Mon réseau® Cancer du sein :"Débordés, les médecins ne sont hélas pas nos premiers promoteurs !" entretien avec Laure Guéroult-Accolas

En 2014, au décours d’un cancer du sein, Laure Guéroult-Accolas, pharmacienne, ayant vécu la difficulté à se procurer des informations utiles à tous les stades de sa maladie, décide de fonder Patients en réseau et Mon réseau® cancer du sein. Elle décrit ici pour M-soigner les vocations de ce véritable réseau social du cancer et précise le rôle que peuvent y jouer les professionnels de santé.

Marina kolesnikoff redaction
Propos recueillis par Marina Kolesnikoff, septembre 2022.

 
Laure GEROULT ACCOLAS SandraSanji LIGHTM-Soigner : À l'origine, qu’est-ce qui vous a motivé à fonder « Patients en réseau » ?

Laure Guéroult-Accolas : J’ai été touchée par un cancer du sein à 39 ans. À l’époque, j’ai été soignée entre la France et la Turquie où j’étais expatriée. J’avais le sentiment qu’avec un tel parcours de soin mon cas était très particulier. Mais en rentrant en France, j’ai réalisé que ce n’était pas tout à fait vrai. Ce parcours de soins rentrait en résonance avec celui de très nombreuses patientes, notamment toutes celles qui habitent en grande banlieue, à la campagne, dans des zones reculées.

 Au final, 3 h de route ou 4 h d'avion laissent le même sentiment qu'on est loin des associations de proximité, qu'on ne les connaît pas d'ailleurs, que tout est compliqué, qu’il y a de la distance entre le malade et l’information. Et c'est au regard de cette réalité que j’ai pris conscience que pour gommer ces distances, il serait très utile de créer un réseau social qui soit dédié aux patients mais aussi aux proches qui leur permette de faciliter leurs échanges.

Quand il vous arrive des choses très concrètes comme une mastectomie, une chimiothérapie, ou une reconstruction mammaire, l'expérience des autres vous intéresse : « Ça se passe comment ? Qu'est-ce qu'il faut mettre dans sa valise ? Où est-ce que je trouve un maillot de bain pas trop moche ? …»

Quand on lance une recherche Google sur le cancer en général on va retrouver plein, plein de thèmes : la sensibilisation, la prévention, le dépistage… Mais vous au moment où vous êtes malade, ce n’est pas ça qui vous intéresse ! Ce que vous voulez, c’est mieux comprendre ce qui vous arrive : « Quels sont les différents types de cancers ? Parce que je ne savais pas moi qu'il y avait plusieurs cancers du sein ! » « C'est quoi le parcours ? Et pourquoi moi j'ai une chirurgie tout de suite alors que ma voisine, elle, a d'abord reçu des traitements ? »

Et au-delà de cette quête d’informations pratiques, les malades vont aussi chercher comment traverser au mieux cette épreuve, ils vont vouloir découvrir les soins de support, comprendre qui les proposent, examiner l’offre à ce sujet dans leur centre de soins, mettre la main sur les associations qui orientent sur les soins de support…

M-S : Il faut rappeler à ce stade que vous avez d'abord créé « Patient en réseau », qui a été décliné par la suite en plusieurs réseaux, dont « Mon réseau® cancer du sein ».

L. G-A. : À l’origine, on voulait d’abord créer un réseau dédié au cancer du sein. Pour cela, on a choisi de monter une association de patients avec un nom plus large en fait, assez générique, en se disant que si c'était utile dans le cancer du sein, ça pouvait l’être pour d’autres maladies

Sont donc nés, en même temps, en 2014, l'association « Patients en réseau » et le premier projet « Mon réseau ®cancer du sein ®cancer du sein ».

Au-delà d'une quête d’informations pratiques, les malades vont aussi chercher comment traverser au mieux cette épreuve.

En 2016, nous avons été approchés par des pneumo-oncologues qui nous ont fait part du manque d'associations directement en lien avec le cancer du poumon et de l’état d’isolement de leurs patients alors qu’il y a plein d’espoir maintenant avec les nouvelles thérapeutiques : l’immunothérapie, les thérapies ciblées, etc. Cette approche a été le tremplin pour constituer un deuxième réseau qui a d’ailleurs aussi été l’occasion de grandes évolutions techniques pour disposer d’une plateforme multi-réseaux.

En résumé, on a créé un back-office « Patients en réseau » qui permet de gérer « Mon Réseau cancer du sein », « Mon Réseau cancer du poumon » et puis, par la suite, on a poursuivi notre développement avec en 2019 « Mon réseau Cancer gynéco » et en 2020 « Mon Réseau cancer colorectal ».

M-S : Quelles sont les spécificités de Mon réseau® cancer du sein ?

L. G-A. : Mon réseau® cancer du sein est représentatif de tous nos autres réseaux.

La caractéristique primordiale est l’anonymat. Les portes, les envies et les motifs d’entrées dans la communauté sont multiples. Ils ne dépendent ni de votre lieu de résidence ou de soins, ni de la chronologie de votre pathologie.

