmiers.

L’Ordre plaide également pour une reconnaissance réelle de la consultation infirmière : « c’est l’explosion des maladies chroniques mais également le développement d’une politique de prévention qui participe à la volonté d’une reconnaissance de cette consultation, car elle fait pleinement partie du rôle infirmier, ce dernier ne se limitant plus à la pratique des actes de soin. »

Parmi les autres propositions : élargir la prescription des infirmiers pour améliorer l’accès aux soins, élargir le domaine de compétence des infirmiers pour renforcer la qualité des soins délivrés mais aussi faire prévaloir le rôle clé des infirmiers en matière de prévention et d’éducation pour la santé. « Les infirmières doivent être actrices de la prévention, a soutenu Patrick Chamboredon. Je l’ai dit à la ministre de la Santé lorsque je lui ai remis le rapport. Il faut leur donner plus de liberté et pourquoi pas, par exemple, leur attribuer la compétence de prescrire la vaccination. »

Faire avancer les 700 000 infirmières

Comment passer des propositions à l’action ? « C’est la vraie question », a reconnu le président du Cnoi. Le portage politique prend là toute son importance. C’est ce qui conduit le Cnoi à s’entretenir avec la ministre de la Santé, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) ou encore le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). « Les infirmiers peuvent être une source d’évolution du système et pallier la problématique des déserts médicaux, a souligné Patrick Chamboredon. Il faut des ajustements réglementaires pour permettre les évolutions nécessaires afin de répondre aux besoins de santé. » Il est indispensable selon lui de valoriser la profession et de renforcer l’infirmière dans son rôle de clinicienne qui n’est pas assez valorisé en France. « Nous voulons avancer dans une logique de compétences car elles ne sont pas toutes exploitées, a-t-il rappelé. Et 700 000 infirmières qui montent en compétences, pourraient répondre aux besoins de santé de la population en général. » « Le rétablissement de la noblesse de ce métier est nécessaire et doit passer par une augmentation des compétences qui pourraient être déléguées », a renchéri le Pr Philippe Levy, chef du service de pancréatologie de l’hôpital Beaujon (Hauts de Seine).

Plus de communication pour une plus grande confiance

Pour Annie Chapelier, députée du Gard, et ancienne infirmière anesthésiste, il manque un mot dans ce livre blanc : confiance. « Nous avons besoin de rétablir cette relation de confiance entre les partenaires professionnels et entre le patient et le soignant », estime-t-elle. Un point de vue partagé par le Pr Philippe Levy, qui a aussi constaté une dégradation des conditions d’exercice des infirmières hospitalières ces quinze dernières années. « Les infirmières ont commencé par nous dire il y a quelques années qu’elles n’avaient plus le temps d’effectuer un travail de qualité, se rappelle-t-il. Puis, depuis deux à trois ans, elles nous ont signalé qu’elles n’avaient plus le temps de faire leur métier et de déterminer leur travail. Enfin, plus récemment, elles nous ont informé ne plus travailler en sécurité. Nous avons en effet constaté des accidents en raison de l’augmentation de la pression à leur encontre. » Un autre élément qui a dégradé les conditions d’exercice du métier et les rapports entre les professionnels de santé : l’informatisation. « Le dialogue a été perdu, a-t-il regretté. Aujourd’hui, il faut recréer la dimension d’équipe. D’ailleurs, on commence à se redécouvrir, à se reparler. » La priorité repose selon lui sur une reconnaissance des actes déjà accomplis par les infirmiers pour ensuite s’atteler à la reconstitution des équipes, ce qui permettrait de nouveau une transmission des savoirs entre les infirmières, source des compétences.

Cette notion de communication doit être plus globalement appréhendée afin de permettre une évolution de la profession notamment vis-à-vis des professionnels médicaux. « Politiquement, on créé de nouvelle profession, rappelle Annie Chapelier. Les infirmières en pratique avancée (IPA) ne sont pas nées d’hier mais elles sont reconnues aujourd’hui et personne n’y trouve son compte. Les médecins sont très suspicieux et pensent qu’elles vont empiéter sur leurs compétences. Les infirmières regardent avec un peu de hauteur les IPA qui auraient la prétention d’être au-dessus d’elles. Les patients s’interrogent sur cette "nouvelle espèce". Quant à la grille de salaire, elle met en émoi les infirmières anesthésistes mais déçoit les IPA. Personne n’est satisfait. Donc même la meilleure des solutions peut avoir des conséquences délétères si elle n’est pas bien amenée malgré les opportunités énormes qu’elle représente. »

par Laure Martin