POINT
Médicaments innovants : quel accès ?
Fin janvier, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rendu public un avis sur le prix et l’accès aux traitements médicamenteux innovants. Pour en débattre, un colloque Médicaments innovants, garantir l’accès aux soins, a été organisé en mai dernier.
« L’accès aux soins fait partie des droits fondamentaux en France », a rappelé Catherine Pajares y Sanchez, rapporteure de l’avis du CESE. Aussi, l’instance s’est-elle emparée de la question du prix des traitements médicamenteux innovants pour permettre à la fois leur accès mais aussi l’innovation. Le niveau très élevé des prix demandés par les industriels pour certains traitements innovants a interpellé la communauté médicale et l’opinion publique.
Le cas le plus connu en France est celui du Sovaldi® (sofosbuvir), pour soigner l’hépatite C chronique, vendu 41 000 euros pour un traitement curatif standard de trois mois. Mais l’augmentation des prix concerne en réalité de nombreux autres médicaments utilisés notamment dans le traitement du cancer. Les cancérologues Dominique Maraninchi et Jean-Paul Vernant ont d’ailleurs lancé une pétition en mars 2016, et Médecins du Monde une campagne de communication. « Nous avons besoin des industriels qui produisent les innovations thérapeutiques mais nous voulons être dans un environnement où ces innovations sont accessibles, a soutenu Olivier Maguet, administrateur de Médecins du Monde, responsable de la campagne Le Prix de la vie, lors du colloque. Je suis d’accord avec l’idée que les industriels se fassent de l’argent mais là, le taux de marge net est de 50 %. Pourquoi autant ? »
Une situation ancienne
Il ressort de cette évolution des prix une vive opposition aux stratégies pratiquées par certains laboratoires pharmaceutiques mais aussi l’exigence d’une plus grande transparence dans la fixation des prix. Au-delà, c’est la crainte que notre pays se mette à sélectionner les bénéficiaires de ces traitements innovants qui est exprimée. « Le prix élevés des médicaux innovants n’est pas si nouveau en termes de coût unitaire, a fait savoir Pierre-Yves Geoffard, directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Mais jusqu’à présent, ce coût ne concernait que les pathologies rares et très rares. Avec la question du traitement Sovaldi®, qui concerne potentiellement 200 000 patients en France, il y a eu un changement d’échelle. » Il faut selon lui se poser la question non plus uniquement en termes de bénéfice-risque, mais aussi en termes de bénéfice populationnel « car le traitement guérit et évite la contamination ». « La dépense peut être élevée, mais si elle conduit à une guérison, ce sont des bénéfices futurs pour l’assurance maladie, a t-il rapporté. Il ne faut pas regarder cette question en silo, isolément des autres dépenses. »
Pour Philippe Lamoureux, directeur général du LEEM – Les entreprises du médicament, le médicament est un produit bon marché puisque la moitié des boîtes vendues le sont à moins de trois euros. « Le débat se concentre donc sur quelques molécules et quelques médicaments innovants, a-t-il souligné. C’est sur ces médicaments-là que l’on va chercher une valorisation. » Et d’ajouter : « La mise au point d’un nouveau traitement coûte environ 1 milliard d’euros et il faut environ 12 ans pour faire un nouveau traitement. Si on a un cout élevé, un risque important et immobilisation longue, cela implique des taux de marge. »
Les solutions du CESE
Pour le CESE, il est aujourd’hui nécessaire d’explorer les voies et moyens afin de sauvegarder le modèle, qui constitue l’un des piliers de la cohésion sociale et de l’égalité en France. Cela repose sur la mise en place d’études prospectives sur l’impact financier que produiront les traitements innovants dans la décennie à venir et de les intégrer dans le rapport annuel de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale. Des efforts seraient également à conduire pour améliorer l’arbitrage financier sur l’intégration des traitements innovants dans l’offre sanitaire française.
Si la pertinence et la faisabilité d’un indicateur unique pour l’évaluation des thérapeutiques innovantes sont démontrées, il faudrait alors procéder rapidement aux adaptations normatives et organisationnelles que nécessite sa mise en place. Il faudrait aussi garantir l’effectivité du principe de représentation des associations agréées de patients dans toutes les instances ayant à statuer en matière d’évaluation et de fixation du prix des médicaments et favoriser l’évaluation en vie réelle de l’efficacité des médicaments couteux ainsi que la révision des prix en fonction des indications et des résultats de ces études. Enfin, le CESE propose d’organiser la coordination au niveau européen pour harmoniser les méthodes d’évaluation et étudier la faisabilité d’une Agence de fixation des prix et d’une Centrale d’achat européennes, avec adhésion volontaire.
Sondage
Selon le sondage Ipsos réalisé pour le CESE (1), les Français seraient prêts à renoncer à certains acquis pour garantir un large accès aux innovations. 38% sont favorables à une baisse des remboursements pour préserver l’équilibre de la Sécurité sociale. Ils sont même 61% à accepter « un déremboursement de certains médicaments classiques pour permettre de mieux rembourser des médicaments innovants plus efficaces». Néanmoins, 41% des plus de 65 ans sont opposés à une baisse des prises en charge. Par ailleurs, 39% du panel sont prêts à voir les impôts (ou cotisations) augmenté si cela permet de préserver la couverture sociale. Ils sont même 54% chez les moins de 35 ans mais 28% seulement chez les seniors, les plus grands consommateurs de soins.
Les répondants sont aussi 74% à se dire favorables à être moins bien pris en charge au profit des personnes les plus âgées et 85% à accepter d’être moins bien remboursés pour que les personnes les plus gravement malades soient prioritairement prises en charge. Les Français sont enfin majoritairement favorables (77%) à un plafonnement autoritaire des prix.
(1) Sondage réalisé par Ipsos pour le CESE du 27 au 29 avril 2017 auprès de 955 personnes de 18 ans et plus représentatives.
- par Laure Martin