Certaines personnes préfèrent se renseigner et discuter avec d'autres patients au tout début de leur cancer. D’autres se sentent bien prises en charge, vivent correctement leur traitement, profitent de soins de support, ont accès à un psychologue et n’éprouveront le besoin d’échanger qu’en « sortie » de maladie parce qu’elles se sentent alors plus isolées. Cet isolement social les pousse au questionnement : « Je me sens quand même un peu déboussolé(e), fatigué(e), je souffre de séquelles de mes traitements, je n’ai plus la même tête qu'avant, je n’ai plus la même énergie, je me demande comment je vais reprendre ma vie professionnelle… »

Au sein du réseau, vous pouvez chercher à vous rapprocher par affinités de sous-groupes. Par exemple : « Je suis une jeune femme touchée par un cancer du sein qu’on a découvert juste après la naissance de mon bébé, j’habite Montpellier, etc., avez-vous entendu parler de cas similaires ?... » 

Vous avez également la possibilité de vous exprimer en messages privés, par affinités et par attraction personnelle !

Plus classiquement, vos recherches peuvent se faire par thème. Par exemple dans Mon réseau® cancer du poumon, on va retrouver les différents grands types de cancers du poumon, ceux sous thérapies ciblées, sous immunothérapie, ceux engendrant des douleurs neuropathiques, etc.

M-S : Il n’y a que des patients ou bien il y a aussi des professionnels de santé ou même des personnes de l'entourage qui font partie du réseau ?

L. G-A. : Ce sont clairement des réseaux qui sont destinés aux patients et aux proches. En revanche, les patients et les proches ne communiquent pas entre eux. Ce sont véritablement deux bulles étanches. C'est extrêmement important parce que cela facilite la libération de la parole et le besoin d'échange des uns et des autres. Souvent les proches – qui se font un sang d’encre –, inconsciemment angoissent le malade… ! Alors que les patients, eux, ont envie de se raccrocher à de l’espoir, à des traitements, à des questions positives « Comment ça va ? As-tu repris le sport, ton travail ? … »

Par ailleurs, nous nous appuyons sur des comités scientifiques, grâce auxquels nous faisons circuler de l'information fiable, mais, au sein du réseau lui-même, ce ne sont pas des soignants qui répondent aux patients ou aux proches, ce sont des patients entre eux, des proches entre eux, avec une modération de patient-experts, patients « partenaires » expérimentés de l'association.

Nous ne voulons pas que les membres des réseaux s’imaginent qu’ils vont accéder à des consultations en ligne, qu’ils auront des réponses sur tels ou tels cas qui les concernent. Pour cela nous les renvoyons systématiquement vers leur équipe de soins.

Souvent les proches – qui se font un sang d’encre –, inconsciemment angoissent le malade… ! Alors que les patients, eux, ont envie de se raccrocher à de l’espoir, à des traitements, à des questions positives.

Les professionnels de santé ne sont pas au sein mais autour du réseau. Nous interagissons avec eux au travers de nos comités scientifiques pour la sélection de contenus d’informations, que ce soient des contenus existants réalisés par d’autres (par exemple l’Inca, la Ligue, les grands centres de soins…), soit au travers de contenus que nous montons – type webinaires – et que nous diffusons sur nos réseaux dans une rubrique « Évènements »

M-S : Comment les gens peuvent-ils vous découvrir ? Les professionnels de santé sont-ils un vecteur de communication pour vous ?

L. G-A. : Ça, c'est un très, très bon sujet ! Nous sommes 100 % digital, on peut se connecter de multiples façons (site, application mobile...) mais la grande question reste : qui nous fait connaître ?

Au moment de l’inscription, nous questionnons toujours les gens sur la façon dont ils nous ont connus. Pour beaucoup, c’est le résultat d’une recherche sur internet. Puis viennent les réseaux sociaux. En dernière position, figurent les centres de soins. On aimerait bien que cela soit dans un autre ordre… être promus davantage par les médecins et tous les professionnels de santé.

Depuis 2014, on a beau avoir tissé beaucoup de liens avec de nombreux soignants, de grands centres de soins, on a beau participé à des congrès, des évènements-santé… ce ne sont pas vraiment les médecins qui nous recommandent à leurs patients. Ils ont une vraie contrainte de temps et de de priorisation.

Il n’en reste pas moins qu’il est très important que les médecins nous connaissent. Parallèlement, nous sommes convaincus que nous gagnerions à être mieux connus des infirmiers : les infirmiers d’annonce, les infirmiers de coordination, les infirmiers d'hôpitaux de jour… Pourquoi ? Ces professionnels rencontrent le patient à toutes lesétapes de son parcours : à l'annonce, pendant son traitement… et ils vont par ailleurs savoir apprécier l'humeur des malades, s’ils se sentent isolés, si au contraire ils sont bien entourés, etc. C’est aussi eux qui souvent font le bilan d’indication en soins de support. Nous essayons de nous faire connaître auprès d’eux, notamment avec les Rencontres de l’AFIC (Association Française des Infirmier(e)s de Cancérologie).

On a beau avoir tissé beaucoup de liens [...] ce ne sont pas vraiment les médecins qui nous recommandent à leurs patients. Ils ont une vraie contrainte de temps et de de priorisation.

Il y a aussi le cas des établissements de soins qui ne sont pas tant que ça un relai pour nous, tout simplement parce que leur priorité est naturellement de faire connaître ce qu’ils proposent eux-mêmes. Et dans ce contexte, présenter les associations « hors-les-murs » ne figure pas en « haut de la pile » et c’est normal, nous le comprenons très bien.

Malgré tout, nous sommes très utiles car le patient ne passe pas la majorité du temps à l’hôpital ! Tant et si bien qu’il demeure un déficit assez profond d’informations sur ce qui peut venir en aide au patient.

M-S : Je comprends très bien, il y a un océan d'informations et paradoxalement une difficulté pour le patient à dénicher ce dont il a vraiment besoin…

L. G-A. : À vrai dire, je regrette que les soignants ne se rendent pas compte que c'est utile pour les patients de pouvoir échanger entre eux ; ils redoutent qu’en parlant entre eux, les malades ne se transmettent des informations approximatives ou peu pertinentes.

Nous leur répondons que communiquer, c’est se serrer les coudes et se faire du bien ! Bien entendu ce qui est important, c'est aussi de faire circuler de l'information fiable et c'est ce qu'on essaie de faire dans ce réseau régulièrement sous la houlette de nos comités scientifiques. Nous véhiculons des messages cruciaux comme la valorisation des soins de support ou de l’éducation thérapeutique.

M-S : Pour les soignants, le feedback des patients, c'est l’occasion d’une amélioration du parcours de soins, dont ils n’ont peut-être pas conscience... En cette période d’Octobre rose, allez-vous mener des actions particulières ?

L. G-A. : Nous prévoyons des actions pour chacun des mois de sensibilisation. On a commencé par « Septembre turquoise » destiné aux cancers gynécologiques. On va lancer un programme web-conférences et d’ateliers pour les patients touchés par ces cancers-là, à la fois sur les chirurgies, sur les nouveaux types de traitements mais aussi sur l'alimentation, et les troubles du sommeil. On va lancer une enquête sur l'impact des cancers gynécologiques sur la sexualité, parce cela engendre des souffrances très spécifiques, peu abordées.

On aura des programmes « Octobre rose » pour les cancers localisés, les cancers métastatiques, une grande journée du Collectif 13/10 pour la journée du 13 octobre, Journée mondiale du cancer du sein métastatique.

Pour le cancer du poumon, nous nous sommes attelés à un gros projet de digital learning qui s'appelle Mon Immuno qui sera lancé prochainement.

Enfin, nous sommes partenaire de l’exposition « Cancers » à la Cité des Sciences et de l’industrie.

M-S : Pour finir, selon vous, quels sont les efforts prioritaires qui doivent être accomplis dans la lutte contre le cancer du sein ?

Le cancer du sein est celui dont on parle le plus. Paradoxalement, cette banalisation rend peut-être les choses assez compliquées à vivre pour beaucoup de patientes.

Je dirais qu’il y a deux grands sujets. D’une part, le cancer du sein localisé où les parcours sont rapides : opération dans la journée, chimios sur quelques heures, rayons sur quelques minutes… Et au bout du compte, le temps d'accompagnement et d'échanges est assez réduit car vous ne restez pas longtemps dans le centre. Cela peut laisser au patient un sentiment de délaissement. Il faut donc accentuer les efforts d’informations pour ces personnes.

D’autre part, les progrès thérapeutiques et leurs variétés ont proportionnellement démultiplié les parcours de soins. Certain(e)s patient(es) vont recevoir un traitement néo-adjuvant, d’autres un traitement classique, une chimio… Cela renforce la nécessité d’être bien informé(e), de bien comprendre la nature de son cancer et son type de traitement pour mieux intégrer son parcours de soin.

Les progrès thérapeutiques et leurs variétés ont proportionnellement démultiplié les parcours de soins. [...] Il faut donc accentuer les efforts d’informations.

Nous travaillons aussi sur l'accompagnement des patients pour des maladies métastatiques, donc avec un aspect chronique. Pour le malade, l’enjeu, là aussi est de bien savoir de quel type de cancer du sein il relève. Parce que les traitements ne sont pas tous les mêmes, ni leurs effets secondaires.

Enfin, et pas des moindres : l’enjeu social. C'est formidable de vivre plus longtemps avec ces maladies chroniques, cela implique une forme de bien-être pour pouvoir par exemple reprendre une activité professionnelle… ces aspects sociétaux collectifs et individuels nécessitent encore beaucoup d'accompagnement et d’informations à faire circuler.

M-S : Merci infiniment pour cet éclairage. Je comprends que c'est important que vous soyez entendus par les professionnels de santé. J'espère que le message va passer auprès d’eux !

 EN SAVOIR PLUS
https://www.patientsenreseau.fr/

 

 

 

Photo L. Guéroult-Accolas : @sandrasanji

 

par Marina Kolesnikoff